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La Milice à Rennes
Six mois après la rupture du pacte germano-soviétique et l'entrée des troupes allemandes en URSS, les Français sont invités à venir se battre contre le communisme soviétique en s'engageant dans la LVF, la Légion des volontaires français contre le bolchevisme[1]. Les jeunes Rennais sont invités rue Du Guesclin pour faire le pas, que quelques-uns feront.
Beaucoup plus tard on leur proposera un autre engagement, sous l'égide du maréchal. La Milice française avait été implantée à Rennes en avril 1944 par Raymond du Perron de Maurin, auparavant délégué départemental puis régional de la LVF et commissaire aux questions juives.[2] Le 15 mai arrivait un détachement d'une dizaine de miliciens commandé par Emile Schwaller, ancien de la LVF qui avait combattu sur le front russe et, permissionnaire, était déjà venu à Rennes, le 23 juin 1943, participer au cinéma l'Excelsior à la commémoration du 2e anniversaire de l'entrée en guerre de l'Allemagne contre la Russie bolchevique et de vanter son engagement comme n° 76 à la LVF et ses actions contre les partisans, "des bandits composés à 90% de Juifs qui attaquent dans le dos les soldats"[3]. À Rennes il recrute son « groupe de Bretagne » qui atteint une centaine d'hommes, était cantonné presque à hauteur du lieu-dit « La Croix-Rouge » (entre route de Saint-Brieuc et route de Vezin) en rive est, au n° 110 de la rue de Saint-Brieuc et le siège était rue Le Bastard. Le 8 juin 1944 arriva de Poitiers la 2e unité de marche des francs-gardes de la Milice, forte de 160 francs-gardes, en majorité de la région parisienne, cantonnée d'abord rue du Griffon puis à l'asile de Saint-Méen, et commandée par le capitaine Joseph Di Costanzo [4] qui avait sévi en mars contre le maquis des Glières en Haute-Savoie avant de venir à Rennes. C'est au 1er étage de l'asile qu'ont lieu les interrogatoires. Di Costanzo, officier de réserve, est un dur, souvent un nerf de bœuf à la main, et lors d'interrogatoires de suspects, il ordonne volontiers de leur "faire pisser le sang", "chier leurs tripes" ou "dégueuler leurs boyaux". [5]
On dénombre, le 17 juillet, 39 détenus par la Milice à l'asile Saint-Méen. Début juillet, le journaliste milicien Pierre-André Cousteau est venu à Rennes rencontrer les francs-gardes de la Milice et visite l'asile de Saint-Méen et le cantonnement milicien et il brosse évidemment un tableau fort méprisant des résistants détenus, dans le style des propos tenus par Philippe Henriot, récemment assassiné, qui cherchait à avilir les maquisards du Vercors :
Allons au "trou" jeter un coup d'œil sur les captifs. Ils sont une cinquantaine, dont une demi-douzaine de femmes, qui attendent que les cours martiales - ou d'autres juridictions moins expéditives - règlent leur sort. Si l'on excepte un certain J..., chef régional du mouvement F.T.P., *[6] qui est un adversaire de classe auquel on est tenté de rendre hommage, les autres terroristes sont d'assez méprisables individus. Presque tous les attentats auxquels ils ont participé étaient sans danger et, devant la menace du peloton d'exécution, ce ne sont plus que de pauvres loques tremblantes et veules qui "donnent" les copains sans qu'on ait trop besoin d'insister. [7]
Les francs-gardes, déçus de ne pas barouder contre "les salopards de la résistance juive" [8] ont d'abord dû participer au déblaiement des décombres de Fougères touchée par deux vagues de bombardement les 6 et 8 juin 1944 et de Rennes après les bombardements des 9 et 12 juin 1944 . Mais, après le débarquement du 6 juin, la Milice va surtout s'activer contre les résistants en arrêtant, torturant et pillant. Le maintien de l'ordre passe sous la responsabilité de Di Costanzo qui multiplie les mutations dans la gendarmerie et les GMR ainsi que les révocations et les arrestations après abandon de poste. [9] En Ille-et-Vilaine, les miliciens participent à des opérations à Rennes, Fougères, Talensac, Saint Hilaire des Landes, Broualan, à La Lopinière, à Saint-Rémy du Plain où huit membres du maquis de Broualan sont torturés et fusillés, Di Costanzo et Schwaller s’acharnant sur l'adjudant Jean Lambert, à la Roche aux Merles, à Mordelles. André Leclerc, de Talensac, est arrêté par Schwaller le 17 juin, torturé au camp de la Croix-Rouge et achevé le 22. Amand Bazillon l'est dans les mêmes jours. Mlle Le Guet, arrêtée le 26 juillet, torturée au château d'Apigné , meurt le 28. À La Mézière le 20 juillet avaient été cachés deux aviateurs américains abattus le 12 juin, à Saint-Aubin d'Aubigné où fut arrêté
Charles Brionne, dont le corps torturé sera retrouvé par des Américains, route de Saint-Brieuc à Rennes.
. Parmi ses victimes aussi : MM. Pierre Larre et Marchand à Vern-sur-Seiche ; Désiré Faludi et Marcel Glasmau à Bourg-des-Comptes, brûlés avec des cigares et des cigarettes ; Auffret, marchand de grains à Rennes ; Joseph Maret et Pierre Louis, Marcel Lodiais à Rennes, qui réussit heureusement à s'évader ; Henri Gloux et Clément Villoury de Talensac ; Jean Trémintin restaurateur, route de Lorient à Rennes ; Auguste Thouin jardinier à Rennes ; André Roullier ; Charles Jaffrenou et Lucien Lagoutte qui connurent le supplice de la tête plongée dans l'eau; Marie Rousseau et Roger Pignel de Pacé abattus sans motif sur la route ; Henri Berthelot, inspecteur aux renseignements généraux ; Huchet-Chouan, 64 ans, épicier à Rennes qui fut torturé et dut être hospitalisé ; les frères Hippolyte et Roger Bruchet, commerçants au 50, rue d'Antrain à Rennes, dont le second Roger devait mourir des suites de torture ; les frères Georges et Armand Guihard et Toussaint Langlament de Chartres-de-Bretagne[10].
Roger Le Neuf de Neuville, inspecteur de la Milice, également chef du groupe de miliciens qui a sévi sur le secteur de Fougères et à Rennes, était encore recherché à la fin de 1945. il sera jugé et exécuté tardivement,au stand de tir de Coëtlogon à Rennes, le 13 décembre 1946, âgé de 39 ans.
À Rennes, les lieux d'interrogatoires et de tortures furent le château d'Apigné et la rue du Griffon. Dans la nuit du 30 juin trois Rennais sont assassinés en représailles de l'exécution de Philippe Henriot[11]. [12] Émile Schwaller, [13] qui avait torturé des résistants comme Ginette Lion, agent de liaison de la Résistance, arrêtée en gare de Rennes, sera condamné à mort et exécuté ainsi que Di Costanzo. Le dimanche 16 juillet, les Miliciens, ayant organisé une manifestation intime avec le concours des musiciens du Café de la Paix, ceux-ci tinrent à faire savoir qu'ils avaient fait l'abandon de leurs cachets, soit 2000 F., au profit des sinistrés[14]. Il ne leur semblait pas opportun de conserver cet argent "sale". Le 26 juillet, M. Duclos, accusé de donner asile à des terroristes, est arrêté dans son château de Trélan-en-Pléchâtel, frappé ainsi que sa gouvernante, Mlle le Guet, et ils sont conduits au château d'Apigné où ils sont torturés : Duclos trois heures nu dans une cave, bras en croix avec une bouteille d'un litre dans chaque main, coups de ceinturon, roseaux enflammés éteints sur son corps. Mlle Le Guet succombe tandis que Duclos sera finalement libéré. [15] le 23 juillet, le siège départemental de la Milice est au 1_ rue de Nemours, 3e étage.
La situation des troupes allemandes s'aggrave dans le Cotentin, mais la propagande allemande n'en continue pas moins de tenter d'attirer de jeune Français dans ses filets : fin juin, elle leur propose même de s'engager dans la marine de guerre allemande, la Kriegsmarine ! On n'imagine pas des Bretons répondre alors à l'appel de telles sirènes. L'Ouest-Eclair annonce, le 24 juillet que le siège départemental est installé 18, rue de Nemours, 3e étage. Ce sera pour une semaine…
Le 1er août, l'Ouest-Eclair - dont c'est la dernière parution - publie un long plaidoyer de la Milice en sa faveur qui est aussi une charge contre la Résistance et le texte se termine par "à suivre" . pour la Miiice il n' aura pas de suite mais la fuite.
Le 1er août vers 16 h 00, la Milice quitta Rennes, forfaits et crimes accomplis, Émile Schwaller, sa femme et son fils compris, en compagnie de membres du Bezen Perrot à bord d'un convoi du SD formé le long de l'hôpital de l'EPS Jean Macé, en face de la cité des étudiantes. [16] . Certains cependant seront reconnus, jugés et condamnés[17]. J. Delperrie de Bayac indiqua que les exécutions furent nombreuses à Rennes où une soixantaine de miliciens avaient été capturés; [18] En fait, sur les 15 condamnés à mort par la section départementale d'Ille-et-Vilaine de la cour de Justice de Rennes et effectivement exécutés, 7 étaient membres du GAJS (groupe d'action pour la justice sociale) spécialistes de la lutte contre les maquis et les réfractaires au STO, et 2 des agents de la Selbstschutspolizei arrivés à Rennes en mai 1944[19][20].
Di Costanzo, arrêté à Paris et conduit à Chelles (Seine-et-Marne), fut jugé au coin d’une rue et fusillé sur place, le 26 août 1944, pour venger Mme Blanchet, présidente du Comité de Libération de la mort de son mari tué dans l’affaire du “Bois de Boulogne" à Paris.[21]
Témoignage
Samedi 8 juillet 1944 - "Ce soir, à 20h30 peut-être, alerte avec chute de bombes assez loin, derrière Ste-Thérèse et du côté de Betton - Maison-Blanche. Je suis allé au poste de secours sans même y entrer. J'ai fait route avec Guillard. On a parlé de choses et d'autres. Comme il se séparait quelques instants de moi, j'ai regardé des miliciens monter en voiture. J'ai entendu dire par l'un d'eux à un autre, textuellement: " Tu sais comment descendre ces vaches-là, il n'y a pas à hésiter." Je garantis l'exactitude de ce propos que je me suis aussitôt promis de noter sur ce carnet. C'est effroyable. C'était dit de manière à ce que les personnes proches entendent ces propos de boucher. Quels hommes!"
Vendredi 14 juillet - "À 7h30, le 12 au matin [...] nous avons fait route sur Saint-Méen où elle a pris possession de son pupille. On a entendu une sonnerie de clairon française. Le pupille m'a dit que c'était la milice qui était installée boulevard de Strasbourg. Il nous a raconté l'histoire de l'évasion d'un prisonnier des miliciens qui devait être fusillé d'un instant à l'autre. Il nous a dit que les miliciens fusillaient de temps à autre des gens. Ils ont même là un poteau d'exécution."
Pierre de La Haye - Journal 6 juin - 18 août 1944
Jeudi 3 août.
Des jeunes gens viennent nous dire qu'on peut aller chercher Louis Huchet. Dans l'impossibilité de trouver une voiture pour l'emmener à Mandon, on l'amène ici. [22]. Son martyre a été terrible, il est noir des pieds à la tête, frappé de coups, balancé par les pieds, la tête trempée dans l'eau froide, couché à la cave sur des planches. Nous l'installons dans la chambre de Madeleine où il reçoit de nombreuses visites. L'avance se poursuit : on dit qu'ils seraient à Saint-Laurent, mais on parle aussi de résistance (monuments minés : Postes, Mairie, ponts...)
Madame Huchet (extrait d'une copie de carnet)
Références
- ↑ légion des volontaires français contre le bolchevisme
- ↑ À Rennes, Du Perron de Maurin, chasseur de Juifs puis milicien
- ↑ Ouest-Éclair du 25/06/1943
- ↑ Di Costanzo, féroce chef de milice
- ↑ L'heure de la terreur . Jean Marcilly. Historia n° 40 - 1975
- ↑ Il s'agit très probablement du Commandant Pétri », alias « Loulou », « Hubert », « Roland » ou « Tanguy » mais qui n'a pas eu de pseudonyme commençant par "J"
- ↑ Au bout de la terre. Nos collaborateurs P.A. Cousteau en Bretagne. dans Je Suis Partout - 7. 07. 1944
- ↑ Nos collaborateurs en Bretagne, Pierre-Antoine Cousteau. Je Suis Partout - 7.07.1944. Dans blog de Kristian Hamon -Juin 2015
- ↑ ADIV 43 W 57. Rapports de juin 1944
- ↑ Ouest-France, 6 juillet 1946
- ↑ Juin 1944 : des Rennais otages, fusillés, assassinés
- ↑ Nuit du 30 juin 1944, des miliciens pour assassiner des Rennais
- ↑ Émile Schwaller, à la LVF puis milicien criminel
- ↑ Ouest-Eclair du 24 juillet 1944
- ↑ Enquête sur Darnand, rapport de police du 5 mai 1945, AN 3 W 139
- ↑ L'hôpital pour prisonniers Jean Macé au temps de la libération
- ↑ Epuration
- ↑ Histoire de la Milice, t. 2, p.253 Arthème Fayard - 1969
- ↑ Les Bretons au lendemain de l'Occupation, imaginaire et comportement d'une sortie de guerre 1944-1945, par Luc Capdevila. PUR - 1999
- ↑ Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945, par Étienne Maignen. Éditions Ouest-France - 2013
- ↑ Mémoire juive et éducation
- ↑ 2, rue Brihac