« Amand Bazillon résistant » : différence entre les versions
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Version du 9 janvier 2013 à 13:53
Devoir de mémoire
Depuis bien longtemps, je souhaitais rendre hommage à un homme que je n’ai vu qu’une seule fois. C’est la fin du mois de juin 1944. Il est mort, allongé sur de la paille hâtivement déposée sur le plancher d’une salle de classe de notre école communale à Vezin-le-Coquet (Ille et Vilaine), village proche de Rennes. Sa chemise est-elle ouverte, ou peut-être n’en a t’il pas ! Je ne me souviens pas exactement de ce détail. Ce que je vois encore très distinctement. Des points roses-violacés parsèment sa poitrine, des impacts de balles sans aucun doute. La peau est très blanche. D’autres traces bleuâtres apparaissent aussi sur la partie partiellement dénudée du corps. Je n’ai aucune souvenance des traits de son visage ou de la couleur de ses cheveux.
Je vois encore la couche de paille fraîche, bien jaune, un corps inerte gisant par dessus, des adultes qui discutent en l’observant, sans élever la voix et l’odeur fade qui flottait en ce lieu. On ne m’a pas interdit d’être là, de le regarder comme s’il s’agissait d’un spectacle de la vie quotidienne. Cette période de l’occupation nous a accoutumé à vivre des évènements qui témoignent du peu de valeur accordée à une vie humaine. Chacun s’habituant à cet état de chose. Ce mort aujourd’hui, demain des bombardements suivis quelquefois de corvées de déblaiement pour les hommes valides, des soldats allemands partout.
Des convois de véhicules et de blindés couverts de branchages, circulent sans cesse, sur cet axe Rennes-Brest. Une importante activité des troupes allemandes règne suite au récent débarquement des Alliés en Normandie. Les interventions aériennes des anglo-américains, déjà fréquentes, s’intensifient sur les routes et sur les lignes de chemin de fer en cette fin du mois de juin 1944. L’énervement de la Milice et de la Gestapo se manifeste par une recherche plus intense et une répression encore plus vive envers les personnes suspectées d’être des résistants ou sympathisants.
Un cultivateur (1) trouve dans un de ses champs à Pont-Lagot, (le certificat de décès désigne Bel Air), commune de Vezin-le-Coquet, un homme sans vie, celui d’Amand Bazillon, 20 ans. Il charge le corps sur une charrette et le transporte à la mairie-école, l’unique endroit public qui offre une place pour déposer provisoirement le défunt. Du haut de mes six ans et demi je regarde avec une grande curiosité ce cadavre qui ne m’effraie ni ne m’impressionne. Je le regarde comme un évènement du moment, que la guerre produit. Depuis cinq années que cette guerre durait, depuis quasiment toujours pour moi, curieux, j’écoute les conversations des adultes avec beaucoup d’attention, elles emplissent ma tête d’informations sur les évènements de la guerre, j’essaie de les concrétiser en les imaginant avec tous les fantasmes que peut produire l’esprit d’un enfant. Je les mets en scène sans en avoir vu l’authentique déroulement. La vie me conditionne. Ainsi les évènements qui se produisent, les situations, les conversations des adultes participent progressivement sans doute à me préparer afin d’affronter sans émotion la vue du premier mort que ma jeune existence rencontre.
Les commentaires concernant ce martyr vont bon train dans le village. Le nom de la Milice est immédiatement évoqué. On en parle bien sûr à la maison. Les enfants commentent aussi, entre eux, à leur façon, ce tragique évènement. J’ai imaginé longtemps qu’il s’agissait d’un résistant ayant participé au plastiquage du pylône électrique. Celui qui achemine le courant vers le transformateur de la Belle-Epine, tout près du lieu où est installée une batterie de DCA allemande. Ce pylône affalé après destruction est un formidable terrain de jeux, un immense mécano, propice à l’escalade. Je me persuade que c’est lui, Amand, le héros qui a détruit le pylône pour empêcher les Allemands d’éclairer les avions alliés lors de leurs passages au dessus de nos têtes, avions qui allaient bombarder Nantes ou Saint-Nazaire. Pendant 65 ans j’ai voulu croire à cette histoire, celle que je m’étais forgée enfant, qui me semblait tellement bien coller à la réalité des évènements du moment.
Assez souvent je me suis demandé qui pouvait-être exactement ce résistant, d’où venait-il, quel était son nom, quelles étaient ses activités au sein de la Résistance, à quel groupement de Résistance appartenait-il, qu’avait-il fait pour être torturé puis assassiné de la sorte et abandonné dans un champ comme une chose sans importance ? Avait-il de la famille ? Mes questions sont restées sans réponse pendant toutes ces années,
Ces dernières années, j’ai décidé de questionner plus sérieusement des anciens du village, à l’occasion de mes visites dans la région. Les premiers résultats de mes recherches ne furent pas profitables et demeuraient presque au point mort. Il me fallait pourtant, vaille que vaille, pour ma tranquillité d’esprit, donner un nom à ce résistant pour moi anonyme. J’ai mesuré à quel point l’oubli tombe très vite sur des évènements pourtant forts. Si nous ne prenons garde de les graver dans la pierre ou de les consigner dans les livres, ils disparaissent rapidement avec ceux qui en ont été les témoins. Souviens toi. ô combien souvent on rencontre ces mots inscrits en bordure de nos routes ou rappelés sur des édifices. Ce devoir de mémoire s’imposait pour moi.
En juillet 2010, je fais part de ma recherche à Madeleine Pécoil. Madeleine a toujours vécu à Vezin-le-Coquet, elle est plus âgée que moi, elle a une bonne mémoire, sa maman tenait un café sous l’occupation, endroit idéal pour recueillir des informations. C’est la bonne porte à laquelle il fallait frapper pour faciliter mes recherches
Grâce à ce contact, j’apprends le nom du village où résidait le résistant. Il s’agit de Saint-Sauveur-des-Landes, près de Fougères. A partir de cette information, je possède l’élément qui me permet de poursuivre mon enquête en interrogeant la secrétaire de mairie qui me mène au président d’une association d’anciens combattants de ce village, monsieur Emile Deroyer, cultivateur. Je les remercie tous deux pour leur sympathique accueil et pour leur pleine coopération déterminante pour ma quête.
A partir de cet instant ma recherche s’accélère, je rassemble en effet de la part de monsieur Emile Deroyer des informations précieuses. Il me fait le récit suivant, récit confirmé par le neveu d’Amand Bazillon, monsieur Jean François Bazillon et par monsieur Maurice Comére qui lui, tient ses informations directement de sa mère qui est la sœur d’Amand.
« Fin juin 1944, (en fait il a été arrêté le 16 ou 17 juin) de bonne heure le matin, des éléments de la Milice frappent à la porte de chez Amand Bazillon, l’interpellent et l’emmènent. Il est placé à l’arrière d’une traction noire entre deux miliciens. Un chauffeur est à l’avant».
Des Français collaborateurs, des scélérats qui se font passer pour des résistants ont habilement su interroger les habitants des villages alentours. Le résultat de leurs investigations les ont amenés tout droit vers Amand Bazillon qu’ils cueillent ainsi facilement. Il est transporté à la kommandantur de Fougères, puis à la prison départementale, boulevard Jacques Quartier à Rennes. A t-il été transféré ensuite au poste de la Milice, au lieu-dit la Croix Rouge à Rennes pour y être interrogé ? Je le crois fermement ! Cette maison, lieu de tortures que la Milice occupe, est surnommée «La Météo» parce que située à proximité d’une station météorologique.[1] Enfant, me rendant à pied avec ma mère de Vezin-le-Coquet à Rennes, je suis passé plusieurs fois devant ce sinistre lieu. Des chevaux de frise avec du barbelé sont disposés en chicane sur la route. Ce poste de contrôle commande une des entrées de la ville de Rennes. Une sentinelle vêtue d’un uniforme bleu foncé surveille le passage. C’est certain ! c’est à cet endroit qu’Amand Bazillon a été amené puis interrogé et torturé, son corps ayant été retrouvé, sans vie, non loin de là. Il n’a, paraît-il, pas parlé.
Beaucoup plus tard, à Rennes, c’est en 1946, des proches d’Amand sont convoqués pour reconnaître le corps à partir d’une photo du visage, retrouvée et prise après son exécution par Monsieur Fernand Bons, alors maire de Vezin-le- Coquet. Celle-ci montre des traces d’ecchymoses qui confirment bien qu’il a reçu force coups avant d’être exécuté. Lors de la découverte du corps les autorités municipales ignorent son identité car il avait été dépouillé de tous ses papiers. Amand Bazillon a heureusement pu conserver sur lui un livre pieux « L’imitation de Jésus-Christ ». En effet, Amand Bazillon souhaitait être missionnaire chez les Pères Blancs une fois la guerre terminée. Or ce livre porte la signature d’un curé dont la signature inscrite sur la première page a été déterminante pour identifier son propriétaire. Avec l’aide de l’archevêché de Rennes et grâce a l’enquête menée par monsieur Fernand Bons a t-on pu savoir que le mort est originaire de St Sauveur des Landes. Sa sœur qui vit encore à ce jour, a précisé que la semi identification de son frère, c’est-à-dire seulement la localisation de son lieu d’origine, lui a permis d’échapper à la faculté de médecine (sic). Il a donc été enterré provisoirement dans le cimetière de Vezin, près de l’église. Le cercueil et les frais d’inhumation ont été réglés avec une participation de la commune et aussi avec le fruit d’une quête faite dans le village. Je me souviens que mon père disait que Monsieur Fernand Bons, lui-même résistant, a fait poser après l’inhumation, sur la croix tombale, une petite cocarde tricolore. «mais chut !!! disions-nous, c’est interdit par les allemands d’arborer les trois couleurs »…le maire avait donc bravé cette injuste interdiction.
Un petit mur sépare le cimetière communal qui entoure l’église, du potager du directeur de l’école, de là, je peux voir la tombe, je l’observe. Je sais que ce n’est pas le fruit de mon imagination, je distingue bien encore, comme une photographie, un petit ruban tricolore sur la croix de bois de cette tombe. Le corps est rapatrié au cimetière de Saint-Sauveur-des-Landes le 23 avril 1949. Le milicien responsable de cet assassinat a voulu s’engager pour l’Indochine, afin d’échapper à l’épuration. Il a été reconnu à temps par un résistant. Il a été jugé à Rennes et fusillé, paraît-il, dans l’espace dit «de l’Enfer» du jardin botanique du Thabor à Rennes. ( Les Allemands y fusillaient des résistants) (2)[2]
Les informations rapportées que j’ai pu recueillir en interrogeant les proches ou les voisins au sujet des activités d’Amand Bazillon au sein de la résistance, sont peu nombreuses. Les personnes de son groupe qui auraient pu témoigner sont toutes disparues. On sait toutefois qu’Amand agissait au sein d’une équipe autonome dont il aurait pu être le responsable. Ce groupe avait comme dénomination locale «le maquis de la Salorge». La nuit avec des camarades, il participait à des coups de mains, dont l’attaque d’un convoi allemand. Il s’occupait également de la récupération d’armes parachutées. Il disposait aussi d’un poste radio émetteur-récepteur. Il était brave, insouciant du danger. Il faisait toutefois trop grande confiance aux gens qu’il connaissait en ne prenant pas suffisamment garde aux délateurs de tout poil qui agissaient par vengeance personnelle, par bêtise, voire par naïveté mais aussi pour certains, par cupidité ou conviction, ceux-la mêmes qui étaient de vrais collaborateurs. C’est paraît-il la cause de son arrestation.
Le nom d’Amand Bazillon s’est ajouté à la très longue liste des martyrs, de ceux qui ne voulaient pas accepter le joug de l’occupant. Le bassin de Fougères a fourni nombre de ces braves à la Résistance, pour que vive une France libre. Souvenons-nous ! In Memoriam Je n’ai trouvé le nom d’Amand Bazillon correctement inscrit nulle part, seulement sur sa tombe. Il y a des héros ignorés.
Le 20 Avril 2011 Albert Gilmet
Notes
(1) Monsieur Montgermont, boucher, à trouvé le corps dans un champ situé près de chez lui, champ qui bordait à l’époque la route Rennes-Pacé,
(2) Ouest France du 6 juillet 1946 – procès Schwaller - Le nom d’Amand Bazillon est du nombre sur la longue liste de meurtres dont Emile Schwaller chef de centaine de la milice à Rennes est responsable. Une erreur à sans doute été commise par OF qui orthographie Amand Baziller