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Disparu dans l’enfer des voies de triage de Rennes, le 17 juin 1940

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René Nouyou, victime d’un "accident du travail"

Le 28 août 1940, M. Ferment, chef de dépôt principal à Rennes, déclare en mairie de Rennes "l’accident survenu à Nouyou René, au service de la SNCF, le 17 juin 1940 au cours et sur le lieu de son travail". Des déclarations d'accident ont bien été effectuées, les jours suivant le bombardement allemand du 17 juin, par Henri Rault, le chef de gare, pour quelques cheminots rennais blessés (Marcel Barroche avec plaie contuse du dos, Jean Noe pour contusion hémithorax droit, Désiré Vasseur pour plaie contuse à la cuisse droite) mais ce sera une déclaration très tardive pour René Nouyou car, étant disparu, il ne peut faire l'objet d'une déclaration d'accident, mais il y a bien une interruption de travail de Nouyou. Il faudra attendre trois mois.

Machine identique à celle sur laquelle se trouvaient le mécanicien Famechon et le chauffeur Nouyou
Demande d'enquête
Déclaration d'accident survenu le 17 juin 1940

Le 20 septembre, Théodore Brindejonc, juge de paix du canton de Rennes sud-est, assisté de Me René Traversi, procède, au palais Saint-Georges, à l’enquête prévue par la loi du 9 avril 1890 modifiée par celle du 22 mars 1902 qui stipule à la charge de l’employeur d’un accidenté par machine, une indemnité dès lors que l’interruption du travail a duré plus de quatre jours. Or l’interruption du travail de René Nouyou est très au-delà de ce délai depuis… 92 jours. C’est le régime juridique de l’absence car Noyou n’est que disparu, disparu comme des dizaines de passagers des trains, ce 17 juin, dont les corps calcinés, démembrés, n’ont pu être retrouvés ou identifiés. Mme Nouyou, son épouse, mère de trois enfants, habitant 126, rue Ginguené, sans nouvelles depuis plus de trois mois, sans aucune trace de son mari, sans revenus, a demandé de faire entendre comme témoin M. Famechon qui se trouvait sur la locomotive avec son mari « au moment de l’accident » car, jusqu’à présent son mari n’est qu’un accidenté…

L’audition de M. Famechon, 33 ans, a lieu le 11 octobre, sous serment, en présence de M. Duchesne es qualités, chef de groupe à la SNCF, et de Mme Veuve Nouyou. Les traitements et salaires touchés dans les douze mois ayant précédé « l'accident » (y compris les sommes retenues pour la retraite) s’élèvent à 11 790 F. Mais M. Duchesne énonce une réserve qui est plus qu’une clause de style : il fait « toutes réserves sur la validité de la procédure suivie et par conséquent des conclusions qui en seront tirées. »

Avis d'obsèques de René Nouyou, Ouest-Eclair, 26 janvier 1941
Extrait du P.V d'enquête contradictoire [1]
Enquête contradictoire

Ces réserves conduisent, le 22 octobre 1940, à une enquête contradictoire sur l’accident survenu à M. Nouyou René, mle 170.315, présumé tué lors du bombardement de la gare de triage St-Hélier le 17 juin 1940. [2] Le procès-verbal donne les renseignements suivants constatés par M. Legoubey, chef de gare, service de l’exploitation, M. Ferment, chef de dépôt principal, service du matériel et de la traction, M. Le Boul, sous-ingénieur, chef de section service voie et bâtiments. Ces agents viennent à la rescousse pour la validation du témoignage du mécanicien Famechon. La machine 140.349 montée par le mécanicien Famechon et le chauffeur Nouyou, suivie d’un wagon dortoir où se trouvait la seconde équipe (Leroux et Patry), train en cours d’opération, venant du Mans, rentrait au dépôt de Rennes, tender en avant. Le convoi se trouvait gare du triage St-Hélier lorsqu’il fut surpris par le bombardement des voies de triage.(Ndlr : On remarque qu’il disposait d'une voie dans un triage pourtant très encombré.)

Le chauffeur Patry s’échappe du wagon dès les premières explosions. Il ne fut pas atteint. Le corps du mécanicien Leroux fut retrouvé carbonisé à l’emplacement même où il se trouvait dans le wagon-dortoir. (d’après les déclarations de son chauffeur Patry).

Le mécanicien Famechon, après s’être couché sous l’abri est « tombé dans le coma ». Lorsqu’il revint à lui, il n’aperçut pas son chauffeur. Il réussit ensuite à s’échapper. M. Famechon, mécanicien de route à Amiens, replié à Rennes, témoigne : En rentrant au dépôt à allure très réduite, en face de la gare de triage plaine de St-Hélier, mon chauffeur et moi apercevant au-dessus de nous des avions allemands qui lançaient 4 torpilles, j’arrêtai ma machine et le chauffeur Nouyou descendit rapidement sur le côté droit de la machine ; tender avant pour se mettre à l’abri, sur ce, les torpilles explosèrent et un train de munitions à proximité de la machine sauta [… ] Lorsque je revins à moi, je ne revis plus Nouyou. Sans aucun doute, il a été tué lors de l’explosion du train de munitions ou par une des quatre torpilles lancées sur nous.

Le rapport constate que, si le wagon-dortoir ayant brûlé est hors de service, la machine et le tender sont réparables pour un coût de 101 621 F. (Ndlr : 39 000 €)


Le rapport spécial du chef de gare principal conservé aux Archives nationales expose que « du fait que les plus violentes explosions se sont produites vers le milieu des plateaux, le personnel SNCF occupé en tête des faisceaux n'a pas été atteint. » La SNCF enregistre trois agents tués, trois blessés et deux agents de traction portés disparus. Elle constata que 12 000 mètres de voies étaient détruits au triage de Baud et 8000 à celui de Saint-Hélier. L'explosion du train chargé de cheddite (Ndlr : des explosifs qui présentaient, par rapport aux dynamites Nobel, des avantages de prix et de commodité d’emploi, et qui pouvaient ainsi espérer trouver un certain débouché dans les mines et carrières) avait ravagé le site : Dans le plateau de Saint-Hélier, au centre du "faisceau" avait été creusée par des bombes une tranchée de 100 mètres de long, de 4 mètres de large et de 4 mètres de profondeur, tranchée que la rupture des conduites remplit d'eau. Aux environs de cette mare se dressaient des amoncellements de ferrailles enchevêtrées, amas de débris des wagons et des voies. [3]

Sur la plaque commémorative

Dans la longue liste des décès du 18 au 24 juin parue dans le bulletin d'informations d'Ille-et-Vilaine du 28, on lit à l'état civil du 22, "Gabriel Le Roux, 45 ans, marié, mécanicien à la SNCF, plaine de Baud" (22 juin : ce qui laisse supposer que son corps n'avait pas été identifié sur le champ). Mais ce n'est que le 30 janvier 1941, plus de sept mois après la disparition de son mari, sans doute après un jugement de décès mettant fin au régime d'absence, que Mme Nouyou avec ses trois enfants put célébrer un service à sa mémoire, en l'absence de son corps et publia des remerciements le 1er février.

Médaille fête du travail.jpg

Le 1er mai 1944, à l'occasion de la fête du travail, le gouvernement de l'État français fait honorer les cheminots méritants qui ont servi avec sang froid malgré les attaques et les bombardements des gares et des triages. Le préfet d'Ille-et-Vilaine, M. Bouché-Leclercq, distribue, lors d'une cérémonie en gare de Rennes, une belle médaille à l'effigie du maréchal Pétain aux cheminots vivants ou morts et René Nouyou est dans la liste des récipiendaires. Après la guerre, les noms de R.Nouyou, ouvrier et G. Le Roux, mécanicien, sont gravés sur la plaque à la mémoire des 80 cheminots de Rennes tués par faits de guerre de 1939 à 1945.

Mais la disparition de Nouyou est un cas de décès parmi tant d’autres ce 17 juin 1940. C’est le désastre humain d’un millier de tués et de plusieurs centaines de blessés qui marque ce bombardement effectué par trois ou cinq bombardiers bimoteurs Dornier DO 17 Z, sur les deux triages de Rennes où sur chacun stationnait un trains de munitions parmi les trains de voyageurs.

Photo du triage de Saint-Hélier prise du sud-est vers le nord-ouest le 21 juin, avec à l'horizon, à gauche clocher de Notre-Dame, puis à droite, clocher de la chapelle du collège Saint-Vincent, et à droite, celui de l'église Sainte-Jeanne-d'Arc. Légende : "Vingt à trente trains de transports pleins de soldats et de matériel stationnent en gare de Rennes. Tous les wagons sont détruits par une seule formation de combat" (Photo datée du 21 juin 1940 d'un album d'un soldat autrichien)

Qui sont les responsables de l’ampleur du désastre ?

Un chef de gare compétent

Le chef de gare, M. Rault, était en fonction à Rennes, en qualité de chef de gare principal de 1re classe à Rennes, depuis le 21 janvier 1938 et avait fait alors l’objet d’un bel article avec photo du journal Ouest-Eclair. Le promu, d’origine bretonne, titulaire de la Croix de guerre obtenue à la brigade des fusilliers-marins, était passé par Paris puis Niort, et venait de Sotteville-lès-Rouen où il dirigeait l’une des plus grandes gares de triage françaises. Les divers services de la gare de Rennes, prédisait le journal, auront en lui un directeur actif, ferme et dévoué. Le 12 janvier 1940, M. Moreau, chef de gare à la Grande Vitesse, principal collaborateur de M. Rault, était nommé chef de gare de Nantes-Orléans et remplacé par M. Bourda, sous-chef de gare principal aux Batignolles .

La gare de Rennes subit le terrible bombardement du 17 juin 1940.

Mais débordé

Le Dr René Patay, chef du service des réfugiés[4], met en cause les services de la gare de Rennes :

« Le nombre des victimes, hors de proportion avec le nombre et l’importance des bombes larguées, vient d’une négligence criminelle des services de la gare de Rennes qui, plaine Saint-Hélier, ont placé le train d’artilleurs contre un train de cheddite qui, en sautant, a broyé et enflammé le train voisin et, à Baud, ont mis un train de munitions entre le train des Anglais et celui des artilleurs français. »

Avril 1939, Henri Rault, le chef de gare hors classe

Patay ne met pas en cause le général Bazoche, chef militaire de la place, avec lequel il a eu pourtant quelques démêlés et l'on peut penser que les autorités militaires, en plein désarroi et dont les décisions fluctuent, ne contribuent guère à la nécessaire coordination avec les autorités civiles.

Il est certain que la tâche du chef de gare de Rennes n’était pas aisée en ces jours de mi-juin. On sait que le 16 juin au soir, les triages sont tellement encombrés qu’un train de militaires stationne sur la voie en passage supérieur du boulevard Voltaire, à plus de 3 km du triage Saint-Hélier et plus de 4,5 km du triage de la plaine de Baud.s[5] La pagaille a dû s’installer et les chefs sont probablement dépassé Après le désastre et l’occupation allemande, aucune mise en cause ne se fait jour dans la presse. On ne trouve pas trace de leurs responsabilités lors des jours dramatiques de juin.

Puis déplacé

À peine trois mois plus tard, le 12 septembre, M. Rault, dont on avait apprécié pendant deux ans les qualités d'administrateur et qui" s'était attiré de nombreuses et vives sympathies", affirme le journal, est déplacé, nommé inspecteur principal adjoint à M. Baily, chef d’arrondissement exploitation de la S.N.C.F. à Nantes et est remplacé à Rennes par M. Citeau. Le journal nous apprend qu’une "belle manifestation de sympathie" des cheminots à l’occasion du départ de Rault et de celui de M. Durand, sous-chef de gare, nommé chef de la petite gare de Savenay, eut lieu, le 7 novembre, au restaurant Bouteille, boulevard Solférino, avec éloge de M. Rouault. Aucune allusion à la terrible période de la mi-juin. Et l’édition nantaise de l’Ouest-Eclair ne cite en 1940 ni M. Baily, ni son adjoint M. Rault, absence résultant du peu d'intérêt de fonctions sans rapport direct avec le public, voire plus probablement de niveau subalterne. Il s’agirait donc d’une rétrogradation du chef de gare et du sous-chef de gare de Rennes.

Stephanus

Références

  1. copies remises à Étienne Maignen par M. Maurice Nouyou, fils de René Nouyou, 2013
  2. copie du procès-verbal d'enquête contradictoire remise par M. Nouyou fils à M. Maignen
  3. Ouest-Eclair, 29 août 1940
  4. Mémoires d’un Français Moyen,p.123. René Patay - 1974
  5. Bombardement du 17 juin 1940 : témoignages