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« Bombardements des 9 et 12 juin 1944 » : différence entre les versions

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===L'objectif : contrecarrer les déplacements ennemis===
===L'objectif : contrecarrer les déplacements ennemis===


Les deux bombardements de juin sur Rennes ont été décidés pour répondre à des buts stratégiques exposés postérieurement, au commandement suprême allié, en novembre 1944, par l'Air Marshal Sir Trafford Leigh-Mallory, commandant en chef de la force expéditionnaire aérienne alliée :
Les bombardements de juin sur Rennes ont été décidés pour répondre à des buts stratégiques exposés postérieurement au commandement suprême allié, en novembre 1944, par l'Air Marshall Sir Trafford Leigh-Mallory, commandant en chef de la force expéditionnaire aérienne alliée :


" ''À J+1, je décidai donc une série d'attaques contre les carrefours ferroviaires situés dans la zone tactique afin d'établir ainsi une ligne au-delà de laquelle les mouvements ennemis par fer ne pourraient se faire vers la zone de bataille. Le bomber command de la RAF attaque Rennes, Alençon, Fougères, Mayenne. À l'intérieur de la zone tactique ainsi définie, les bombardiers alliés avaient causé de telles destructions au bout de trois jours que tous les déplacements par fer ou par les grandes routes avaient été pratiquement interrompus de jour. L'ennemi dut se déplacer surtout de nuit et par des routes secondaires. Le groupe n°2 de la seconde force aérienne tactique de la RAF, dont les équipages avaient été spécialement entraînés au harcèlement de nuit, utilisa des bombardiers légers et moyens, fréquemment par de très mauvaises conditions atmosphériques, avec des succès marquants contre ce mouvement''. "Mais il concède que "''la persistance du mauvais temps contrecarra considérablement les opérations aériennes ainsi que la grande énergie et l'ingéniosité de l'ennemi à réparer les coupures de rail malgré la nécessité pour lui de se déplacer principalement de nuit''. "Puis il remarque qu'on s'attendait à ce que ses forces en Bretagne se déplaceraient par la route<ref>''Opérations aériennes de la force aérienne expéditionnaire alliée en Europe du nord-ouest du 15 novembre 1943 au 30 septembre 1944'' - Supplément à ''The London Gazette'' du mardi 31 décembre 1946 n°37838 - jeudi 2 janvier 1947.</ref>.
" ''À J+1, je décidai donc une série d'attaques contre les carrefours ferroviaires situés dans la zone tactique afin d'établir ainsi une ligne au-delà de laquelle les mouvements ennemis par fer ne pourraient se faire vers la zone de bataille. Le bomber command de la RAF attaque Rennes, Alençon, Fougères, Mayenne. À l'intérieur de la zone tactique ainsi définie, les bombardiers alliés avaient causé de telles destructions au bout de trois jours que tous les déplacements par fer ou par les grandes routes avaient été pratiquement interrompus de jour. L'ennemi dut se déplacer surtout de nuit et par des routes secondaires. Le groupe n°2 de la seconde force aérienne tactique de la RAF, dont les équipages avaient été spécialement entraînés au harcèlement de nuit, utilisa des bombardiers légers et moyens, fréquemment par de très mauvaises conditions atmosphériques, avec des succès marquants contre ce mouvement''. "Mais il concède que "''la persistance du mauvais temps contrecarra considérablement les opérations aériennes ainsi que la grande énergie et l'ingéniosité de l'ennemi à réparer les coupures de rail malgré la nécessité pour lui de se déplacer principalement de nuit''. "Puis il remarque qu'on s'attendait à ce que ses forces en Bretagne se déplaceraient par la route<ref>''Opérations aériennes de la force aérienne expéditionnaire alliée en Europe du nord-ouest du 15 novembre 1943 au 30 septembre 1944'' - Supplément à ''The London Gazette'' du mardi 31 décembre 1946 n°37838 - jeudi 2 janvier 1947.</ref>.

Version du 3 août 2020 à 09:18


[1]

Le cadre stratégique des deux bombardements

Le plan tactique de l’État-major allié pour retarder les renforts ennemis retenait qu' "après le jour J, les attaques aériennes sur les nœuds routiers importants doivent continuer [...] et que d'importants carrefours ferroviaires sur la Loire ainsi que celui de Rennes devraient constituer les cibles principales des bombardiers lourds, en complément d'attaques répétées sur des centres déjà endommagés pour retarder leur remise en état". En réunion générale du 12 mai, le Bomber command de la RAF se vit assigner des cibles pour créer des goulots d'étranglement par des attaques de nuit, cibles initialement attribuées à la 8e Air Force : les villes de Rennes, Laval, Le Mans, Dol, Avranches ainsi que d'autres villes bas-normandes, mais il était stipulé que la 8e Air Force devait aussi en attaquer certaines sinon toutes. Quand le commandant en chef pour l'Air, Leigh-Mallory, eut fait état, le 2 juin, de la désapprobation par le maréchal Tedder du plan de bombardement des centres ferroviaires en raison du nombre probable de victimes civiles, le commandant suprême des Forces expéditionnaires alliées, le général Eisenhower, "approuva catégoriquement (very emphatically) le plan de bombardement des centres de communication français et désapprouva fortement toute suggestion qui nous écarterait d'une tâche aussi vitale par souci d'éviter des pertes civiles"[2].

Avro Lancaster de la Royal Air Force

Rennes va ainsi recevoir des bombes de la Royal Air Force, dans la nuit du 8 au 9 juin, puis de la 8e Air Force américaine, de jour le 12 juin.

Les projecteurs de la Flak dans la nuit rennaise[3]

L'objectif : contrecarrer les déplacements ennemis

Les bombardements de juin sur Rennes ont été décidés pour répondre à des buts stratégiques exposés postérieurement au commandement suprême allié, en novembre 1944, par l'Air Marshall Sir Trafford Leigh-Mallory, commandant en chef de la force expéditionnaire aérienne alliée :

" À J+1, je décidai donc une série d'attaques contre les carrefours ferroviaires situés dans la zone tactique afin d'établir ainsi une ligne au-delà de laquelle les mouvements ennemis par fer ne pourraient se faire vers la zone de bataille. Le bomber command de la RAF attaque Rennes, Alençon, Fougères, Mayenne. À l'intérieur de la zone tactique ainsi définie, les bombardiers alliés avaient causé de telles destructions au bout de trois jours que tous les déplacements par fer ou par les grandes routes avaient été pratiquement interrompus de jour. L'ennemi dut se déplacer surtout de nuit et par des routes secondaires. Le groupe n°2 de la seconde force aérienne tactique de la RAF, dont les équipages avaient été spécialement entraînés au harcèlement de nuit, utilisa des bombardiers légers et moyens, fréquemment par de très mauvaises conditions atmosphériques, avec des succès marquants contre ce mouvement. "Mais il concède que "la persistance du mauvais temps contrecarra considérablement les opérations aériennes ainsi que la grande énergie et l'ingéniosité de l'ennemi à réparer les coupures de rail malgré la nécessité pour lui de se déplacer principalement de nuit. "Puis il remarque qu'on s'attendait à ce que ses forces en Bretagne se déplaceraient par la route[4].

De fait, un groupe de combat de la 265e division d'infanterie allemande, en garnison près de Quimper, mis en mouvement par train le 10 juin pour gagner le front, ne put atteindre, en raison des coupures de voie, Rennes que six jours plus tard : il lui avait fallu une semaine pour un trajet de moins de 160 km par voie ferrée et il dut poursuivre le trajet par route[5]. "Un régiment de la 276e division d'infanterie, stationné dans la région de Vannes fut déplacé par train. Le train transportant la 1ère compagnie fut bombardé à Fougères, eut des tués et les wagons transportant les munitions et les équipements furent fortement endommagés. De plus, les wagons de chevaux détachés reculèrent sur 6,5 km. Quand on les retrouva les Français avaient ôté tous les chevaux. Il fallut à cette compagnie une semaine pour gagner le front distant de 240 km et la 2nde compagnie de ce régiment, bombardée dans son train à Rennes fut forcé de faire à pied le reste du trajet et la compagnie de commandement, abandonna son train aux environs de Rennes et avança à pied, se reposant de jour dans les bois et marchant dans l'obscurité. Il fallut sept jours au groupe de combat pour achever son déplacement"[6].

8 juin : attaques aériennes autour de Rennes

Dès le mercredi 7 juin, lendemain du débarquement en Normandie, sept alertes furent dénombrées à Rennes par une Rennaise et des bombes tombèrent sans précision connue de leurs points de chute[7]. Le journal du 8 ne fit même pas mention de ce bombardement. Des B-26 du 397e groupe de bombardement avaient bien reçu la mission de bombarder la gare de triage de Rennes afin d'interdire à la 17e division allemande de panzers de remonter vers le nord en direction de la tête de pont des alliés, mais le rapport fit état de l'insuccès de la mission en raison du mauvais temps alors que les résultats furent bons pour un bombardement à l'ouest de Vire et sur un embouteillage de véhicules près de Saint-Lô. Toute la journée du 8, le 339e groupe de chasse américain intervint aux environs de Rennes : tôt le matin sa 503e escadrille toucha un dépôt de carburant à Betton et la gare de Châteaubourg mais on lui fit délaisser l'aérodrome de Rennes trop fortement défendu, alors que la 504e, séparée par l'obscurité et le mauvais temps, attaqua un triage et mitrailla des trains malgré une flak intense, et abattit trois appareils ennemis ; dans la matinée le groupe redécolla pour une opération combinée de bombardement en piqué et d'escorte de bombardiers vers Rennes, attaquant des triages à Vitré et Ploërmel, et il intervint encore en fin d'après-midi, bombardant en piqué des "cibles de rencontre", ponts, trains et un convoi automobile. Le groupe revendiqua avoir abattu huit Fockewulf[8]. Ces appareils tombent à Gosné, Chatillon en Vendelais, Saint-M'Hervé, Princé, Erbré, Saint-Didier, Louvigné du Désert... Il est aussi étrange de lire les souvenirs rapportés d'un navigateur sur bombardier moyen du 556e squadron du 387e groupe de bombardement qui estima que "celle (mission) qui se détache vraiment fut le raid sur Rennes en juin suivant l'invasion. Nous laissâmes la gare de triage en flammes rouge vif et je me rappelle avoir ensuite parlé à Carl Cooper, le bombardier de tête, et combien ce fut un bombardement extrêmement bref avec une Flak intense. Carl avait utilisé le Norden sight *[9] [10].

Magasin-atelier de la SNCF détruit le 9 juin 1944... mais aussi beaucoup de "dégâts collatéraux" pour les Rennais - photo de Robert Caillard

On lit aussi que ce squadron ayant reçu mission de bombarder une route sur pont à Rennes eut un résultat considéré de passable à bon, la sous-estimation de la position de la cible ayant amené les bombardiers à choisir des cibles fortuites[11]. Des B-17 lâchèrent 30 bombes sur le terrain d'aviation de Saint-Jacques, touchant le centre de contrôle de la chasse allemande, et 18 sur Bruz[12].

Pont sur la voie ferrée sur la Vilaine, touché par un bombardier de la 9th Air Force

Devant l'insuccès de l'essai américain, les Britanniques allaient prendre le relai dès le lendemain soir.

Bombardier Handley-Page "Halifax" avec 5,9 tonnes de capacité en bombes

Nuit du 8 au 9 juin, les appareils britanniques sur Rennes

Dans la nuit du jeudi au vendredi 9 juin 1944, après plusieurs alertes, des bombardiers en haute altitude lâchent les bombes, vers deux heures du matin, pendant près de trente minutes, sur les ateliers de la Gare, la rue Saint-Hélier, la rue Dupont des Loges, la rue Duhamel, l'avenue Janvier, leboulevard de la Liberté, la rue du Vieux-Cours, la place Saint-Germain, endommageant l'église, et même sur la rue d'Échange, la rue de Dinan et la rue Legraverend, à 1700 mètres des voies ferrées. "Dans la nuit, le spectacle est absolument dantesque. On a l'impression que toute l'avenue Janvier et la rue Saint-Hélier sont en flammes, comme toutes les maisons encadrant l'église Saint-Germain"[13].

Gare SNCF, l'atelier du frein, touché et désaxé après le bombardement du 9 juin 1944. Au fond, une partie de la superstructure de la brasserie Graff - photo de Robert Caillard

286 Lancaster, 169 Halifax accompagnés de 28 Mosquito "attaquent les voies ferrées à six endroits pour empêcher les renforts allemands d'atteindre la Normandie. Le groupe n°5 attaqua la gare de Rennes avec succès". Les rapports de mission font état de bombardement bien concentré avec succès, la cible balisée par 5 Mosquito équipés du système Oboe (système de localisation des objectifs, ndlr) des 109e et 105e squadrons ayant lancé les marqueurs, des feux rouge, vert et jaune lâchés de 10 000 mètres. Le plafond nuageux étant assez bas (2000 mètres), les équipages devaient passer en dessous de la couche nuageuse pour voir la cible mais sont visés par 4 canons de Flak lourds et 15 légers[14]. Des bombes de 500 kg et 225 kg sont lâchées par les Avro Lancaster de la Royal Air Force[15]. Les rapports du 463e squadron avec 16 Lancasters engagés et du 467e avec 14 font état d'un "temps médiocre tant à l'aller qu'au retour et qu'en dépit des conditions défavorables les équipages étaient confiants quant à la précision de leur bombardement, ce qui fut confirmé par un vol de reconnaissance le lendemain avec vision d'incendies encore en cours et de cratères sur la gare passagers, les hangars d'entretien et de marchandises"[16]. L'aviation britannique annonça la perte d'un Lancaster du 467th squadron à l'atterrissage au retour (un survivant sur sept) et d'un Mosquito éclaireur tombé à Saint-Erblon[17], mais il est avéré qu'un Lancaster du 50 squadron, abattu par la Flak, s'écrasa avec ses sept membres d'équipage à La Foye, en Betton[18]. Quant à la chasse allemande elle aurait perdu une dizaine d'appareils.

11 juin 1944: un cycliste sur une route, pouvoir donner le motif du déplacement : les obsèques d'une victime du bombardement[19]

On peut s'étonner de ce satisfecit quand on constate, au sol, les dégâts collatéraux jusqu'à 800 mètres de l'axe de la cible. Les raisons peuvent en être trouvées dans le fait que les formations comportaient sept à douze appareils volant de front, couvrant au sol une bande de 500 à 800 mètres et aussi dans le fait que, si les premiers lâchers étaient bien marqués, la fumée des impacts obscurcissait complètement l'objectif aux appareils suivants[20]. On relève aussi avec étonnement le rapport du 397e groupe de bombardement américain qui fait état, à la date du 8 juin, de B-26 "envoyés contre un pont de chemin de fer à Rennes mais furent contraints d'atteindre des cibles de rencontre (targets of opportunity) avec des résultats de corrects à excellents"[21].

La place Saint-Germain au matin du 9 juin 1944, cliché pris subrepticement
Photo de la 9th Air Force montrant, en blanc à gauche, les impacts de bombes tombées sur l'extrémité est de la rue Auguste Pavie
Les cuisines roulantes pour les sinistrés (Ouest-Eclair du 13 juin 1944)
Une relation sous la censure allemande

L'Ouest-Eclair du 10/11 juin et le numéro du 13 titrent sur "les raids terroristes de l'aviation anglo-américaine sur la population civile de Rennes".

La préfecture communique qu'en raison des circonstances, les obsèques des victimes seront célébrées sans aucune cérémonie officielle. Dans la vieille chapelle désaffectée du Cercle Paul Bert, rue de Paris, transformée en chapelle ardente, on aligne les cercueils sous d'immenses tentures tricolores et le quotidien publie une première liste de 56 victimes. La brève cérémonie a lieu sous une nouvelle alerte. Devant les familles des victimes placées le long des murs latéraux à la tête des cercueils, Mgr Roques[22] donne l'absoute, en présence des autorités civiles et les cercueils sont transportés vers les deux cimetières de la ville. "La population fuit Rennes par toutes les routes", relate le quotidien qui indique que "durant toute la journée d'hier, les sauveteurs, bravant le danger des bombes à retardement, ont lutté contre le feu et poursuivi les travaux de déblaiement".

Témoignages

À la cave

"Vendredi 9 juin 1944 - 18 heures. Nous venons de vivre une nuit et une journée de cauchemar. Hier soir, avant de me coucher, j'avais dit à Paulette :"L'après-midi a été trop calme, gare à la nuit!" héla, j'avais trop bien parlé.[…] Au même instant un vacarme assourdissant commence. […] Nous sommes dans l'obscurité, de temps à autre une faible lueur de lampe électrique. personne n'ose bouger. Les vagues d'avion se suivent sans arrêt. le vacarme est infernal. Je suis obligée d'avouer que j'ai peur, vraiment très peur. Les enfants se comportent très bien et ne disent rien. Pierre essaie de réconforter tout le monde mais ce n'est pas facile. Et cela dure 35 minutes !

Quand cela commence à s’apaiser, Pierre s’en va pour rejoindre son poste mais on entend encore des détonations. Enfin la fin de l’alerte sonne. Les enfants se recouchent et Jean-Pierre, qui n’a pas pleuré un instant, se rendort immédiatement. Paulette et moi nous mettons à la fenêtre et nous voyons le ciel embrasé par des lueurs d’incendie. De minute en minute le feu semble gagner. On respire une épaisse fumée à l’odeur de poudre. Un convoi est arrêté dans la rue. Les Allemands semblent inquiets et regardent le ciel. Les voitures sont couvertes de feuillages.

Nous décidons de faire chauffer du café. Il n’y a pas de gaz mais nous nous servons du chauffe-eau électrique et nous ajoutons pour les enfants un peu de lait concentré. Comme nous commençons à boire la sirène fait entendre le signal d’alarme. Nouvelle dégringolade à la cave où nous retrouvons les voisins du rez-de-chaussée. Ils ont apporté des sièges et nous nous installons plus confortablement que la première fois. Cette fois nous avons de la lumière et comme rien ne se fait entendre le moral est meilleur. Les enfants piquent des crises de fou-rire. Enfin nous remontons au signal de fin d’alerte. Nous allons voir à la mansarde. L’incendie fait toujours rage et il pleut. Finalement nous nous couchons, mais impossible de dormir. Les convois de chars, d’autos, de camions passent sans arrêt. Des bombes à retardement éclatent sans cesse.

Je suis inquiète pour Pierre. Il était quatre heures environ quand nous nous sommes recouchés. Vers 8 heures Pierre rentre. Il raconte que la rue Saint-Hélier, le boulevard Laënnec, l’avenue janvier flambent, mais ne croit pas qu’il y ait eu énormément de victimes…"

Armande de La Haye [23]

Au cœur du quartier le plus atteint

22h45 - Nous devons nous rendre au 3 de la rue Saint-Hélier, au cœur même du quartier le plus atteint. De grandes lueurs rouges animent lugubrement le ciel. Un pâté de maisons brûle près de l'église Saint-Germain. L'avenue Janvier, la rue Saint-Hélier, le boulevard Laënnec brûlent. De temps à autre des bombes à retardement explosent, des maisons s'écroulent, les rues sont jonchées de débris de verre, de fils tordus, de branches arrachées, d'objets mêlés dans un effroyable chaos… L'avenue janvier est la plus lamentable. L'eau ruisselle de toutes parts. Des convois allemands roulent sur le trottoir, dans les débris, au pied du Lycée percé de quelques trous. Kergus semble presque achevé. Circulation difficile rue Saint-Hélier où bientôt un char passera sur les amas de décombres pour faciliter les déplacements.

Nous mettons vite hommes et matériel en service. des cadavres, des blessés, des impotents passent sur des brancards; parfois avec bien du mal, ceux-ci doivent surmonter des tas de pierres et de poutres enchevêtrées sur quoi des flammèches ne cessent de tomber...

Pierre de La Haye [24]


Les 50 chevaux des transports Métraille

"Nous habitions avenue Janvier, dans un immeuble devant le lycée. Nous ne descendions jamais à la cave, mais cette nuit-là, mon père, ancien aviateur, voyant les fusées de couleurs dit que c'était sérieux et nous y descendîmes. Après le bombardement, les incendies et la fumée étaient impressionnants mais j'accompagnai mon père, directeur des Transports Métraille, à l'entreprise, en bord de Vilaine, près du boulevard Laënnec. Les dégâts étaient énormes et les 50 chevaux de trait des camions étaient "au barbecue". Au retour nous vîmes, le petit pont de la rue Dupont des Loges, situé après l’École de médecine, sur lequel nous allions passer, sauter devant nous, effet d'une bombe à retardement."

Robert Dutheil, 19 ans en 1944, entretien avec Etienne Maignen, le 27 juin 2012

Le ciel est rouge, à tel point qu'on peut lire l'heure à la mairie

" 1h45 du matin, alerte, bombes, D.C.A. J'ouvre la fenêtre : nous sommes entourés d'un cercle de feu Les bombes et D.C.A. se succèdent sans interruption. Vives lueurs à gauche du théâtre. [...] Les boums continuent, c'est vraiment angoissant. Et cela dure plus de 3/4 d'heure. Le ciel est rouge, à tel point qu'on peut lire l'heure à la mairie.[...] On parle de bombes au Prisunic et au placis Saint-Germain."

(Carnet de Mme Joseph Huchet pendant les semaines de la libération de Rennes)

Le 12 juin, au tour des forteresses volantes américaines

Le 12 juin, dès 06 h 30 du matin, le Liberator du navigateur Fred Stein est sur Rennes avec une DCA légère et sans chasse ennemie, pour bombarder un pont de chemin de fer. Il fait deux passages sur la zone ciblée et lâche quatre bombes de 1000 kg mais Stein rend compte qu'il ne peut voir les dommages causés car le pont est 6000 mètres plus bas[25].

Mais ce sont des forteresses volantes américaines B-17 et B-24 Liberators des 8e et 9e USAF qui sont sur Rennes un peu avant 13 heures. Un des trois Messerschmitt allemands, venant de Vannes, va être abattu au dessus de Romillé et tomber aux Cognets. Les deux autres tomberont l’un à Le Rheu, l’autre près de Redon. Quatre forteresses américainess sont endommagés par des Messerschmitt du II/JG 53. [26] Le B 24 Liberator du lieutenant William Balley du 448e bomber group, 712th squadron, va s’écraser à Bonnemain (La Boulaie), faisant une victime et huit rescapés, dont cinq membres d’équipage qui tomberont à Gévezé et Romillé. L’autre B 24, celui du lieutenant Wilburg Turner, tombera à Langan, faisant cinq victimes. L’un des aviateurs sera fait prisonnier, tandis que quatre autres seront camouflés et pourront regagner l’Angleterre deux ou trois semaines plus tard. Des membres d'équipage seront hébergés et soignés à La Mézière par le Dr Brassier[27].

Ce nouveau bombardement intervient alors qu'a lieu la cérémonie des obsèques des victimes du bombardement du 9 juin.

Témoignages

Encore vite à la cave

Dessin de Yves de La Haye, 9 ans

Lundi 12 juin – 20h45. Nous commençons à déjeuner lorsque Paulette nous appelle à la fenêtre. Nous nous précipitons et voyons des avions passer au-dessus de nos têtes. Au même moment un souffle terrible nous repousse vers l’intérieur de la salle à manger tandis que le bruit d’une rafale de bombes nous assourdit. Je saisis Jean-Pierre et nous descendons à la cave. Dans l’escalier nous appelons Henri qui est toujours couché et paulette se précipite vers la mansarde et l’aide à descendre. L’escalier tremble sous leurs pas. Dans le couloir, en bas, un second souffle nous refoule. Une petite fille qui passait sur la rue avec son chien entre avec nous et nous descendons tous à la cave. Le bombardement est très violent mais ne dure pas très longtemps, heureusement. Pierre sort au jardin et voit des colonnes de fumée s’élever tout près à droite et à gauche. « Ce n’est pas loin », dit-il. Et il part secourir les blessés. Lorsque c’est apaisé et nous pouvons voir nous aussi sur notre gauche une épaisse fumée. Nous apprenons bientôt qu’il s’agit de l’Adoration, rue de Brizeux, où se trouvait un dépôt de munitions qui a sauté.

Armande de La Haye


Obsèques

"Pour représenter mon père, je dois accompagner ma mère aux obsèques d'une cousine, Renée Maignen, tuée dans un bombardement.Boulevard de la Duchesse Anne, la sirène, les bombes et les obus nous arrêtent. Nos entrons chez Desgrées du Lou et descendons dans la tranchée-abri aménagée dans le jardin. Nous repartons quand le vacarme diminue, avant le signal de fin d'alerte. Rue de Paris, à notre arrivée au Cercle Paul Bert, bombes et obus éclatent de nouveau. Je ne veux pas entrer dans la tranchée creusée dans la cour. Je guette les avions, je saute pour attraper les papiers argentés qu'ils lâchent pour tromper les radars allemands. Les gens disent à ma mère que je suis courageux. C'est faux, je ne fais pas la guere. Je veux m'amuser, je n'ai que neuf ans !

En venant, j'ai bien réfléchi. Je connais l'oncle Étienne, frère de Renée, la tante Antoinette et leurs enfants. En pensant à Renée, je ne vois qu'un visage. Pas vraiment un visage, c'est flou, très flou ! je ne l'ai pas connue, Renée ne m'est rien. Je n'ai pas commencé à perdre ma famille ! Le bruit cesse, il n'y a que des papiers d'argent qui se balancent dans le soleil. Il faut entrer dans l'ancienne chapelle. Après une absoute rapide, l'archevêque vient vers moi et me demande : Mon enfant, qui avez-vous perdu ? Deux cents adultes en noir me regardent. Je ne sais pas quoi répondre. Nous faisons cercle autor de cinquante cercueils en bois blanc portant des numéros et des noms au crayon. Des pères, des mères et des enfants y sont allongés, je le sais. Je suis le seul enfant vivant présent. Je ne réponds rien. Ma mère dit :une cousine.

Yves de La Haye Je suis que Mowgli, bientôt je serai louveteau, journal d'un enfant qui n'a pas souvenir d'un avant-guerre à Rennes 1939-1947 - 2011


Rennes est encore bien touchée et principalement à des endroits éloignés de la gare et du triage. La gare de triage ne semble pas avoir été la cible principale, même si le quartier Saint-Hélier fut à nouveau touché[28], ainsi que la rue Auguste Pavie. Et le fait que la gare a pu être touchée, fait qui n'est pas une nouveauté si on pense au 9 juin, n'est même pas mentionné dans le journal du 13 qui relate que la veille, peu avant 13 heures, un nouveau bombardement a atteint le pavillon des tuberculeux et des baraquements de l'hôpital de Pontchaillou abritant des vieillards et des impotents, le couvent de l'Adoration (six sœurs tuées sont enterrées sur place dans le petit cimetière du couvent), et la rue d'Antrain, "tellement éloignés de tout objectif militaire que nombreux se trouvaient les Rennais qui s'y étaient réfugiés", allongeant la liste des victimes civiles, annonce le journal qui ne fait pas mention de la gare. Et, à nouveau, le 15 juin à 10 heures, familles, autorités religieuses et civiles se retrouvent à l'ancienne chapelle du cercle Paul-Bert et un nouveau convoi de 74 cercueils gagna le cimetière de l'Est.

Rue Nantaise, après le bombardement du 12 juin, mort et désolation
Le quotidien régional relate sous censure, même pour les lieux touchés

Concernant la "péninsule de Brest", comme est nommée alors la Bretagne par les Américains, le rapport signale, pour ce jour au titre des opérations tactiques, "16 champs d'aviation et 6 ponts de chemin de fer atteints dans les secteurs de Rennes et de Saint-Nazaire" par des B-17 et des B-24[29]. Au nombre de ces ponts devait figurer celui qui enjambe la voie ferrée Rennes - Saint-Malo pour l'entrée à Pontchaillou !

Au total, ces deux bombardements auront fait 122 morts et causé d'énormes destructions.

"Les événements militaires sont bien. Cependant le message :" Mon front est encore rouge des deux baisers de la Rennes" affole bien des gens". (Carnet de Mme Huchet pendant les semaines de la libération de Rennes, note du 13 juin) Il s'agit d'un message de la BBC.

Le Feldkommandant fait la leçon aux Rennais

L'Ouest-Eclair du 17-18 juin publie, dans un grand encadré, Un appel aux Français du Feldkommandant de Rennes. Après avoir estimé que les destructions ont fait comprendre aux Rennais ce qu'ils peuvent espérer de leurs "libérateurs" et admis que l'épouvante en voyant les morts et les mutilés a pu leur faire perdre la tête, il observe que les routes et les campagnes sont aussi bombardées et mitraillées et que la vie économique leur commande de regagner la ville et leur travail, ne serait-ce que pour aider les courageux qui n'ont pas quitté leur poste, faute de quoi ils auraient honte plus tard de n'avoir pas fait leur devoir. Et d'évoquer la possibilité de mettre à disposition de sinistrés ou de ceux qui se dévouent les propriétés et biens "lâchement abandonnés".

Le préfet, de son côté, lance des appels aux fonctionnaires pour qu'ils regagnent leur poste et promet une prime à ceux qui ne l'ont pas quitté et le maire exhorte aussi les agents municipaux à regagner leur poste.

Références

  1. Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945, par Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - 2013
  2. Royal Air Force Centre for Air Power Studies. Air historical branch (1). Air Ministry RAF Narration. The liberation of North-West Europe vol. 1 The planning and preparation of the Allied Expeditionary Air Force for the landings in Normandy chap 8, pp 178, 182, 184
  3. Vignette en couverture du livre de Mme Valentine Ladam Les Heures douloureuses de Rennes, Rennaise qui enregistra les événements presque quotidiennement.
  4. Opérations aériennes de la force aérienne expéditionnaire alliée en Europe du nord-ouest du 15 novembre 1943 au 30 septembre 1944 - Supplément à The London Gazette du mardi 31 décembre 1946 n°37838 - jeudi 2 janvier 1947.
  5. Hyper war Army Air Forces in world war II volume III Europe - General of railroad troops -sit.reprts 14-24 juin 1944- journal et cartes de situation du groupe d'armée B
  6. Royal Air Force Centre for Air Power Studies. Air historical branch (1). Air Ministry RAF Narration. The liberation of North-West Europe vol. 1 The planning and preparation of the Allied Expeditionary Air Force for the landings in Normandy chap 8, p 186
  7. Les Heures douloureuses de Rennes, par V. Ladam - imp. Les Nouvelles
  8. 339th's story (FG) as told by the men who were there. D-Day, by Stephen C. Ananian
  9. Note : appareil de calcul de précision des divers paramètres : altitude, vent position par rapport à la cible, permettant un largage automatique optimal
  10. a chronology of the 387th bombardment group (medium)
  11. Mission n°44 du 8 juin 1944 du 596th squadron(M) du 397th bombardment group (M).
  12. Combat chronology of the U.S.A.A.F. - 8th Air Force.Thursday, 8 June. Strategic operations - mission 400
  13. Mémoires d'un Français moyen par René Patay - 1974
  14. 627th squadron mission report
  15. Rapports de mission des squadrons de la RAF 50, 463, 467
  16. awmoh WW2 - air, vol. 4 ,ch. 6
  17. daily 627th squadron
  18. Ouest-France, page Ille-et-Vilaine du 14 novembre 2012 : "Ils retrouvent des débris d'un bombardier anglais" http://www.absa3945.com/9%20juin%2044/Betton/Lancaster-LL841.htm
  19. Copyright Nous, créateur de cette œuvre ou ayant droit, n'autorisons aucune réutilisation de cette oeuvre sans notre autorisation, en dehors des exceptions permises par la législation française sur la propriété intellectuelle.

  20. Une entreprise publique dans la guerre, la SNCF 1939-1945 par Yves Machefert-Tassin - actes du colloque de l'Association pour l'Histoire des Chemins de fer en France des 21 et 22 juin 2000 - 2001.
  21. Historical report of headquarters detachment 397th bombardment group (M)
  22. Voir rue Cardinal Roques
  23. Journal 6 juin - 18 août 1944 Pierre et Armande de La Haye
  24. Journal 6 juin - 18 août 1944 Pierre et Armande de La Haye
  25. Hyperwar. Always out Front. The Bradley Story chap. 20
  26. Langan durant la Seconde Guerre mondiale
  27. http://www.lepetitrapporteur.fr/articles_archives_article.php3?id=10182
  28. Les Heures douloureuses de Rennes, par V. Ladam
  29. 8 th Air Force combat chronology Monday June 12.

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