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Mai-juin 1940, l'afflux des réfugiés à Rennes

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Les Rennais, dès la fin de la "drôle de guerre", virent arriver en masse les réfugiés.

Vue aérienne du camp Margueritte, en rive sud du boulevard Georges Clémenceau inachevé (de GéoBretagne 1950)

Septembre 1939, la radio nationale émigre à Rennes

Dès septembre 1939, après la déclaration de guerre, la préfecture avait ordonné aux chargés de mission pour le ravitaillement des réfugiés de se tenir prêts et la municipalité avait préparé des locaux pour recevoir des réfugiés : cantine de la place de la Gare, centre de refuge du Champ de Mars, centre du boulevard Solférino, tennis couvert de la Croix-Carrée, Ets Bluche, rue de Lorient, camp Victor-Rault. * ( 1 ) [1], l' Ouest-Eclair du 12 avril 1940 annonce même que la vingtaine de baraquements du camp Margueritte pourrait être accrue de quarante pour loger 4000 évacués.

Des personnes de la section lyrique de la Radio d'État, leurs bagages transportés par un scout, passent devant la "Pharmacie de l'Arrivée", 8 place de la Gare. (Match du 5 octobre 1939)
Le camp Victor Rault construit en avril, mai 1940 pour l'accueil de réfugiés (Ouest-Eclair du 11.04.1940)

"Par mesure de sécurité et pour ne pas les exposer aux alertes nocturnes, la Radio d'État a installé sa section dramatique à Bordeaux et sa section lyrique à Rennes " explique l'hebdomadaire Match du 5 octobre 1939. Le 25 septembre 1939, arrivent à Rennes par train spécial 350 musiciens et solistes, soit près de 600 personnes de la section lyrique de la radio d’État avec six fourgons de matériel, transportant aussi 40 tonnes de partitions. Les scouts de Rennes, dirigés par M. Cathala, aident au déchargement. "La population de Rennes a déjà doublé. Il fallut serrer les coudes et les cordes", exagère fortement l'hebdomadaire dans un reportage sur 4 pages avec photos[2]. Le quotidien L'Ouest-Eclair passe cette importante arrivée sous silence. Quatre jours après leur arrivée eurent lieu les premières retransmissions en direct. Ils firent désormais leurs répétitions au théâtre et l'orchestre national (80 musiciens), à la baguette de M. Ingelbretch ou de M. Bigot, y donna des concerts qui firent salle comble ; l'orchestre Radio-Lyrique-Symphonique (60 musiciens) s'installa dans les studios de Radio-Bretagne, au dernier étage du Palais du Commerce et l'orchestre Messager dans la grande salle du restaurant Gadby, rue d'Antrain. Ils vont demeurer à Rennes près d'une année : ils quitteront la ville le 12 septembre 1940 par train spécial et beaucoup envisageront de gagner Lyon. Quant aux 320 employés des P.T.T. de Lille, ils ne regagnèrent le Nord, par train spécial, que... le 8 décembre 1941 !

En fait, sur les 22000 affectations programmées sur Rennes , par un plan de repli, compte tenu de sa population de 100 000 habitants, c'était moins d'un millier constaté en septembre.Les classes préparatoires des grandes écoles furent aussi transférées à Rennes. En octobre 1939, les effectifs de l’enseignement secondaire public ont gonflé par rapport à octobre 1938 : 1614 garçons au lieu de 1015, et 1000 filles au lieu de 666[3]. Il n'y eut pas de difficultés à l'intégration dans les entreprises rennaises de quelque 250 ouvriers tanneurs et de quelques ouvriers de bonneterie venus de Strasbourg bien que l'Ille-et-Vilaine ne fut pas lieu de repli du Bas-Rhin[4].

25 septembre 1939 : les musiciens parisiens arrivent place de la Gare, à Rennes. (Match du 5/10/1939)

Dès le 11 mai 1940, les Belges

Le 8 mai s'était tenue à la mairie une première réunion du Secours national groupant une vingtaine de responsables. Les premiers réfugiés belges arrivent à Rennes dès le samedi 11 mai en voiture ou en train. À la gare les scouts se chargent de ravitailler les réfugiés des trains de passage. Toutes les œuvres rennaises se portent à leur secours avec bonne volonté. Bientôt proviennent des réfugiés du nord et de l'est de la France, à mesure de la foudroyante avance des troupes allemandes et du repli français qui prend des allures de débâcle. C'est "l'exode ".

De jeunes Rennais meurent au combat, tel Hervé Bougault, sergent-chef pilote, le 17 mai 1940

Le 14 mai, le journal se fait l'écho de ces mouvements sous le titre " Désolation de l'exode et réconfort de la charité", ventant le bénévolat des dames de la Croix-Rouge, du Devoir national, de la protection de la jeune fille, des cheftaines et des scouts, et précise que 5000 repas et 600 biberons ont été distribués[5].

Le 16 mai : "Le cœur se serre à la vue de ces véhicules surchargés de familles entières, de bagages; les matelas sur le toit, les bicyclettes fixées derrière ou sur le côté. Ils s'arrêtent quelques instants, puis filent, filent plus loin. Ils annoncent l'arrivée des envahisseurs tout proches, mais personne ne veut y croire..."


Le 18 mai : L'afflux des réfugiés augmente ; ils passent en voiture, à bicyclette, à pied. Tous ces pauvres gens sont exténués. On les réconforte comme on peut, rien n'est encore organisé..." * ( 1 ) Et le journal décrit les réfugiés belges, avec photo de curieux massés, quelques-uns en pantoufles, un manteau vite jeté sur un peignoir ou une robe d'intérieur [...] certains au milieu des hardes et du peu de linge qu'ils ont eu le temps d'emporter dans leurs autos aux numéros minéralogiques rouge sur blanc, caparaçonnées de matelas, non pour le repos mais comme cuirasse contre "les balles du repu Goering dont les avions se font un jeu sadique de mitrailler les femmes et les enfants". D'autres sont à découvert sur des plateaux de camion, dans des bennes, des voitures de livraison vantant la qualité d'un chocolat, d'une lessive ou d'une chicorée. L'affluence des voitures, dont certaines luxueuses, faisant dire à certains qu'ils ne sont pas trop à plaindre par rapport à ceux cheminant vers quelque gare, les pieds endoloris, sur les banquettes de routes bombardées, le journaliste explique que l'automobile n'est pas un signe de richesse en Belgique, l'exemption des droits d'importation en ayant rendu l'usage "assez commun en ce pays heureux des travailleurs"[6].


Les Rennais au secours

Le 23 mai, René Patay propose de réunir ces œuvres dans une grande baraque. Un bâtiment de 40 mètres de long fut édifié en deux jours le long du boulevard Magenta, grâce aux scouts et au matériel d'un entrepreneur de fêtes, portant une large banderole "Œuvres sociales". Le Dr Patay coordonne ainsi P.S.F. qui s'occupe du logement, J.O.C. qui monte un fichier, Croix-Rouge et Rotary chargés du vestiaire, l'Union nationale des combattants (U.N.C.). (Cette baraque, à proximité de la place de la Gare, subsistera jusqu'en 1945). * ( 2 )[7]

Depuis le 25 les réfugiés de Lille, de Cambrai affluent et Mgr Flipo, vicaire général de Lille vient les visiter. Désormais, chaque jour le quotidien régional consacre des articles ou des reportages sur l'accueil des réfugiés. Le 28 mai est organisée une réunion des représentants de toutes les œuvres dans les locaux de la foire-expositon, boulevard Magenta. Le préfet Jouany y coordonnera personnellement services publics et œuvres, y réunissant chaque soir à 20h30, les principaux fonctionnaires et les représentants des principales œuvres : Mme Bourrut-Lacouture, présidente des auxiliaires de la Défense passive, ou "D.P.", Mme d'Etchegoyen, présidente de la Croix-Rouge, Mme Ladam, présidente des A.D.N. (assistants du devoir national), M. Brégeon, président du Secours national, M. Gaudillon, directeur du service des réfugiés...

Publicité civique de circonstance de l'Economique (Ouest-Eclair 16 juin 1940)

Le 1er juin, un poste de ravitaillement est installé par les A.D.N. dans la chaufferie sur les quais de la Gare. La crèche Saint-Hélier et la crèche des cheminots préparaient des biberons. À partir du 5 juin des unités militaires désorganisées grossirent le flot des réfugiés.

Les Allemands ont franchi la Meuse, de jeunes Français meurent

En gare de Rennes, les trains de réfugiés se succédaient à un rythme accéléré. Les scouts et les guides furent enrôlés pour apporter aide et réconfort à toute cette population démunie. Partis dans l'urgence, sans provisions et entassés dans des wagons de 3e classe, tous ces gens avaient faim et terriblement soif dans la chaleur de ce mois de mai resplendissant. Nous allions le long des quais, chargés de pain et de grands brocs d'eau et comme happés par tous ces bras tendus : dans mon souvenir sont restés marqués les cris éperdus des bébés, le visage hagard d'une jeune femme aux lèvres desséchées par la soif et toutes ces voix qui réclamaient à boire. Catherine Lhermyte. (Journal La Croix 11 juin 2010)

Des réfugiés surtout du Nord et de la Seine

Le journal publie une chronique des réfugiés, donnant des information sur les points de chute de certains par département : Aisne, Ardennes, Marne Nord, Pas-de-Calais... Le 10 juin : la centrale postale de Lille arrive à Rennes, son lieu prévu pour le repli et un train passe transportant, assis ou couchés sur la paille de wagons à bestiaux, les vieillards de l'hospice de Lille accompagnés par les Petites Sœurs des Pauvres et cinq malades sont descendus sur brancard et l'un décède à l'infirmerie. Les trains de Paris ont, ce jour-là, de 18 à 20 heures de retard et le lendemain ce trafic cessa. Les administrations du Nord, conformément au plan d'évacuation, s'étaient repliées nombreuses à Rennes où avait été créée une annexe de la préfecture. Les étudiants de Lille devaient passer leur bachot à Rennes. Les réfugiés d'un train qui repart crient "Vive la Bretagne ! Merci Rennes !" mais les passagers d'un train suivant hurlent de colère et injurient les assistantes.

L'Ouest-Eclair publie les listes de situation de réfugiés (Journal du 16 juin 1940)

Le 12 juin les Rennais virent avec stupeur arriver des autos immatriculées MX : Orne. Un bobard circule : le département de repli pour les habitants d'Ille-et-Vilaine est la Corrèze. La direction des services de santé est transférée à Condom (Gers). L’Ouest-Eclair du 14 juin informe que le secrétariat du Secours national, 2 quai Emile Zola, reçoit directement les demandes de linges et de vêtements des réfugiés fixés à Rennes.

On prit la précaution d'arrêter l'hébergement en ville avant saturation afin de laisser place aux officiers et aux requis civils gagnant la ville sur ordre. Les cheminots d'Amiens furent logés dans de grands hangars de la gare et aux professeurs fut assignée la salle des fêtes du lycée. 15 000 repas par jour furent distribués durant les 15 premiers jours et 26 000 par jour durant les trois semaines les plus chargées. Les derniers jours les trajets des trains devinrent erratiques : train de Brest avec des réfugiés normands arrivant à Rennes, train refoulé de Laval à Rennes puis repartant pour Laval, et le 15 juin des trains pour Nantes revenant à Rennes faute d'avoir pu passer les ponts.( * 5 )[8]

Puis les trains de réfugiés ne dépassant plus Rennes, le préfet charge l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées d'organiser les transports vers d'autres départements bretons en mobilisant les autocars disponibles, les chauffeurs étant "casernés" au moulin du Port-Cahours, au bas de la rue de Saint-Brieuc puis le service des transports est confié au chef de ce service à la brasserie Graff. De Rennes, chaque soir, une colonne d'autos partait, dirigée par un membre du centre d'accueil, vers quelque village du département. Mais souvent les divers centres, déjà complets, ne purent les recevoir et les engagèrent à aller plus loin. [9] Le préfet s'efforce par la suite de diriger le plus de réfugiés possible vers le sud-ouest. Le transport de réfugiés vers leur lieu de logement définitif fut aussi assuré par des volontaires de l'Automobile Club de l'ouest, des auxiliaires de la défense passive, des anciens combattants pourvus d'essence par la préfecture. L'Ille-et-Vilaine aurait ainsi accueilli environ 140 000 réfugiés, soit une surcharge démographique de 25%, et les réfugiés des départements du Nord et de la Seine furent de beaucoup les plus nombreux à Rennes. Le département d'Ille-et-Vilaine connaît des problèmes de ravitaillement car les trains de réfugiés arrivent de manière imprévisible. Près de la moitié d'entre eux viennent de la région parisienne, plus du quart du Nord et plus de 15 % de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg. La presse subit la censure ; plusieurs articles du Semeur d’Ille-et-Vilaine, mais aussi du Nouvelliste de Bretagne et de L’Ouest-Éclair sont censurés dès le 1er septembre 1939, censure fort visible puisque des articles sont partiellement blancs. [10]. Au total 26 000 réfugiés s'inscrivirent à Rennes (32 000 au regard des cartes alimentaires distribuées) mais le nombre des réfugiés de passage a pu atteindre en pointe 100 000 simultanément.( * 5 ) Cet afflux de population favorise le commerce et les hôtels, mais aussi la presse qui accroît son tirage, en particulier L’Ouest- Éclair passe de 480 000 exemplaires environ pour l’ensemble de la région à presque 600 000 en mars 1940.

Le reflux

Ouest-Eclair 27 juillet 1940

Le 18 juin, au matin, * ( 1 ) 4000 à 5000 réfugiés affolés avaient été évacués vers des communes du département à bord de T.I.V * ( 2 ). La veille des réfugiés dans un train en provenance de Lisieux avaient été tués par les bombes allemandes sur le triage ferroviaire de Rennes. Le retour des réfugiés s'amorça à partir du 8 juillet par un train Rennes-Paris accessible aux porteurs d'ordre de mission. Le 14 juillet Rennes fut envahie par des réfugiés venant du Finistère et des Côtes-du-Nord qui comptaient y trouver des trains vers le Nord, et qu'il fallut héberger aux centres d'accueil à raison de 1600 par jour. On trouva à Rennes "plus de cinquante réfugiés en provenance de chacun des départements aussi dispersés que la Vienne, l'Indre-et-Loire, le Maine-et-Loire, les Vosges, la Haute-Saône, le territoire de Belfort, le Doubs, la Côte-d'Or, la Saône-et-Loire, le Rhône, la Savoie, les Alpes-Maritimes et le Var. [11] "On vit ainsi des rames de wagons naviguer sur les voies les plus inattendues avant de se stabiliser, au hasard des avaries de la locomotive ou de l'approvisionnement en charbon, attendant un passage intercepté par les destructions ou par l'avance ennemie. Des évacués normands arrivèrent ainsi à Rennes, venant de Brest où le train s'était d'abord rendu, mais un autre train allait au même moment de Rennes à Laval, d'où il était venu peu de temps avant. [12] Le journal L'Ouest-Eclair ouvre une colonne "Chronique des réfugiés" à ceux qui recherchent les leurs perdus dans l'exode. Puis circulèrent des trains spéciaux gratuits de la mi-août au 18 septembre. Les artistes de la radio nationale, à Rennes depuis 11 mois, regagneront Paris le 12 septembre par train spécial. Fin juillet, les autorités d'occupation avaient créé une zone interdite incluant plusieurs départements du nord, mais à fin novembre, il ne restait à Rennes que 1100 réfugiés sur 10 000 de ces départements.* ( 3 )

Plaque commémorative de l'action de G. Duhamel en faveur des blessés de l'exode à l'hôpital de Pontchaillou et retirée en 1959 pour ne pas froisser les Allemands[13]

Références

  1. Les Heures douloureuses de Rennes, par Valentine Ladam, imp. Les Nouvelles
  2. Match - 5 octobre 1939
  3. Les déplacements de population vers la Bretagne en 1939-1940, par A. Meynier
  4. A. Meynier, op. cit., p. 13, p. 13
  5. L'Ouest-Eclair, 14 mai 1940
  6. L'Ouest-Eclair, 19 mai 1940
  7. Mémoires d'un Français moyen, par René Patay - 1974
  8. Les déplacements de la population vers la Bretagne en 1939-40, par André Meynier, Annales de Bretagne, vol. 56 - 1949
  9. A. Meynier? op. cit. p.58
  10. L'Ille-et-Vilaine dans la guerre 1939/1945 Le traumatisme de la guerre et de l’Occupation (1939-1944) chap. 5 , par Jacqueline Sainclivier, éd. Horvath - 1986
  11. L'Exode de mai-juin 1940. p.103. Jean Vidalenc PUF - 1957
  12. Jean Vidalenc, op. cit. p. 194
  13. Lieu d'asile, Georges Duhamel. Mercure de France - 1940

Liens locaux