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Chronique vezinoise sous l'occupation n°10
Souvenirs d’un enfant.
Les bombardements sous l'Occupation
La défense passive à Vezin.
La période qui s’est écoulée peu avant, pendant et après le débarquement, est marquée par une intensification des bombardements sur Rennes et sa périphérie. La défense passive du bourg prévoit un abri par îlot pouvant accueillir plusieurs familles. Chaque famille connaît le sien qui lui a été désigné par la mairie. Quand retentit la sirène d’alerte, les habitants s’y rendent sans vergogne. Notre abri est celui des Letort, bien entendu. Il est aussi celui des familles Gautier et Trincart. Il a été creusé entre le jardin potager et la forge. C’est un grand trou recouvert de fagots et de terre. Cet abri semble aussi efficace en matière de protection contre les bombes que les matelas disposés sur le toit des voitures durant l’exode en 1940. Il nous évitera tout au plus, le cas échéant, d'être écrasés sous les décombres de notre maison dans le cas où nous serions restés chez nous. C'est comme ça. Je ne suis pas du tout conscient du risque encouru, je me sens donc en sécurité dans ce trou environné de voisins, d’amis, de copines et de copains, le moral est bon. J’aime beaucoup quand nous allons rejoindre l’abri, il y a du mouvement, il se passe quelque chose et avec mes parents présents je ne risque rien.
Quand la sirène du PC de la DCA de la Belle Epine à laDrouétière, donne de la voix, c’est la nuit que nous rejoignons le plus souvent l’abri, je ne me souviens pas m’y être rendu le jour. Cette sirène ne fonctionne pas à notre particulière attention mais pour prévenir les artilleurs. Une pierre, deux coups, pour une fois les Allemands servent à quelque chose. Durant la guerre le village n'a pas subi de dégâts mais le territoire de la commune a été touché. Ainsi, à Pi-Park route de Lorient et au lieu dit Les Trois Marches plusieurs victimes civiles ont été dénombrées[1]. Une équipe de déblaiement s’organise à Vezin. Le groupe se forme devant la maréchalerie, donc normal que je sois au courant! Pierrot y participe, prêt au départ il tient à la main un outil, pelle ou pioche.
Le vol en rase mottes d'avions alliés
Quand le temps est beau, si la journée est chômée, le lieu dit Les Trois Marches route de Lorient, est un but de promenade apprécié par les gens du village. Il y a une buvette et certains disent qu'on y fait bal. Les bals publics sont pourtant interdits pendant la période d’occupation, à cause des prisonniers de guerre. Il ne faut pas que les femmes s'y dévergondent pendant que leurs maris s'épuisent d’ennui, dans les camps de prisonniers de guerre, séparés de leur famille et souffrant souvent de la faim.
Par un bel après midi ensoleillé, (se méfier des journées ensoleillées, elles nous réservent souvent de mauvaises surprises venues du ciel) à une date imprécise, mais probablement un jour chômé, une file de promeneurs s'étire sur la route qui mène à Montigné en direction des Trois Marches. Il doit se passer quelque chose de festif là bas pour que tant de gens s’y rendent. Je devance ma mère d’une courte distance, elle discute derrière avec d’autres promeneurs. Je franchis le petit pont à voie unique qui enjambe la ligne de chemin de fer, à proximité du château de Montigné. Je me trouve à cet instant à son extrémité, alors que ma mère s'apprête aussi à le traverser. Un avion surgit soudain par dessus nos têtes, je le vois très gros, en rase motte, en alignement avec la voie de chemin de fer. Il vole tellement à basse altitude que le pilote ne peut pas manquer de nous apercevoir. Il mitraille sur la voie de chemin de fer. Un homme alors me saisit précipitamment et me colle sous lui au fossé. Ma mère de l'autre côté du pont voulant me rejoindre hurle plusieurs fois mon nom. Un autre homme la retient et l’entraîne avec lui également au fossé. La présence de l’avion est brève mais bruyante. Je ne suis pas du tout effrayé, je ne me rends pas compte du danger, par contre ma mère est toute bouleversée. L'évènement du jour terminé, elle est heureuse de retrouver son fils sain et sauf. Quelques moments plus tard, tous indemnes, les promeneurs dérangés mais heureux que rien de grave ne soit survenu, commentent entre eux l’événement. « Ça, c'est sûr ! Ce sont des avions anglais. Ils volent bas et frappent juste, pas sur les civils ! ». Une réputation gagnée par les British par opposition aux Américains.
Depuis, j’ai eu l’occasion de découvrir un livre qui évoque les vols en solo de Mosquitos qui, comme des prédateurs, volent en rase mottes, attaquent opportunément une proie. N’importe quoi, le but étant d’établir un climat d’insécurité chez l’ennemi. Ce pouvait être un véhicule militaire, un dépôt de munitions, le terrain d’aviation de Gaël situé à vol d’oiseau près de Vezin-le-Coquet avait quelquefois la visite de ces oiseaux de proie. L'un d'entre eux, grand habitué des vols en solo de jour comme de nuit, avait pour navigateur Philippe Livry-Level de la 161 ème escadrille d’élite du Bomber Command. Il connaissait fort bien les lieux et les survolait souvent. Il me plait d’imaginer qu'il faisait partie de l'équipage de l'appareil qui est passé ce jour-là, si près au dessus de nos tètes. Pourquoi pas !!
Bombardement de nuit de Bruz
Le 7 mai 1944, en pleine nuit, énorme bombardement sur Bruz ! Cette ville est située près du camp d'aviation de la Luftwaffe qui comprend de nombreux dépôts de munitions. À vol d’oiseau la distance qui sépare Vezin de St Jacques n’est pas importante, suffisamment proche toutefois pour nous permettre d’entendre l'énorme grondement que produit l’éclatement des bombes déversées sur cette petite localité par 105 Lancasters et 5 Mosquitos et l’éclatement des obus des tirs de DCA de Saint-Jacques-de-la-Lande. Nous sortons tous, très vite de la maison pour rejoindre, par précaution, notre abri chez Letort. Je suis assis sur les épaules de mon père. Estimant qu’il n’y a pas de danger imminent, il marque une longue pause avant de rejoindre l’abri. Il s’arrête, moi de même, à hauteur du carrefour de l’école, en face de chez Méhot et avec lui je contemple le ciel. Je contemple oui, car c’est un magnifique spectacle qui s’offre à nos yeux. Un grandiose feu d’artifice. Le ciel est rempli d’étincelantes lumières de couleurs différentes. Le grondement est énorme, c’est un roulement continu. Nous gagnons l’abri on ne sait jamais, ce bombardement peut venir sur nous. «Qu'est ce qu'ils doivent prendre sur la tête les frisés » commente-t-on dans l’abri.
Plus tard nous apprenons que les aviateurs anglais se sont trompés de cible. Ils ont visé et atteint le village en manquant le terrain et les dépôts allemands. Erreur de marquage des avions éclaireurs paraît-il. Si les installations militaires et dépôts de munitions ont été peu touchés, 183 civils sont tués. C'est jour de communion solennelle, il y a beaucoup de personnes en visite dans les familles à Bruz[2]. Parmi les 183 morts 51 sont des enfants, il faut ajouter 300 blessés et 600 sinistrés. Je pense que je me souviendrai toujours de ce ciel étincelant dans la nuit, magnifique, en fête mais dont les lumières accompagnaient la mort. Cette fois ci, les Anglais ne se sont pas montrés à la hauteur de leur réputation.
Un convoi allemand stoppe de nuit dans le village et mitraille des avions alliés
Une autre nuit mouvementée, celle du 8 au 9 juin 1944 probablement, la maisonnée endormie est brusquement réveillée par un bruit assourdissant de tir[3]. Un convoi allemand s'est arrêté dans le bourg. Un véhicule chargé probablement d'un canon, stationne contre le mur de la maison à une distance très proche de notre fenêtre. Le bruit est infernal, le tir est ininterrompu. Dans le même temps nous entendons les départs de tirs très reconnaissables des canons de la DCA de la Belle Epine. Coutumiers des bruits produits par les machines de guerre et même devenus fins connaisseurs, nous distinguons aussi ceux des moteurs des bombardiers qui nous survolent. Il faut absolument quitter immédiatement notre logement. Le bruit n’est pas supportable, mes parents craignent que des balles ou obus égarés traversent la fenêtre et viennent nous tuer. Ils rassemblent rapidement des couvertures et nous nous préparons à sortir pour rejoindre notre abri habituel. Mon père ouvre la porte qui donne sur le jardin, je suis sur ses épaules. Je vois deux soldats allemands armés de mitraillette qui nous interdisent la sortie en nous repoussant. Mes parents sont désemparés, on ne peut pas rester là. La porte du sas intérieur qui donne accès au café s'ouvre tout à coup. Madame Bigot apparaît, elle est aussi apeurée que nous. Elle nous invite à nous réfugier dans un cellier éloigné de la rue qui fait office de cave. Nous attendons tous, debout, que l’événement du jour se termine. Véritablement je n’ai pas eu peur, ces situations deviennent presque une habitude.
Adieu lapins, poules et couvées...
Le lendemain matin, il pleut à verse. Les volets ouverts, je découvre sur le trottoir et la chaussée devant notre fenêtre d'innombrables douilles, que je crois être celles d’obus. Les douilles ne sont pas en métal mais en une espèce de carton bouilli... comme les anciennes cartouches de chasse. Ce ne sont sans doute que des emballages de munitions !? Avec la pluie ils se sont vite ramollis, je suis déçu de leur aspect et du spectacle qu’ils offrent. Je ne pourrai pas les utiliser pour jouer. Les fils téléphoniques qui longent le mur extérieur de la maison au-dessus de notre fenêtre sont coupés. Le tir du canon s’est exécuté si près du mur qu’il n’a pu les éviter. Ils pendent comme des longs cheveux mal peignés.
Pendant cette nuit, si certains Allemands tirent au canon en direction des avions alliés, d’autres pillent les clapiers et poulaillers du village. Ainsi madame Bigot et d’autres voisins n’ont retrouvé qu’une seule peau de lapin fraîchement dépiautée, laissée en souvenir du passage des hordes allemandes. Ceux-ci nous auraient-ils empêchés de sortir afin de mieux commettre leur forfait !?
Quand on sait la rareté de la viande et son prix (qui n’a pas de prix) sur les marchés on ne doute pas de la déception des particuliers qui ont vu des bons plats tout à coup disparaître de leur table et ainsi voir apparaître des dimanches maigres.
Févier 2013
Albert René GILMET
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