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Le mystère du crime de la rue de la Monnaie en 1903

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Crime rue de la Monnaie.png
N°13, rue de la Monnaie
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Six colonnes à la une

Le samedi 28 mars 1903, en six colonnes à la une, le quotidien l'Ouest-Eclair annonce l'assassinat d'une femme à coups de hachoir, rue de la Monnaie à Rennes, ville "où depuis vingt ans au moins, le Parquet n'avait eu à instruire que quelques meurtres, tel Le crime du Pertre en 1892, rixes ou infanticides." Ce sera une énigme sensationnelle qui fera couler beaucoup d'encre et de salive.

Au n° 13 de la rue de la Monnaie, immense et vieille maison, "tranquille et bien habitée" , comprenant de nombreux locataires, on a trouvé, assassinée, Mme Coulange, "vieille dame de 60 ans", veuve d'un capitaine au 10e d'artillerie qui demeure au 1er étage, ayant quitté la place de Bretagne "pour se rapprocher du centre". L'appartement splendide a huit fenêtres sur rue. Elle y vivait seule, sans domestique, pour être tranquille, à Rennes, ville qu'elle disait la plus paisible du monde. Seule, une femme de ménage venait dans la matinée. Le jeudi, puis le vendredi, ayant trouvé porte close, effrayée, elle traversa la rue pour alerter M. Jamet, pharmacien, propriétaire de la maison, lequel prévient le commissaire de police, M. Gondel qui arrive avec un serrurier mais on casse un carreau de la véranda donnant en arrière sur la cuisine.

Horrible spectacle

Après avoir traversé la chambre et le bureau très en désordre, on trouve dans le salon Mme Coulange, près de la cheminée, dans une mare de sang car elle a un hachoir de cuisine plantée dans le cou et, près d'elle, un petit canif de poche est ensanglanté. La victime, vêtue d'une matinée[1] noire avait les vêtements entièrement relevés et "le corsage entièrement déboutonné laissait voir le corps. Les yeux grand ouverts reflétaient encore la terreur de la malheureuse. Bien que cuirassé contre tous les genres de spectacle, M. Gondelle eut un mouvement d'horreur." L'assassin s'est essuyé les mains à son mouchoir laissé sur place. On trouve dans la cuisine un petit coffret laqué, défoncé et vidé. On suppose que le mercredi soir, la dame avait ouvert le judas puis la porte à quelqu'un de connu ou se recommandant d'une personne connue. L'assassin a dû rechercher des valeurs ou de l'argent car les objets précieux ont été délaissés. La femme de ménage interrogée décrit une dame sympathique, prêtant la main aux travaux ménagers, un peu défiante, regardant par le judas, sortant très peu, ne recevant que très peu de visiteurs accueillis au salon, mais devait toutefois recevoir une visite ce mardi précédant le crime. Pour la femme de ménage, il ne s'agit pas d'un crime sexuel : "c'est pour donner le change que l'assassin a donné une mauvaise posture au cadavre". La victime laisse "une assez joli fortune" qui ira à des cousins éloignés. Le long article se termine par l'information incertaine que le parquet aurait lancé un mandat de perquisition chez une personne soupçonnée...


Au menu du lecteur le dimanche 29 mars

Le journal fait ses choux gras avec ce crime : "devant l'explosion de la curiosité générale" - à laquelle il contribue fortement - il a publié une 5e édition le vendredi soir. et le samedi, jour de marché, les rotatives n'ont cessé de tourner. Il remonte à 1878 pour déterrer l'assassinat d'"une vielle demoiselle de 67 ans", étranglée à son domicile, 22 place des Lices par un neveu qui fut condamné à mort et exécuté sur le Champ de Mars. M. Guesdon, le juge d'instruction, fait les constatations: le coup de hachoir a été si violent que le sang a jailli sur la cheminée, outre deux blessures au cou, le corps a été criblé de coups de hachoir et de couteau Pradel.

À 11h30 le corps est mis nu dans un cercueil provisoire et il est sorti et transporté, pour autopsie à l'amphithéâtre, sur une voiture à bras "comme une malle que l'on emporte à la gare", devant la foule qui commente ce pénible spectacle et le journaliste de s'offusquer que l'on ne trouve pas de voiture fermée pour transporter le cadavre de la victime d'un épouvantable assassinat. Le Dr Perrin de la Touche[2], médecin-légiste, directeur de l'école de médecine, ne donne pas d'information sur les résultats de l'autopsie, mais le journal indique que la mort est intervenue par coup de hachoir entre 17 et 18 heures.

Fortune et testaments

On interroge la femme de ménage et une amie de la défunte, Mme Chartier, qui indique que la défunte a fait un testament olographe déshéritant ses neveux et était d'une grande méfiance et pingre : ses neveux étant venus à Rennes pour l'enterrement de la grand-mère, Mme Coulange leur aurait fait payer leur pension chez elle. Un neveu, M. Delarbre d'Aron aîné est attendu à Rennes où il vient assister aux obsèques. Quant aux pistes, le journal dit savoir beaucoup de choses mais se taira, pour peu de temps promet-il.

Au menu du 30 mars

En fait le menu affiché pour le 30 mars est maigre. M. Guesdon n'aura plus de dimanche jusqu'à ce qu'il ait retrouvé l'assassin. Il a sérieusement travaillé les redevenus prudents, les deux femmes de ménage qui se sont succédé : Mme Coulange était peut-être avare, défaut de vieilles gens, estime le journal, mais de parfaite honnêteté. N'a pas encore été entendue la concierge de la place de Bretagne à laquelle un homme en noir aurait demandé si Mme Coulange demeurait toujours dans la maison. Le neveu Delarbre d'Aron, pharmacien à Sainte-Menehould (Marne), est arrivé et se dit très affecté. Les obsèques sont fixées au mardi, à dix heures avec office à la basilique Saint-Sauveur.

Un coup de théâtre

Devenus prudents, les Rennais ferment les portes le soir à 21 heures. Et les bobards de courir : outre l'homme en noir, le criminel ne serait-il pas membre d'une de ces bandes de voleurs cosmopolites qui s'abattent sur les grandes villes, et il y a eu de nombreux cambriolages à Rennes récemment ?

Voici que le juge d'instruction découvre un petit coffret en acier à secret contenant des valeurs en titres pour 104 000 F. et 3700 F et deux testaments sont aussi dans le coffret, avec legs de la moitié de sa fortune au Sacré-Cœur de Montmartre, l'autre à sa commune natale, Fismes (Marne). Deux montres en or et une boucle d'oreille "à cent sous", tel est le butin de l'assassin voleur, estimé à 250 F. On découvre aussi 300 000 F en banque (environ 1 300 000 €). La piste de l'homme en noir est abandonnée, celui-ci ayant été identifié comme honnête homme. Une ancienne femme de ménage qui avait travaillé quatre ans chez Mme Coulange la décrit d'une avarice extrême, mais charmante et instruite.

Le mardi, une foule considérable est massée devant le 13 rue de la Monnaie. En tête d'un étrange cortège, le neveu Louis Delarbre d'Aron. Tiennent les cordons du poêle le commandant Coutance, conseiller municipal, le premier clerc de Me Bourges, M. Jamet, pharmacien et le corbillard part, précédé du neveu et suivi par le clergé. Suivent le procureur général, le procureur de la République, le juge d'instruction et son greffier. Après la messe le cortège se rend à la gare où le cercueil est placé dans un fourgon à bagage. Une dizaine de personnes aspergent le corps et M. Delarbre d'Aron sert des mains. Le fondé de pouvoirs à la Trésorerie générale affirme au juge d'instruction avoir vu la victime à 5 heures du soir, place de la Mairie.

Des pistes ? Silence et queue de poisson

Deux personnes auraient vu quelqu'un à une fenêtre de l'appartement le mardi ou le mercredi. L'assassin ne pourrait-il pas être ce monsieur bien mis, entré chez une dame âgée qui lui aurait abandonné une somme importante sur l'injonction : "Donne-moi de l'argent ou je te tue". Un ami de la famille, le commandant Coulance, révèle que la vieille dame jouait beaucoup à la Bourse et le conseillait. Le journal fait état des racontars : un camelot suspect, des religieuses prises pour des assassins travestis. "La terreur continue à Rennes" affirme le journal ; un Rennais cherche à acheter à un officier de réserve son revolver d'ordonnance.

Il n'y a plus guère matière à alimenter la curiosité publique. Le 2 avril, le journal constate que "le mystère angoissant n'est pas près de s'éclaircir" et rapporte des hypothèses imaginées : un homme connaissant la situation de fortune de Mme Coulange et ayant besoin d'argent... et le 3 un petit titre annonce : "Toujours rien de nouveau" et, le 4, "Toujours rien de neuf". Le 5 et le 6, le journal fait état d'un mendiant anarchiste, vu chez plusieurs commerçants, qui ordonnait "Vous allez me faire la charité" et qui, sur le refus, aurait proféré :" Il y en a avec qui ça n'a pas traîné". Et pourquoi ne suit-on pas la piste du mouchoir laissé par l'assassin ? suggère le journaliste de l'Ouest-Eclair le 7 qui est muet et le 8, pour la première fois depuis 8 jours et le reste jusqu'au 15 lorsqu'il annonce l'arrestation d'un homme dénoncé par son amie emprisonnée à Mayenne comme l'auteur du crime de la rue de la Monnaie et le lendemain le journaliste se défend d'avoir inventé, et de même le 18. Le 27 on annonce que Michel Castigliona, a été amené à la prison de Rennes et doit être confronté avec son amie qui l'avait dénoncé.

L'affaire de la rue de la Monnaie a débuté depuis plus d'un mois et maintenant plus rien dans un journal où ont pris place les incidents dus à l'affaire de l'expulsion des congrégations non autorisées (3000 personnes ont protesté à Rennes le 6 mai). Le 20 mai l'Ouest-Eclair annonce que le Parquet reprend la piste d'une personne qui aurait fait des dépenses sans rapport avec son état de fortune et il observe que le Parquet, qui espérait avoir rapidement la solution du mystère tire toute la couverture à lui, ne laissant aux agents de la sûreté aucune initiative. L'un deux a même déclaré qu'il connaissait l'assassin et qu'il était prêt à l'arrêter mais qu'on le lui défendait. Et le journal se plaint du mutisme du Parquet, expliquant par ailleurs le silence du journaliste par le respect des consignes du Parquet.

Le crime de la rue de la Monnaie est dès lors hors sujet. Occupent les colonnes l'expulsion de congrégations religieuses, les manifestations cléricales et anticléricales. Résurgence factice : en avril 1907 deux femmes ont disparu, et l'une d'elles, dans ses divagations, s'accusait d'avoir assassiné Mme Coulange et une brève allusion humoristique, telle celle du 13 janvier 1910 : Un gardien du Thabor a trouvé dissimulé dans un bosquet... - Quoi ? un cadavre? La carte de visite de l'assassin de Mme Coulange ? - Non ! un paquet d'effets... Et le 20 mai 1920 l'Ouest-Eclair, à propos d'un crime rue de Dinan rapporte l'échange entre deux femmes :" Etiez-vous ici quand a été commis l'assassinat de Mme Coulange, rue de la Monnaie ? -Non. -C'était, je crois en 1902. Or on n'a jamais découvert l'assassin - Alors vous en concluez ? - Que cette fois, ce sera la même chose. Si l'assassin avait dû être pincé, il le serait déjà".

Note et références

  1. Matinée : déshabillé féminin qui se portait le matin
  2. rue Perrin de la Touche