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Lettres de Poilus

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Qu’apprennent les Rennaises et les Rennais de leurs proches au front par les lettres reçues ?

Carte postale pour correspondance "encadrée"

On écrit beaucoup au Poilu et il écrit beaucoup, parfois sur carte postale restrictive lorsqu'il est sur le front en première ligne. Le Poilu vise surtout à rassurer sur son sort, même s’il évoque souvent les misères subies, chaleur, froid, boue… Écrire souvent, même quelques mots, c’est rassurer les proches, prouver qu’on est vivant à la date d‘écriture. Souvent on échange sur la date de la dernière lettre arrivée et on parle du colis reçu ou attendu.

L'Ouest-Éclair publiera des lettres de soldats rennais anonymes, telle celle-ci d’un poilu à son père : « Depuis deux jours notre canon crache sans cesse et nous n’avons aucun blessé […] J’ai assisté il y a quatre jours à un combat décisif à notre avantage… » S’agit-il vraiment d’une lettre ou plutôt d’un document de propagande car la lettre les noms de lieux et d’unité ne sont pas non plus cités. D’autres lettres de ce genre seront publiées et sont peu crédibles.

Parfois peu de choses

Dès le 11 août 1914, le Rennais Gustave Giraudeau, 21 ans, sergent au 41e RI, rassure ses parents : « Chers parents, vous avez dû recevoir ma carte de Creil, depuis nous avons marché et après un voyage de 32 heures en chemin de fer et une marche de 12 km, nous venons d’arriver ici à 30 km de la frontière. Je vous dirai laquelle lorsque je reviendrai mais nous sommes encore loin de l’ennemi, rien à craindre pour le moment. Je ne vois rien de plus à vous dire, je suis en excellente santé, j’espère qu’il en est de même pour vous… » Certains, tel René Porcher, qui écrit pendant quatre ans à sa chère maman qui habite rue Dupont des Loges, sont laconiques, ne racontent rien. On ne lit pas dans toutes des informations précises sur la dureté des assauts et les pertes en morts et blessés dans l’unité. D’ailleurs on pense que la censure veille, donc autant pratiquer l’autocensure pour éviter un blocage ou pour ne pas effrayer les civils. En fait très peu des centaines de milliers de lettres qui circulent chaque jour passent à la censure qui a surtout pour but de mesurer le moral des troupes.

Joseph Alesté au 41e RI, début 1915,[1]

Des lettres très détaillées

Lettre du sous-lieutenant Joseph Alesté, écrite la veille de l'offensive en Artois. [2]

Des lettres qui passent la censure et dans lesquelles des Poilus racontent crûment leur guerre sont nombreuses. À titre d’exemples, les lettres de deux Rennais. Joseph Alesté, sous-lieutenant au 41e R.I., a envoyé, de l’Artois, de février à juin 1915, en moins de quatre mois, 1 télégramme, 13 cartes et 26 lettres à son épouse, soit en moyenne un courrier tous les deux jours et demi. Le 3 avril 1915, optimiste, il lui écrit : « Enfin, chère petite femme, ne t’impatiente pas : encore 4 mois au plus et ce sera fini. D’ici là je vais tâcher de faire disparaître le plus de Boches possibles et j’aurais rendu service à l’humanité. »

Le 8 mai, il annonce, à demi-mot, « c’est pour demain » - il s’agit de l’offensive d’Artois voulue par Joffre - et il dit être « enfin content de taper un bon coup » et que le moral de ses hommes est excellent et est certain de pouvoir compter sur eux pendant tous les jours où il faudra se battre pour assurer enfin la victoire finale. Il sort vivant des combats du 9 au 12 mai. Le 24, et il s’emporte contre les nouvelles déformées à l’arrière par la presse : « Je suis heureux que les journaux réussissent à vous combler de joie, mais ici nous ne sommes pas de votre avis. […] Les journaux ont oublié de vous dire le nombre des pertes. » « De mon côté nous n’avons rien fait de bon que de perdre des hommes, j’en aurai long à dire à ce sujet après la guerre. Nous nous sommes battus du 9 au 14 ; depuis nous occupons comme par le passé nos tranchées. Depuis le 9 au matin, je n’ai donc pu ni me laver ni me changer […) Sur les 300 m de distance qui nous séparent des Boches, gisent tous les corps de nos camarades […] Cela commence à sentir très fort. » Et de citer plusieurs Rennais tués lors de l’offensive inutile.

Le 14 juin le sous-lieutenant écrit : « Pour ma part, je compte prendre une bonne revanche sur les Boches […] Après-demain nous ferons des prouesses et dans trois mois, j’irai me reposer près de vous deux, heureux d’avoir fait mon devoir. » Le 16 juin, le 41e R.I. lance ce nouvel assaut qui ne sera pas un succès et le sous-lieutenant Alesté est tué à la tête des hommes de sa section.[3]

D’autres lettres explicites sont celles de Charles Oberthür, de la grande famille d’imprimeurs de Rennes. Capitaine, il commande une section de munitions d’artillerie et traverse la guerre aux côtés des unités du 10e corps d’armée, de Charleroi à Strasbourg, en passant par la Marne, l’Artois, l’Argonne, Verdun, la Champagne ou la Somme. Ses lettres, accompagnées d’aquarelles, de dessins et de photographies, passent la censure, révélant les aspects dramatiques de la guerre : « Quand on avance il y a aussi de la casse et on recommence à voir passer des autos remplies de blessés… Ce qui est terrible c’est de penser aux malheureux blessés qui sont tombés ce soir et qu’on ne pourra relever que demain au jour. »

De tels témoignages, même parcellaires, répandus chez les proches, donnent des coups de projecteur très éclairants sur l’horreur des combats qui se déroulent et qui est tue par les journaux[4].


references

  1. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine I J 1003
  2. Arch dép. d'Ille-et-Vilaine I J 1003
  3. Un officier du 41e régiment d'infanterie dans les tranchées d'Artois : les lettres du sous-lieutenant Alesté à son épouse (février-juin 1915) Yann Lagadec, Yves Rannou - Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine. SAHIV. Tome CXX - 2016
  4. La Grande Guerre lue par les Rennais - Conférence UTL de Rennes du 16 janvier 2017 par Etienne Maignen