Réseau VAR
En décembre 1942, Peter Harratt, officier du SOE, fut désigné pour mettre en place la ligne d’évasion VAR entre Dartmouth et la côte nord de la Bretagne afin d’infiltrer et d’exfiltrer des agents, des documents, des radios et des instruments scientifiques. Le réseau VAR a été lancé en août 1943 par un Anglais, juif autrichien d'origine, agent du SOE, Peter Deman , avec l'objectif de créer de liaisons régulières entre l'Angleterre et la Bretagne. Après avoir repéré les lieux les plus propices à l'hébergement des aviateurs à rapatrier et à l'embarquement, le réseau mène ses premières opérations dans les Côtes-du-Nord dans les environs de Saint-Brieuc, puis dans le Finistère près de Guimaec. Rennes puis Redon sont les villes de ralliement avant les évacuations, une par mois. Aristide Sicot, 2' ans, instituteur dans les Côtes-du-Nord , joue un rôle important dans la recherche des filières. Le réseau est frappé par une série d'arrestations quelques semaines avant le débarquement allié.[1] [2] [3]
Témoignage du SOE (Special Operation Executive) en France :
Erwin Deman, officier anglais d'origine juive autrichienne, prisonnier évadé, passé dans la Légion étrangère, agent SOE en France , alias Daniel puis Paul, 23 ans, 1,70 m, trapu, est à l'origine du réseau VAR, qui concerna 150 agents avec le but de créer des filières régulières de liaison et d'évasion entre l'Angleterre (Darmouth, ou Falmouth en Cornouaille) et la Bretagne par vedettes de la Royal Navy (Motor gun boat) et des youyous.
À Rennes
En août 1943, Deman s'était établi à Rennes comme agent d'assurance et entra en contact avec Mme Émilienne Jestin, veuve du magistrat François Jestin, habitant à Rennes, 10, rue de Bertrand que Louis Lecorvaisier a connue par l'intermédiare de Marie-Anne Rabu. Les Jestin ont un bon nombre de relations dans toute la région et vont s'en servir pour recruter parmi elles.
Le 19 août 1943, Deman était arrivé en France, déposé par avion Lockheed Hudson 1 km au sud de Soucelles, à 14 km au nord-est d'Angers. Il est muni en guise d’introduction d’une demi-feuille provenant d’une lettre écrite par une Mme Jestin à la sœur d'un officier du SOE, dont elle avait été la nounou. Le contact fut ainsi établi avec « Mme Jestin, habitant Rennes, dont les deux filles célibataires, jeunes quadragénaires énergiques, entrèrent dans ses plans avec un grand enthousiasme. Elles organisèrent des maisons sûres, telles que celles d' André Meynier , professeur à la faculté des Lettres de Rennes, de M. Petit, retraité des contributions directes, suggérèrent d’autres contacts, et trouvèrent des guides et courriers fiables, tandis qu’il partait reconnaître les deux plages […] Aline, l’aînée, alias Jean, travaillait à la préfecture et n’avait pas de difficulté pour produire tous les sauf-conduits en blanc dont la zone côtière avait besoin. » La Parisienne Ginette Courtois, 17 ans, alias Danielle [4] fait partie d'un couple fictif tenant une "maison-refuge" pour le réseau, avenue Sergent Maginot.
Sur la côte nord bretonne, agents infiltrés, agents exfiltrés
De Lamballe Deman gagne Saint-Cast-le-Guildo sur un vélo que lui a prêté Aline Jestin. Après avoir repéré les lieux les plus propices à l'hébergement des agents et d'aviateurs à rapatrier et à l'embarquement, la plage de Rothèneuf ayant été écartée par Deman en raison d'une surveillance ennemie des accès trop importante, le réseau mène ses premières opérations dans les Côtes-du-Nord dans les environs de Saint-Cast, [5] où Cecily Lefort , agent du SOE, avait remis en août à Deman une liste de contacts, et possédant une villa dans le secteur, la mettait à la disposition du réseau. Quatre opérations maritimes, seront menées par la grève du Mousselet côté est de la baie de la Fresnaye. Dans la nuit du 28-29 octobre, venant d'Angleterre, (opération Jealous ouMango 4 pour SOE) débarquent du MGB 697 Erwin Deman et Emile Minerault, 32 ans, américain d'origine française, avec des magasins et du matériel radio et ils gagnent vers deux heures du matin la villa Feux-Follets au 33 rue des Nouettes, à Saint-Cast. Le 31, ils prennent un train pour Rennes à la gare de Plestan. A Rennes, Deman emmène Minerault chez un cordonnier du 21 rue Saint-Hélier, chez M et Mme Bieard. Minerault reste rue Saint-Hélier jusqu'au mardi 2 novembre, période pendant laquelle Deman amène Louis Lecorvaisier, pour rencontrer Minerault et il rend visite aux sœurs Jestin, rue de Bertrand, pour savoir ce qui se passait depuis son départ en septembre, puis fit venir Louis Lecorvaisier à leur appartement. Le 25 novembre eut lieu la première opération importante.
Dans la nuit du 23 au 24 décembre, une tentative du réseau Var d'exfiltrer le général Marcel Allard vers l'Angleterre échoua à Noël 1943 : devait débarquer un groupe mixte de six agents du SOE (dont deux femmes) sur la plage de la Fresnaye et il était prévu de récupérer neuf passagers pour l'Angleterre, parmi eux, un membre de la RAF et cinq aviateurs américains, ainsi que le général français Marcel Allard d'agents avait été assemblé à la villa de la famille Sicot des Feux-Follets . Cette opération SOE Jealous III fut abandonnée après que le MGB 502 (Williams), ayant dû opérer une approche en profondeur dans la baie jusqu'à la hauteur de la pointe du Châtelet, eût été repéré depuis la côte et pris pour cible à la lumière de fusées éclairantes.[6]
Les opérations ultérieures de la ligne Var furent déplacées plus à l'ouest jusqu'à la plage de Beg-an-Fry, près de Guimaëc, dans le Finistère. Sous la pointe de Beg An Fry Aristide Sicot,[7] alias Jeannette, avait repéré la petite plage de Vilin Izella tout-à-fait adaptée à un débarquement, protégée des regards à l'est par deux éperons rocheux. Sept opérations maritimes y furent menées lors des nuits sans lune.[8]. Quelques résistants étaient chargés d’accueillir les agents en gare locale, un négociant en vin, Pierre Barazer, assurait leur transport, les sœurs du tabac-épicerie Jacob à Guimaëc hébergeaient les agents dans une maison inhabitée située en face de leur établissement et voisine d'une maison occupée par les Allemands. Yvonne et Germaine Jacob assurent la nourriture et l’hébergement. Alice et Raymonde sont nommées "chefs de plage", elles sont de toutes les opérations d’embarquement et de débarquement. Convoyeuses et guides pour le transfert des agents, elles font des centaines de kilomètres dans le pays de Morlaix à bicyclette puis des missions à Paris. Avec la complicité d'un forgeron de Plouigneau, Thomas (qui accueillait les aviateurs à la gare locale) et d'un négociant en vins, ils étaient transférés de Guimaëc vers Beg-ar-Fri à pied, un trajet d'environ 7 km, de nuit en suivant le talus côté champ alors que les patrouilles allemandes passaient sur la route à 5 mètres d'eux.
Rennes puis Redon étaient les villes de ralliement avant les évacuations, une par mois. De janvier à avril 1944 arrivants ou partants sont abrités dans la maison de François Tocquer, beau-père de Louis Mercier qui y vivait avec sa famille de cinq enfants, à 400 mètres d'un poste allemand avec rondes jour et nuit ! Les arrivants sont conduits par Louis Mercier, P1, à la gare de Morlaix. [9]
Un certain Morland débarqué
L'échec de l'opération Jealous III signifiait que la plage de débarquement près de Saint-Cast ne pouvait plus être utilisée et les opérations ultérieures de la ligne Var furent déplacées plus à l'ouest.
De janvier à avril 1944, le site de Beg-an-Fri est le théâtre de 7 opérations. Les opérations se déroulent par des nuits sans lune : 1. EASEMENT – Nuit du 28 au 29 janvier 1944, 2. EASEMENT II – Nuit 26 au 27 février 1944, 3. EASEMENT III – Nuit du 29 février au 1er mars 1944, 4. SEPTIMUS – nuit du 17 au 18 mars 1944, 5. SEPTIMUS II – Nuit du 21 au 22 mars 1944, 6. SEPTIMUS III – Nuit du 26 au 27 mars 1944, 7. SCARF – Nuit du 15 au 16 avril 1944. [10] La BBC informait par les messages apparemment sibyllins : message pour la veuve joyeuse, pour la vache qui rit, du beau-père à la belle-mère... indiquant ensuite les lieux d'intervention.
C'est lors de la mission EASEMENT II que François Mitterrand, alias Morland, chef du mouvement de résistance RNPG (Rassemblement national des prisonniers de guerre)et deux agents du SOE furent débarqués dans une crique à Beg-An-Fry en Guimaêc le 27 février 1944. Accueilli par Aristide Sicot et Lecorvaisier, Raymonde et Alice Jacob, tous membres du réseau VAR, ils passérent la nuit chez M. Lucas, gendarme retraité. Le lendemain Louis Mercier les conduisit chez le Dr Le Duc à Morlaix d’où ils prirent le train pour Paris.
Le réseau "brûlé" à Rennes
Le 1er décembre 1943 Marie-Thérèse Stoffel, alias Lucie, est présentée à Paul par les sœurs Jestin et elle habitera au PC, chez le Dr. Bourdais. Le 11 décembre 1943, Anne-Marie Boudaliez , [11] résistante redonnaise[12], reçoit un télégramme de Marcel Jacq, réfugié chez Félix Jouan pour échapper au STO, qui lui demande de se rendre à Rennes le soir même à 22 heures, dans un café avenue Sergent Maginot ; elle y rencontre " Paul " qui lui déclare que le réseau est " brûlé " à Rennes et qu’il cherche à se replier sur Redon. Elle accepte d'y héberger temporairement un poste-émetteur chez sa mère Elle rencontre aussi " Danielle " la très jeune résistante de 17 ans membre de l’équipe de base du réseau[13] [14]. À Rennes, à Bédée puis à Redon opère le "pianiste" Raymond Langard, SOE DF radio, alias Gilbert formé en Angleterre [15], arrivé le 28 octobre 1943. Mais le 13 janvier 1944 à 20 heures, le minotier Félix Jouan qui cachait à Bédée un pilote britannique envoyé par les Jestin, transportant dans une camionnette une valise avec poste-émetteur récupéré sur la côte et destiné aux Jestin fut arrêté place de la mairie par des Feldgendarme qui avaient repéré que la plaque d’immatriculation arrière était sale.
[17]. Un Feldgendarme lève la toile derrière et voit une valise qui était un poste émetteur ; Aristide Sicot avait pu s'esquiver. (Jouan mourut le 21 mai 1945 suite à sa déportation)[18]. Il fallut évacuer d'urgence la maison Jestin. « Sicot, à l'écart de la voiture, put prévenir Mme Jouan et les sœurs Jestin qui durent partir pour Paris. VAR ne survécut pas longtemps à ce déplacement car à la fin […] le circuit fit boule de neige, les activités s’élargirent, de plus en plus de gens étaient concernés, le réseau cessant d’être sûr, il fallut le refondre entièrement. Au total 27 agents avaient été débarqués et 55 embarqués. Le réseau eut 1 tué et 12 déportés dont 10 morts en captivité. Deux agents travaillant avec Deman, l'opérateur radio Raymond Langard et l'assistant américain Emile Minerault sont morts dans des camps de concentration allemands. [19]
La dernière exfiltration eut lieu dans la nuit du 15/16 avril 1944. Embarquèrent vingt personnes dont trois femmes et le SOE Erwin Peter Deman. [20]. Les exfiltrations de 52 personnes par mer furent remplacées par la filière terrestre avec le passage des Pyrénées. La filière d'évasion VAR fut jugée par le SOE comme ayant eu "une efficacité considérable".
Références
- ↑ Louis Lecorvaisier, réseau VAR
- ↑ Aline et Marie-José Jestin
- ↑ Témoignage du capitaine Louis Lecorvaisier (alias Yves) du réseau VAR 8 déc. 1945. https://francearchives.fr/fr/facomponent/7672205d9be3b7c5aca2124a3400fa627bd18c91
- ↑ [(Ginette Courtois-Porter]]
- ↑ www.escapelines.com
- ↑ Oscar Buckmaster, un réseau de Résistance en Haute-Bretagne, pp. 223,224 Daniel Jolys, imp. Reuzé, Martigné-Ferchaud - Nov. 2022
- ↑ https://maitron.fr/spip.php?article173236
- ↑ Témoignage du capitaine Louis Lecorvaisier (alias Yves) du réseau VAR 8 déc. 1945. Une stèle y fut érigée en 1969. https://francearchives.fr/fr/facomponent/7672205d9be3b7c5aca2124a3400fa627bd18c91
- ↑ Rapport de Louis Lecorvaisier, liquidateur du réseau, sur les activités de François Tocquer et Louis Mercier
- ↑ https://museedelaresistanceenligne.org/index.php
- ↑ Ouest-France 6 juin 2023
- ↑ https://www.memoresist.org/resistant/anne-marie-boudaliez/
- ↑ Ginette Courtois-Porter
- ↑ Repliée à Redon, elle est déportée. Elle est décédée le 20 juin 2019. Ouest-France 2. 07. 2019
- ↑ https://cluny-histoiresdhistoire.com/2020/02/13/raymond-langard-pratsien-radio-du-s-o-e/
- ↑ Louis Lecorvaisier, réseau VAR
- ↑ https://le-souvenir-francais.fr/wp-content/uploads/2019/07/Entretien-avec-Pierre-Morel.pdf
- ↑ Témoignage Lecorvaisier du 8 déc. 1945 par Odette Merlat. https://francearchives.fr/fr/facomponent/7672205d9be3b7c5aca2124a3400fa627bd18c91
- ↑ Rapport de liquidation établi par Louis Lecorvaisier
- ↑ https://books.google.fr/books?id=aFxLjf-BnYIC&pg=PA222&lpg=PA222&dq=secret+flotillas+Deman&source=bl&ots=_w2QjU7rxc&sig=ACfU3U0o-ncRdfQIMAV5QHdTbgWKnOZdEg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiU5ITL_tr8AhWlTKQEHbeaByI4FBDoAXoECCgQAw#v=onepage&q=secret%20flotillas%20Deman&f=false