9 101
modifications
mAucun résumé des modifications |
m (relecture) |
||
Ligne 1 : | Ligne 1 : | ||
[[Catégorie:Rennes sous l'occupation]] | [[Catégorie:Rennes sous l'occupation]] | ||
En 1940, Rennes, principale ville universitaire du grand Ouest, comptait environ 3 000 étudiants pour l’année universitaire 1940- 1941, soit 3 % de l’ensemble de la population domiciliée à Rennes.(Ndlr : environ 68 000 étudiants en 2020). | En 1940, Rennes, principale ville universitaire du grand Ouest, comptait environ 3 000 étudiants pour l’année universitaire 1940- 1941, soit 3 % de l’ensemble de la population domiciliée à Rennes. (Ndlr : environ 68 000 étudiants en 2020). | ||
Dans les dispositions de l’armistice, les autorités allemandes avaient consenti à ce que le bon fonctionnement des services publics, notamment celui de l’enseignement supérieur, soit garanti par l’État français, mais la question du respect du nouvel ordre public en France par l’ensemble de la population, a fortiori par les étudiants, fut une préoccupation constante de celles-ci, et donc des autorités vichyssoises responsables devant elles. | Dans les dispositions de l’armistice, les autorités allemandes avaient consenti à ce que le bon fonctionnement des services publics, notamment celui de l’enseignement supérieur, soit garanti par l’État français, mais la question du respect du nouvel ordre public en France par l’ensemble de la population, a fortiori par les étudiants, fut une préoccupation constante de celles-ci, et donc des autorités vichyssoises responsables devant elles. | ||
Ligne 10 : | Ligne 10 : | ||
Aussi, dans une lettre du 7 novembre 1940 aux trois doyens des facultés rennaises et des trois directeurs de médecine, le recteur de l’académie de Rennes communiqua ses instructions relatives au comportement attendu dorénavant des étudiants rennais : | Aussi, dans une lettre du 7 novembre 1940 aux trois doyens des facultés rennaises et des trois directeurs de médecine, le recteur de l’académie de Rennes communiqua ses instructions relatives au comportement attendu dorénavant des étudiants rennais : | ||
« Afin d’éviter les incidents qui ne manqueraient pas de se produire, vous voudrez bien rappeler à ces jeunes gens que le sentiment national n’a pas à se manifester dans des inscriptions, des cris, des insignes multiples et voyants. […] À l’égard des soldats et des officiers de l’armée d’occupation, la jeunesse étudiante doit conserver une correction absolue, si elle comprend bien ses intérêts et si elle veut pouvoir poursuivre ses études. Il importe au plus haut point que les étudiants passent inaperçus, évitent les rassemblements désœuvrés, s’abstiennent de ces chants et de ces manifestations qui ne sont plus de mise en aucune façon » | « Afin d’éviter les incidents qui ne manqueraient pas de se produire, vous voudrez bien rappeler à ces jeunes gens que le sentiment national n’a pas à se manifester dans des inscriptions, des cris, des insignes multiples et voyants. […] À l’égard des soldats et des officiers de l’armée d’occupation, la jeunesse étudiante doit conserver une correction absolue, si elle comprend bien ses intérêts et si elle veut pouvoir poursuivre ses études. Il importe au plus haut point que les étudiants passent inaperçus, évitent les rassemblements désœuvrés, s’abstiennent de ces chants et de ces manifestations qui ne sont plus de mise en aucune façon »<ref>Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1346W13</ref>. | ||
Dans une circulaire du 18 mars 1942, le recteur souligna la nécessité pour les étudiants de faire preuve de la même exemplarité dans leur comportement individuel en dehors de leurs lieux d’étude. Le 15 novembre, la Feldkommandantur adressa un courrier au recteur de l’académie de Rennes dans lequel elle lui enjoignit de s’assurer que les étudiants se conformaient bien aux interdictions prévues par l’ordonnance en procédant à | Dans une circulaire du 18 mars 1942, le recteur souligna la nécessité pour les étudiants de faire preuve de la même exemplarité dans leur comportement individuel en dehors de leurs lieux d’étude. Le 15 novembre, la Feldkommandantur adressa un courrier au recteur de l’académie de Rennes dans lequel elle lui enjoignit de s’assurer que les étudiants se conformaient bien aux interdictions prévues par l’ordonnance en procédant à l’autodissolution de leurs associations respectives, ce qui fut fait. Cette exigence de neutralité des étudiants rennais, qui avait aussi pour dessein de participer à "la régénération de la jeunesse française" voulue par le régime de Vichy, autrement dit de contribuer à la création « d’un nouveau type d’homme », fut largement respectée par les principaux intéressés entre 1940 et 1944. | ||
=== Des velléités estudiantines === | === Des velléités estudiantines === | ||
Ligne 18 : | Ligne 18 : | ||
En décembre 1940, les autorités allemandes incriminèrent les étudiants rennais de l’affichage de tracts sur les murs en soutien au général de Gaulle. En réaction, le recteur et le préfet, redoutant une fermeture des facultés, même temporaire, cherchèrent à prouver leur bonne disposition à collaborer à la gestion du maintien de l’ordre en milieu étudiant et ainsi de « donner des signes d’apaisement à la Feldkommandantur ». Ils décidèrent conjointement de punir collectivement les étudiants rennais : pendant dix jours, du 13 décembre au 23 décembre 1940, il leur fut interdit de circuler dans l’espace public entre 20 heures et 7 heures du matin. Et afin de prouver aux autorités allemandes qu’une telle mesure serait effective, les autorités françaises s’assurèrent de son respect par les étudiants. Ainsi y eut-il des vérifications quotidiennes, car il était prévu d’exclure temporairement de l’Université les étudiants contrevenants. Des listes de noms et adresses d'étudiants furent communiquées à la police municipale qui devait chaque soir procéder à des visites domiciliaires inopinées pour s’assurer que les étudiants demeuraient bien chez eux pendant le couvre-feu. Le 28 décembre 1940, le recteur de l’académie, sur la demande du préfet, fit connaître qu'un seul étudiant avait enfreint l'interdiction. | En décembre 1940, les autorités allemandes incriminèrent les étudiants rennais de l’affichage de tracts sur les murs en soutien au général de Gaulle. En réaction, le recteur et le préfet, redoutant une fermeture des facultés, même temporaire, cherchèrent à prouver leur bonne disposition à collaborer à la gestion du maintien de l’ordre en milieu étudiant et ainsi de « donner des signes d’apaisement à la Feldkommandantur ». Ils décidèrent conjointement de punir collectivement les étudiants rennais : pendant dix jours, du 13 décembre au 23 décembre 1940, il leur fut interdit de circuler dans l’espace public entre 20 heures et 7 heures du matin. Et afin de prouver aux autorités allemandes qu’une telle mesure serait effective, les autorités françaises s’assurèrent de son respect par les étudiants. Ainsi y eut-il des vérifications quotidiennes, car il était prévu d’exclure temporairement de l’Université les étudiants contrevenants. Des listes de noms et adresses d'étudiants furent communiquées à la police municipale qui devait chaque soir procéder à des visites domiciliaires inopinées pour s’assurer que les étudiants demeuraient bien chez eux pendant le couvre-feu. Le 28 décembre 1940, le recteur de l’académie, sur la demande du préfet, fit connaître qu'un seul étudiant avait enfreint l'interdiction. | ||
Le spectre d’une suspension des cours imposée par les Allemands fut donc agité à chaque fois que des incidents susceptibles de troubler l’ordre public impliquaient des étudiants. Ce fut le cas lors de la manifestation prévue le 17 juin 1941 | Le spectre d’une suspension des cours imposée par les Allemands fut donc agité à chaque fois que des incidents susceptibles de troubler l’ordre public impliquaient des étudiants. Ce fut le cas lors de la manifestation prévue le 17 juin 1941<ref>[[17 juin 1941 : manifestation rennaise]]</ref>, date anniversaire du bombardement allemand de Rennes<ref>[[Manifestations de 1941]]</ref>. Le dimanche 11 mai 1941, entre 15 et 16 heures, à l’occasion de la fête de Jeanne d’Arc, des milliers de Rennais s’étaient assemblés à l’appel du général de Gaulle ; parmi eux, de nombreux étudiants et lycéens. Les autorités allemandes, qui ne manquèrent pas de remarquer la présence de ces jeunes gens scolarisés, décidèrent de prendre des sanctions visant l’ensemble des lycéens et des étudiants. | ||
Le préfet adressa une lettre en ce sens au recteur le 24 mars 1942 : | Le préfet adressa une lettre en ce sens au recteur le 24 mars 1942 : | ||
« J’ai eu le regret de constater ces temps derniers un laisser-aller et un manque de tenue de certains étudiants à l’occasion d’un certain nombre de réunions. Tous les vendredis soirs, au passage du nouveau film au cinéma « Le Royal » | « J’ai eu le regret de constater ces temps derniers un laisser-aller et un manque de tenue de certains étudiants à l’occasion d’un certain nombre de réunions. Tous les vendredis soirs, au passage du nouveau film au cinéma « Le Royal »<ref>[[Cinéma à Rennes pendant la guerre]]</ref> et des actualités, un certain nombre d’entre eux manifestent bruyamment et avec une vulgarité choquante<ref>Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 43W96, extrait du procès-verbal du conseil de l’Université </ref>. | ||
Trois jours plus tard, le conseil de l’université décida de priver du droit de se présenter à tout examen ou concours tout étudiant reconnu coupable de s’être livré, dans ou hors de l’université, à des manifestations collectives bruyantes. Dans une lettre du 3 avril 1942 au préfet, le recteur lui demanda de collaborer avec ses services en lui fournissant les noms des étudiants coupables de manifestations bruyantes relevés par la police et fit part de sa certitude de contraindre, par la peur de la sanction d'être privé du droit de se présenter à tout examen ou concours, l’ensemble des étudiants à adopter une attitude correcte : « Nul étudiant ne voulant risquer de rendre vain, par une manifestation inconsidérée, tout son travail de l’année, je suis persuadé que cette mesure suffira à rétablir l’ordre ». Cette mesure fut efficace : plus aucune manifestation ne fut à déplorer par les autorités jusqu’à la Libération. | Trois jours plus tard, le conseil de l’université décida de priver du droit de se présenter à tout examen ou concours tout étudiant reconnu coupable de s’être livré, dans ou hors de l’université, à des manifestations collectives bruyantes. Dans une lettre du 3 avril 1942 au préfet, le recteur lui demanda de collaborer avec ses services en lui fournissant les noms des étudiants coupables de manifestations bruyantes relevés par la police et fit part de sa certitude de contraindre, par la peur de la sanction d'être privé du droit de se présenter à tout examen ou concours, l’ensemble des étudiants à adopter une attitude correcte : « Nul étudiant ne voulant risquer de rendre vain, par une manifestation inconsidérée, tout son travail de l’année, je suis persuadé que cette mesure suffira à rétablir l’ordre ». Cette mesure fut efficace : plus aucune manifestation ne fut à déplorer par les autorités jusqu’à la Libération. | ||
=== Peu de résistants mais, pour beaucoup, fuir le STO === | === Peu de résistants mais, pour beaucoup, fuir le STO === | ||
L'historienne rennaise Jacqueline Sainclivier n’a comptabilisé | L'historienne rennaise Jacqueline Sainclivier n’a comptabilisé que 74 résistants appartenant à la catégorie « étudiants-lycéens » à l’échelle du département entre 1940 et 1944, mais on peut penser que certains, agissant évidemment dans la clandestinité, n'ont jamais claironné ensuite, tels ces deux étudiants de la faculté des sciences, Jean Grivet et Claude des Abbayes, qui recueillirent un aviateur américain qui avait sauté de son avion en flammes lors du [[bombardement du 29 mai 1943]]. Il est vrai que jamais les étudiants de Rennes ne se mobilisèrent pas pour dénoncer les mesures prises à l’encontre de la quinzaine de leurs camarades juifs à la rentrée 1941-42<ref>[[Les Juifs de Rennes sous l'occupation]]</ref>. [[Claude Geslin, l'exemple du dévoiement à l'ennemi]] espionne les étudiants pour détecter les dissidents. De fait, les résistants<ref>[[Des Rennais résistants]]</ref>, mais aussi les collaborateurs, furent peu nombreux parmi les étudiants à Rennes, les attentistes le furent puis survint, en 1943, le service du travail obligatoire<ref>[[Le S.T.O. pour des Rennais]]</ref>. | ||
Dans l’espoir d’endiguer le phénomène d’évitement du STO, des journées de recherche de réfractaires furent organisées par la préfecture de Rennes, comme le 23 juin 1943, où l’ordre d’arrêter les jeunes gens en situation irrégulière fut donné aux policiers ainsi engagés à une chasse à l’homme | Dans l’espoir d’endiguer le phénomène d’évitement du STO, des journées de recherche de réfractaires furent organisées par la préfecture de Rennes, comme le 23 juin 1943, où l’ordre d’arrêter les jeunes gens en situation irrégulière fut donné aux policiers ainsi engagés à une chasse à l’homme<ref>[[Le S.T.O. pour des Rennais]]</ref>. Les policiers français sont parfois négligents, comme le 19 juin 1943, à la sortie du cinéma ''Le Français'' où ils ne contrôlent qu'un jeune homme sur cinq ou six. Six jeunes sont arrêtés mais une cinquantaine passe sans être inquiétés<ref>''L'Ille-et-Vilaine 1918-1958. Vie politique et sociale'', par Jacqueline Sainclivier. Collection histoire. Presse Universitaire Rennaise - 1996</ref>. Afin d’échapper à ces contrôles inopinés, la stratégie des étudiants consistait le plus souvent à « trouver une planque», d'autres se pliant à l'ordre reçu<ref>''Les étudiants rennais à l’épreuve de l’occupation allemande''. Hugo Melchior. Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest – 2017 </ref>. | ||
===Références=== | ===Références=== |
modifications