« Chronique vezinoise sous l'occupation n°04 » : différence entre les versions
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Version du 24 avril 2013 à 15:49
La promenade de l’école du samedi après midi. Sous l’occupation
Un samedi après midi de mai ou juin 1944, les élèves de l’école de Vezin-le-Coquet avec leur maître se dirigent vers le château de Montigné et s'installent pour des jeux dans un petit bois encaissé le long de la ligne de chemin de fer, non loin d’un petit pont qui l‘enjambe. Les enfants sont tous présents, petits et grands, ils s’ébattent dans la joie sous un soleil éclatant. Une belle journée, un très joli ciel clair, une météo favorable qui invite à la promenade. Mais attention ! Le beau temps attire aussi certains prédateurs exterminateurs subitement venus du ciel.
Nous sommes en pleine action de jeu quand tout à coup, de puissantes déflagrations se font entendre, un bombardement survient subitement, sans annonce de sirène, sans vagues d’avions qui auraient pu être aperçues préalablement dans le ciel. Est-ce sur Pi-Park à proximité duquel nous sommes, est-ce sur la ligne de chemin fer située à quelques mètres de notre terrain de jeux ? Rapidement le directeur monsieur Guérin nous fait tous nous allonger contre un haut talus. Le bombardement me semble long, interminable, si près de nous, si intense, si effrayant que pour la toute première fois j’ai vraiment peur. Ce n’est pas une simple peur comme celle du gamin qui va recevoir la fessée, mais une peur panique, une peur qui m’atteint physiquement, comme on dit aux tripes, et m'envahit. Heureusement rien n’est venu s’égarer sur nos têtes et nous rentrons chez nous après cette grande frayeur. Alphonse s’en souvient bien ![1]
Quelques mois après ce terrible évènement, en décembre 1944, mon père nous emmène mon frère et moi sur sa bicyclette, à Pi-Park, qui, entre temps a changé de locataire mais pas d’ouvriers, pour un goûté offert par les soldats américains aux enfants du personnel civil du camp. Pour nous y rendre nous sommes obligés d’emprunter le chemin qui mène à Montigné et par voie de conséquence, de passer tout près du petit bois encaissé où j’ai eu très peur. Lorsque nous arrivons à sa hauteur, je l’aperçois et tout à coup une même peur panique me saisit, s’empare encore de moi d’une manière très forte. Heureusement elle se dissipe peu à peu après avoir franchi le pont de chemin de fer. Je le hais ce petit bois !
Ce devait être à la période de Noël. A peine entré dans le baraquement où le goûter avait lieu, je suis saisi par deux bras vigoureux d’un soldat américain qui me soulèvent et me placent sur une chaise auprès d’une des nombreuses tables où se régalent déjà des enfants. On me sert aussitôt une assiette bien garnie de crème avec des biscuits. Je goûte la crème, je fais la moue, impossible de la manger. Malgré l’invitation répétée d’un G.I. pourtant très attentionné « c’est bon, c’est bon, manger ! » Rien à faire, je ne suis pas habitué au goût de la vanilla custard en boîte. Impossible de l’avaler malgré les gros yeux que me fait, de loin, mon père resté à l’entrée avec d’autres parents. Même sans vanille je préfère la crème, confectionnée avec du bon lait cru des vaches de la ferme Lebastard. A la fin du goûter je me fais tancer pour insuffisance de consommation.
Je n'ai aucunement informé mes parents, ou quiconque du moment d’extrême frayeur ressentie dans le petit bois le jour du bombardement. Comment aurais-je su à cet âge l'expliquer clairement? J’étais même pris comme par une honte pour avoir été possédé de cette manière par cette indescriptible frayeur. Plus tard, adolescent, j'ai oublié ou tout simplement pas trouvé utile d'en parler. Adulte, j'ai plusieurs fois été pris de cauchemars, une peur panique semblable à celle qui s’empara de moi le jour de ce bombardement. Et c’est sexagénaire que j’ai attribué la cause de ces cauchemars à l’évènement qui s’est déroulé au cours d’une promenade du samedi après midi sous l’occupation.
Albert Gilmet
Janvier 2013