Tribulations d'une jeune Rennaise début août 1944


En août 1944, j’avais 12 ans. Le jour où j’ai entendu tomber les premiers obus[1], je venais de rendre visite à ma sœur de 14 ans hospitalisée rue Saint-Louis[2]. J’avais acheté des pommes de terre dans une petite épicerie de la rue Saint-Malo car nous avions eu connaissance d’un arrivage. J’arrivais au rond-point de l’Hôtel-Dieu et de la rue Lesage lorsque j’ai entendu des bruits inquiétants dont j’ignorais la provenance et de quoi il s’agissait. Je suis entrée m’abriter pendant un certain temps dans un grand immeuble rue Lesage qui disposait d’une grande cave[3]. Une dame m’a demandé où j’habitais. Nous logions chez ma tante rue de Trégain où, à l’époque il n’y avait que 8 maisons de chaque côté de la rue qui aboutissait dans des champs[4]. Elle m’a proposé de garder mon sac de pommes de terre pour me permettre de courir plus vite. En cours de route, les bruits devenaient de plus en plus assourdissants, j’ai vu qu’un éclat d’obus était tombé sur les rails du tramway. Une personne à l’entrée d’un couloir m’a dit de me mettre à l’abri. J’arrivais enfin à la maison où mes parents étaient rentrés du travail. Mon père qui travaillait chez Jean et Beuchère livrait chez des commerçants avec sa jument des marchandises qu’il chargeait à la gare. Ma mère était mécanicienne dans un atelier de couture.

Mon père a décidé de nous emmener dans un abri situé à la pharmacie de la Croix Carrée rue de Fougères. Nous y sommes restés 3 jours et 2 nuits[5] assis sur des bancs dans la cave de cet immeuble avec d’autres personnes. Des femmes priaient. Pour nous éclairer, il y avait des « queues de rats », des bougies constituées d’une mèche enduite de cire. Le pharmacien a tendu un drap blanc avec une croix rouge pour créer un poste de secours. Un soldat allemand encore armé est descendu dans la cave s’y faire soigner. Durant cette période, mon père et moi sommes allés une fois chercher de la nourriture à la maison. Pendant que mon père était aux cabinets accolés à la maison, un éclat d’obus est venu s’encastrer dans le mur de celle-ci. Nous sommes revenus en courant à l’abri retrouver ma mère. Epuisée de fatigue, j’ai fini par m’endormir au grand soulagement de celle-ci. En sortant de notre abri, nous avons vu un char allemand abandonné juste dans le carrefour face à la pharmacie. Quand nous avons pu sortir de l’abri, nous sommes allés voir ma sœur rue Saint-Louis, les malades avaient été mis à l’abri par le personnel médical dans la cave à charbon.

Nous sommes ensuite allés voir si notre maison située dans le quartier Saint-Brieuc-Lorient avait subi des dégâts. Nous l’avions quittée par peur des bombardements sur la crèche marine basée route de Lorient. C’était un dépôt de la Kriegsmarine[6]. Nous sommes ensuite allés au Cimetière du nord pour nous assurer que la tombe de ma grand-mère maternelle n’avait pas été touchée. Je m’y suis endormie épuisée de fatigue sur un banc.

Habitant loin du centre-ville, c’est par ouï-dire que nous avons appris l’arrivée des véhicules américains et la joie des Rennais libérés.

Micheline Demaillie, 12 ans en 1944 (document communiqué par Mme Christine Briantais, à Étienne Maignen)

Notes et références

  1. mardi 1er août 1944
  2. la rue Saint-Louis donnait sur l’arrière de l’hôpital militaire Ambroise Paré, accessible aux civils, l’Hôtel-Dieu étant réservé à l’occupant allemand
  3. n°3, rue Lesage
  4. la rue aboutissait au chemin rural 42 (guide itinéraire de Rennes -1942)
  5. nuits du 2 au 3 et du 3 au 4 août
  6. Le Pi-Park de Rennes