En 1832, au 10 rue Saint-Georges, une couturière exfiltreuse
En mansarde, rue Saint-Georges
Mlle Quéret, 48 ans, habitait deux chambres en mansarde dans la maison noire et délabrée du n°10 de la rue Saint-Georges [1] et y exerçait l’activité de tailleuse avec deux apprenties, menant une vie modeste, et le journal l’Ouest-Eclair[2] rapporte son action sous le titre : « Un coup d’audace , une émule de Mme de Lavalette ». C’est donc d’une aide à une évasion qu’il s’agit puisque, grâce à son épouse, le comte de Lavalette, ancien aide de camp de l’empereur auquel il était resté fidèle, traduit devant la cour d’assises pour conspiration avait été condamné à mort le 21 novembre 1815, recours en cassation rejeté, n’avait pas obtenu pas la grâce de Louis XVIII trop heureux de répondre aux exigences des Ultras. Mais la veille de l’exécution, Madame de Lavalette et sa fille rendirent visite à leur mari et père. Lavalette échangea ses vêtements avec ceux de son épouse et sortit au bras de sa fille, incognito, un mouchoir lui dissimulant le visage.
Une couturière engagée
Mlle Quéret, née à Evran d’un père médecin, royaliste avéré, qui avait soigné les chouans blessés avait narré ses actions à sa fille qu’il avait laissée sans fortune. Celle-ci, de haute taille et de visage énergique, trouva en septembre 1832 l’occasion d’agir dans le sillage de son père. L’ancien chef de bataillon Guillemot était fils de Pierre Guillemot , l’un des principaux chefs chouans du Morbihan surnommé le « Roi de Bignan » qui avait œuvré aux côtés de Cadoudal. Julien Guillemot, entré dans l’armée sous la Restauration, il avait, lors de la révolution de juillet, voulu servir le roi Charles X et avait entretenu dans l’ouest un retour de chouannerie dont tenta de profiter la duchesse de Berry . Arrêté le 12 octobre 1831 près de Moréac déguisé en paysan et sans arme, sur un vieux cheval, Julien Guillemot avait été envoyé, le 12 juin, de Vannes à Rennes, à la prison Saint-Michel et condamné, le 16 août, à la déportation.
Elle déguise et exfiltre le chef chouan
Les légitimistes, nombreux à Rennes, avaient cherché un exploit retentissant en délivrant Guillemot de sa prison où il était encore, plus de quinze jours après sa condamnation, et ils contactèrent Mlle Quéret dont ils connaissaient les convictions héritées de son père. Adolphe Orain fait état de deux soeurs Quéret[3]. La cellule de Julien Guillemot était sous haute surveillance : elle donnait sur un passage sur lequel donnait une fenêtre de la loge du concierge. Le détenu avait droit aux visites. On réussit à faire passer à Guillemot un costume de femme et un chapeau avec voile épais, et Mlle Quéret, accoutrée de même, s’exerça à imiter la démarche et l’allure du prisonnier. Le 9 septembre, vers 17 h 00, elle se rend à la prison, passe devant les sentinelles et se rend à la loge du concierge qui ne la connaît pas, mais elle constate que le concierge y est remplacé par sa belle-sœur, une dame Gougeon, une ancienne voisine de Mlle Quéret. Vite, elle se débarrasse, dans un coin sombre, de ces inhabituels vêtements et se présente, prétextant vouloir remettre une somme à l’aumônier pour une messe à un malheureux nommé Jean Caro, guillotiné le 28 juin sur le Champ de Mars[4]. Mais elle constate que la fenêtre donnant sur le passage est ouverte, aussi, prétextant un mal de gorge, elle demande à la dame Gougeon de la fermer. Le prisonnier sort alors de sa cellule, la porte en ayant été ouverte par un jeune guichetier complice. Vêtu de son déguisement, le prisonnier passe sans ennui devant les sentinelles qui le voient comme la femme vêtue de noir entrée précédemment. Le Journal des débats politiques et littéraires du 13 septembre rapporte brièvement l'évasion de Guillemot et indique que Mme Guillemot était présente. Il quitte Rennes en cabriolet et, deux jours plus tard, il aurait été à Jersey. Mais Julien Guillemot, dans sa lettre à ses neveux, n'écrit que trois lignes sur cette évasion rocambolesque :Trois semaines après ma condamnation, le 9 septembre 1832, grâce aux soins prévoyants de votre tante, aux démarches actives de mes amis, et grâce surtout au courageux dévouement de Mlle Quéret, que je n'avais jamais vue, je pus m'évader de la maison de détention et retourner dans le Morbihan. Mes amis eussent voulu me faire passer de suite en Angleterre, mais dans ce moment, cela n'était pas raisonnable de leur part parce que S.A.R. Madame était encore dans l'Ouest, exposée aux dangers. [5]
Condamnée puis oubliée
Mlle Quéret quitte tranquillement son interlocutrice et, ne cherchant pas à fuir, regagne sa mansarde où la police vient la chercher le lendemain. Les ultras rennais applaudissent et se moquent de la magistrature de Louis Philippe. L'effet produit à Paris, au faubourg Saint-Germain est considérable. Mlle Quéret est traduite, le 21 octobre, devant le tribunal correctionnel, avec le concierge et le jeune guichetier complice, dans une atmosphère d’émeute, une foule demandant son élargissement. Elle seule est condamnée à cinq ans de prison, ramenés à deux par la cour royale, peine qu’elle accomplit parmi les condamnées de droit commun ; et elle refusera la grâce.
Libérée, elle revient à Rennes et y reprend son travail de tailleuse, recevant au début des messages de l’entourage de Charles X et de la duchesse de Berry et quelques subsides, mais tout ceci s’espace et s’arrête. Un journaliste, Théodore Muret , rendra visite à l’ancienne héroïne légitimiste et s’indigne de sa misère, mais elle demande qu’on l’oublie.
références
- Une Émule de Mme de Lavalette Jules Bertaut Le Temps, 2 novembre 1935
- L'Insurrection de 1832 en Bretagne et dans le Bas Maine, p. 339. Vicomte A de Courson. Émile-Paul éditeur. Paris - 1910 </ref>