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Napoléon III à Rennes

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Le séjour de Napoléon III à Rennes termine en apothéose son voyage en Bretagne en août 1858, un voyage qui n'est pas que touristique.

Un voyage utile

Le 14 janvier 1858, le couple impérial arrivant à l'Opéra, sort indemne d'un attentat qui tue huit personnes et en blesse cent cinquante. Orsini sera guillotiné le 18 mars, mais l'empereur y voit une incitation à pousser les feux en faveur d'une Italie unie et indépendante, qu'il voit comme un gage de tranquillité en Europe. Il rencontre, les 21 et 22 juillet à Plombières, Cavour, le premier ministre du royaume de Piémont-Sardaigne en vue d'une confédération italienne dont le pape serait président. Les faveurs du parti catholique sont à obtenir et un voyage dans la Bretagne catholique constituera un élément positif. Celui-ci est programmé juste après la rencontre avec la reine Victoria, à l'occasion de l'inauguration du nouveau port de Cherbourg, les 4, 5 et 6 août.

Considérée comme catholique, cette province est aussi favorable à l'empereur. Les récentes élections du 13 juin pour le renouvellement du tiers des conseils généraux ont confirmé le vote très favorable au prince président enregistré au plébiscite de novembre 1852 sur le rétablissement de l'empire (41,6% oui, et 4,7% non). L'empereur est au sommet de sa gloire; l'aura d'avoir échappé à l'attentat s'ajoute aux récents succès de Crimée.

Un voyage très organisé

Arrivé à Brest le 9 août de Cherbourg à bord du vaisseau "Bretagne", le couple impérial se rendra à Quimper, Lorient, Sainte-Anne d'Auray le 15, Saint-Brieuc, Saint-Malo, et achèvera son tour de Bretagne à Rennes les 19 et 20 juin, où est prévu le principal discours de l'empereur. Les Rennais doivent remonter à 1598 pour retrouver un événement similaire : Henri IV à Rennes !

Les préfets ont préparé le voyage sous la surveillance du ministre de l'Intérieur et avec le concours des autorités militaires et religieuses. C'est ainsi que le nouveau préfet d'Ille-et-Vilaine, Paul Féart, choisi par l'empereur et nommé le 4 juin, en remplacement de Daniel Pastoureau, en prévision de ce voyage, a écrit aux maires les incitant à prendre la tête de leurs administrés "qui désirent saluer de leurs acclamations l'élu du suffrage universel" auxquels il aura facilité le voyage de Rennes, en organisant des transports économiques avec des crédits pris sur "fêtes publiques et dépenses imprévues". Il a aussi fait préparer "des drapeaux portant, au-dessous de l'aigle impérial, le nom de la commune, qui doivent être le signe de ralliement pour le conseil municipal et les habitants". Dans son rapport sur le mois de juillet adressé au ministre de l'intérieur, il fait un pronostic très favorable :"Le voyage de Leurs Majestés Impériales en Bretagne est considéré comme un événement d'une telle importance qu'il est la seule préoccupation du moment[...] Les renseignements que je reçois de tous côtés me portent à penser que Leurs Majestés seront satisfaites de l'accueil...".[1] D'anciens militaires concourront à l'ordre. Les habitants des communes rurales formeront une haie d'honneur au passage du couple impérial sur la route de Saint-Malo à Rennes. Cent-cinquante "suspects" ont été listés et seront surveillés. Quant à l'évêque, Mgr Godefroy Brossays Saint-Marc, il n'est pas en reste, invitant les curés à orner leurs bourgs d'arcs de triomphe, à faire sonner les cloches et à assembler leurs ouailles autour des croix et bannières.[2]

L'accueil enthousiaste de Rennes

À 16 heures le 19 août, l'empereur Napoléon III et l'impératrice Eugénie abordent Rennes. Presque à l'entrée de la ville, un trophée a été élevé, constitué d'instruments d'agriculture par les soins du directeur de la ferme-école des Trois-Croix, et le couple imérial s'y arrête. Au lieu-dit le Rond-point, route de Saint-Brieuc, sont réunies les autorités de la ville et le préfet y va de son discours, assurant "leurs majestés" que les populations d'Ille-et-Vilaine sont ici pour manifester leur dévouement à l'empereur, mais aussi les représentants de toute la Bretagne. Puis le maire, le comte de Léon, présente les clefs de la ville capitale à l'empereur et souligne qu'auront visité la cité "Henri IV, de chère et glorieuse mémoire, et Napoléon III, bras puissant de la Providence qui retient l'Europe suspendue sur l'abîme révolutionnaire". * Après avoir parcouru le Mail bordé par la foule, le cortège où le couple est en calèche découverte, passe sous un arc de triomphe, à hauteur de la porte de l'école d'artillerie, et s'arrête à la cathédrale où l'évêque en mitre et crosse à la main, accueille les souverains en termes dithyrambiques et vante à Napoléon III qu'il qualifie de "soutien de la Papauté au 19e siècle", les "traditions de foi et de moeurs antiques" d'une population et d'un clergé tout dévoués; puis le couple entre dans la cathédrale où 1500 prêtres sont massés et entendent l'empereur dire à l'évêque :"Si un archevêché de Rennes peut vous être agréable, je suis heureux de vous l'offrir." L'influent Mgr Brossays Saint-Marc obtient ainsi la récompense qu'il avait exigée en échange de son appui politique et de sa dévotion à l'empire et retentissent sous les voûtes les cris de vive l'Empereur !

A lieu ensuite une réception à la préfecture où des jeunes filles remettent des corbeilles de fleurs à l'impératrice et où s'adressent à l'empereur les présidents de la cour impérial, du tribunal civil et du tribunal de Montfort. Après le dîner le couple impérial est acclamé au balcon par la foule massée sur la Motte, des jeux et spectacles gratuits sont donnés au Thabor et un feu d'artifice est tiré au Champ de Mars.

Le "banquet breton" du 20 août

Après une matinée de travail, pendant laquelle le président de la chambre de commerce, M. Le Tarouilly, blanchisseur de cire de son état, s'est lui aussi adressé à l'empereur, appelant son attention sur l'industrie des toiles, l'intérêt d'établir les paquebots transatlantiques à Brest ou Lorient, et sur les chemins de fer bretons, le cortège impérial arrive devant le palais, et sur la place, des milliers de spectateurs acclament le couple impérial lorsqu'il paraît au balcon. Au banquet prennent part des personnalités de l'ensemble des départements bretons, Loire-Inférieure comprise (c'est la première manifestation officielle, depuis 1790, d'une Bretagne composée de son ancienne assise correspondant aux cinq départements). Répondant aux propos du comte de Lariboisière, sénateur, président du conseil général, conclus par les cris de "Vive l'Empereur, vive l'Impératrive, vive le Prince impérial !" l'empereur prononce une brève allocution.

Il souligne qu'on a voulu souvent représenter les départements de l'ouest comme animés de sentiments différents de ceux du reste de la nation, mais il constate qu'ils veulent aussi un gouvernement stable favorisant le progrès qu'il veut favoriser en tant qu'élu de la nation de même qu'il désire protéger la religion catholique, lui qui se trouve "au milieu du peuple breton, qui est avant tout monarchique, catholique et soldat". Même vivats. Le discours de l'empereur sera imprimé ultérieurement en français et, en regard, en breton :

" DISCOURS prononcé par Sa Majesté l'Empereur au banquet breton , le 20 août 1858 - " KOMPSIOU lavaret Gand é Vajesté ann Impalaer er fest breton, ann 20 a viz est 1858"

Mais contrairement à ce qu'on a pu écrire, Napoléon III ne s'est pas exprimé en breton.

Puis sur le champ de Mars, devant 70 000 spectateurs enthousiastes, l'empereur, à cheval à la tête d'un nombreux état-major, passe de nombreuses troupes en revue : 8e régiment d'artillerie monté, 2e bataillon de chasseurs à pied, un bataillon du 57e de ligne, des escadrons de hussards et de gendarmerie à cheval, des compagnies de sapeurs-pompiers, des médaillés de Sainte-Hélène, de Crimée et de la Baltique, les maires du département. L'empereur et l'impératrice Eugénie visitent ensuite l'hôpital Napoléon III Hôtel-Dieu, l'arsenal, le polygone d'artillerie et un grand bal est donné le soir à l'hôtel de ville "dans cette soirée comparable aux plus belles résidences impériales".

Le lendemain, 21 août, l'empereur ayant remis des décorations et eu divers entretiens, le couple quitte la préfecture et emprunte le cours Napoléon III (avenue de la gare), "orné de mâts vénitiens, d'oriflammes, et d'inscriptions de tout espèce", avec un "affluence incalculable de peuple qui d'un bout à l'autre des deux voies latérales se pressait sans solution de continuité le long de la haie formée par les troupes", au bruit du canon, au son des cloches des huit églises et aux cris de la foule. Et sur le quai de la gare, les membres des corps constitués voient le train impérial se mettre en marche.[3]

Cette quasi unanimité rennaise en faveur de l'empire, * n'aura pas de prolongement et, dès septembre 1860, l'archevêque et le préfet Féart, qui captera les opinions ouvrières, s'opposeront durement dans la sphère politique rennaise. Aux élections législatives du Ier juin 1863, l'ancien maire, Ange de Léon, candidat de l'archevêché, est nettement battu par le candidat bonapartiste officiel, le marquis de Piré qui obtient obtient 39,1% des voix contre 15,7%.

Note

Certains opposants à l'empereur s'abstiennent. Ainsi Jean-Baptiste Lesbaupin, convié en qualité de bâtonnier de l'ordre des avocats, se fait représenter au banquet du 20 août par le secrétaire de l'ordre.[4]

Références

  1. Mémoire sur les forces politiques en Ille-et-Vilaine de 1848 à 1870, centre de droit de l'Université Rennes 1 - 2004
  2. Le voyage de Napoléon III en Bretagne, par Jacques Cressard, Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine, t. XCVII, 1995
  3. Récit du voyage de l'Empereur et de l'Impératrice en Normandie et en Bretagne par J.M. Poulain-Corbion, Amyot, éditeur. 1858.
  4. Ecrits intimes ou la vie d'une famille rennaise au XIXe siècle, par Louis Lesbaupin, bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine, t. CXV - 2011

Rennes d'histoire et de souvenirs quatrain 37

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