A l'occasion des 80 ans de la libération de Rennes, (re)découvrez l'ensemble des
contributions autour de la Seconde Guerre mondiale et de la libération sur Wiki-Rennes.
La peste à Rennes
La "mort noire", épidémie récurrente
Déjà, pendant l'année 1483, les registres capitulaires de Saint-Pierre de Rennes ont gardé des traces assez curieuses de la peste dans plusieurs délibérations des derniers mois de cette année. On y voit que les chanoines avaient quitté la place, fuyant devant le fléau, comme de simples mortels ; sauf un qui resta intrépide à son poste, et qu'on voit réunissant sous sa présidence les grands chapelains suppléants à l'absence des seigneurs du Chapitre, prenant avec eux des délibérations, nommant les officiers du Chapitre, réglant les affaires et les intérêts de ce corps, au milieu de la débandade générale. On trouve ainsi une de ces ordonnances rendues par « Messire Pierre Mehaud, docteur en l'un et l'autre droit, comme dit le protocole des actes, seul des seigneurs chanoines à present résidant en léglise de Rennes, attendu l'absence des autres, à cause de la peste qui a sévi et qui sévit encore dans la cité et les forsbourgs de Rennes » [1]
La peste, bubonique ou pulmonaire, la "mort noire", sévit plusieurs fois à Rennes au XVIe et au XVIIe siècle. Dès 1505 , Anne de Bretagne, lors d'un Tro Breizh, avait évité Rennes par crainte d'une épidémie de peste. On la constate en 1563-1564. Dès 1632 on avait construit à Rennes, au lieu-dit La Croix-Rocheraud , un établissement destiné exclusivement aux mendiants pestiférés, sous le nom d'hôpital de la Santé. Auparavant ils étaient reçus à Saint-Yves et les morts inhumés dans un terrain appartenant à l'hôpital, près d'une croix Rocheraud. [2] Pendant les décennies qui suivirent 1563, la peste qui n'avait plus fait parler d'elle depuis l'épidémie de 1507-1509 allait sévir à l'état endémique, avec des accalmies de quelques années séparées par de mortelles recrudescences en 1582-1585, de 1588 à 1602, en 1605, de 1607 à 1617, de 1622 à 1627, en 1628, de 1629 à 1634, en 1636-1637 et une dernière fois en 1640.
A chaque poussée, c'était la même panique : "le Parlement quittait Rennes pour une ville moins atteinte dans les environs, et on prenait quelques mesures d'hygiène qui devaient être périodiquement renouvelées : curage des fossés, évacuation des prisons encombrées, interdiction de laisser les pourceaux errer dans les rues sous peine de confiscation au profit de l'Hôtel-Dieu, fermeture des écoles et des tavernes, sanctions contre les malades s'échappant de leurs maisons cadenassées, expulsion des marchands ambulants, on défend les rassemblements, on défend de tirer le Papegaut, on défend les représentations des Mystères à peine d'emprisonnement des comédiens, etc. Puis la mortalité diminuait, le Parlement revenait, les Jésuites rouvraient leur collège de Toussaints, jusqu'à la prochaine alerte". Lors de la peste de 1605, 500 personnes furent hospitalisées dans de nouveaux bâtiments à la Croix-Rocheron mais dans l'intervalle des épidémies, le Sanitat servait d'asile aux vieillards et aux mendiants. Des médecins et chirurgiens supplémentaires durent être engagés. Grâce à la générosité du prévôt Pierre Alleaume, le bâtiment sud de l'Hôtel-Dieu Saint-Yves [3] fut rénové en 1617-1620, et un autre construit à l'est ; et les échevins suivant cet exemple firent édifier d'autres salles à l'ouest, au long de la rue du Port-Saint-Yves. L'ensemble représentait, en 1636, un quadrilatère d'environ 40 m de côté, et 220 malades y trouvaient place. [4] Le 29 juillet 1624, on annula la distribution des prix au collège des jésuites.
Pendant huit ans, de 1624 à 1632, la peste ravage Rennes. Elle se manifestait par des "bosses", de gros bubons qui noircissaient et pourrissaient, décomposant le sang. On éventait et on désinfectait les maisons par de grands feux pour chasser le "mauvais air". Toutes les classes de la société furent touchées par le mal. En 1626, le corps de police des magistrats et bourgeois prend des arrêtés souvent draconiens pour prévenir la contagion. On enjoint à une femme de chambre de sortir dans la journée en emportant les hardes de sa maîtresse morte de la peste, sous peine du fouet. On défend à la veuve d'un pelletier de toucher à ses vieilles hardes et de les éventer, sous peine de mort. On ferme de cadenas la maison d'un mort et, ceux-ci ayant été forcés par des voleurs qui se sont emparés d'objets infestés, on en rend responsables les voisins. On interdit aux habitants de paroisses infestées l'accès à la ville. Vitré accueillera la réunion des Etats de Bretagne, Rennes étant touchée par la peste.[5] En 1627 une procession générale fut renouvelée pendant trois jours, la communauté en habits de cérémonies ainsi que tous les corps judiciaires et militaires.[6]
Mais l'on donne alors ce nom à diverses maladies épidémiques.[7] A l'emplacement de la rue de l'Arsenal, dès 1546, François Thierry de Boisorcant avait donné une maison et un jardin destinés à accueillir les malades atteints de la peste que l'hôpital Saint-Yves [8] ne pouvait recevoir. En 1597, à la suite de mauvaises récoltes, une grande famine s'installe dans la campagne rennaise. Les paysans viennent chercher aide et nourriture en ville. Le sergent général de la police, Regnard, publie un arrêté qui interdit l'entrée en ville des pauvres gens pour mendier et chercher l'aumône, car on craint les risques d'épidémies de peste ou autres maladies.
Le vœu de 1632
La protection de la Vierge de Bonne-Nouvelle se manifeste notamment à l'occasion de cette épidémie de peste qui dévastait la ville de Rennes et ses environs. Le 12 octobre 1632, un membre notable du clergé suggère l'idée d'un vœu à Notre-Dame de Bonne Nouvelle. La municipalité et toute la ville promirent d'offrir à Marie en « ex voto » une maquette de la ville si Notre-Dame met un terme à l'épidémie. La contagion s'étant effectivement arrêtée le jour même, on confia la réalisation de cette pièce d'orfèvrerie au maître orfèvre parisien La Haye auquel il fallut deux ans pour mener l’œuvre à bien.[9] La pièce représentait "la ville de Rennes, avec ses murs, tours, porteaux, églises et édifices notables; une image de Nostre-Dame, s'élevoit par-dessus, estendant la main sur le convent de Bonne-Nouvelle, son petit Jésus donnant la bénédiction à la ville, le tout du poids de cent dix neuf marcs, ( = 29,1 kg) provenus d'une cueillette générale qu'on fit par la ville à cette intention" [10] Le voeu fut porté le 8 septembre 1634, en grande procession, de l'hôtel de ville à la cathédrale puis à l'église Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. Mgr Pierre Cornulier , évêque de Rennes, annonça en 1634 que la fête du vœu serait célébrée le 8 septembre, jour de la fête de la Nativité de Notre Dame, et ainsi chaque année. Cette maquette, fondue vers 1794, fut reconstituée en 1861.
Dans Rennes en 1631
Au mois d'aougt 1631, la peste princt à la Reverdiais au logis du Mouton blancq, et deux ou trois jours apprès proche de la Fontaine. Au mois de septembre Graffart surgien (chirurgien) mourut à la maison de la Santé, par avoir gaigné la peste. Deux jours après la peste princt au bas de la Fanerye, et vis-à-vis St James au logis de la Cloche, et en la haulte Baudrairye, et au petit bout de Cohue. Et le samedy au soir 13e septembre, il y antra dans l'enclos de la Santé deux Pères Jesuiltes avecq Mr Sarrazin sirrurgien, dont lun se nommoit le P. La Rongere. Le 24e septembre, il alla deux Pères Cappucins à la Lavanderie de Lezot pour aller visitter et confesser les pestiferez par la ville, et y entra avecq eux le bonhomme Martin de la rue Hus pour visitter.
« Le premier jour d'octobre 1631, la police teint cheix Mr du Bourgblanc président, et fut deputé deux bourgeois pour la distribution des vivres pour le peuple, qui estoient affligez du mal contagieux et renfermez. Journal d'un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle
Relations sur la cérémonie du vœu
La chapelle de la Sainte Vierge qui joint l'église est renommée dans la province par le grand concours de peuple qui s'y fait les jours de sa feste, l'autel fust beny par Pierre de Cornullier évesque de Rennes.L'image de la Sainte Vierge qui porte le nom de miraculeuse y fust placée en 1623. Les représentations en cire et les voeux y sont en très grand nombre, mais le principal est celuy qui fust fait par la ville en 1632 pour remercier dieu de l'avoir délivrée de la peste qui la desoloit depuis huit ans, c'est une ville représentée en argent avec tant d'art que l'on y distingue les édifices publics et les maisons considérables. La protection singulière que la mère de dieu a accordé dans toutes les occasions aux habitans de la ville de Rennes et particulièrement en 1632 engagea cette ville à luy faire ce voeu qu'elle exécuta en 1634. La ceremonie qui s'en fist le jour de la nativité fust très ecclatante, l'évesque tout le clergé, et le parlement en robe rouge s'y estant trouvés. [11] [12] Le 9 septembre, une nouvelle procession se dirigea vers l'hôpital de la santé où l'évêque célébra une messe pour les morts. les clés de l'hôpital et celles des maisons des morts pestiférés furent portées devant l'image de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Pendant les quatre jours de solennités l'affluence d'étrangers à la ville fut si grande que le pain manqua. Histoire de Rennes, p.315, Émile Ducrest de Villeneuve et D. Maillet. Edouard Morault, libraire. Rennes - 1845
Du huit septembre 1634. La Nostre-Dame du Veuff (vœu) et situation et representation de la ville de Rennes, laquelle estoit toute de pur argent, fut prinse dans la Maison-de-Ville et portée par huit bourgeois, et lun desquelz portoit ung drappeau blancq armoyé de fleurs de lys dor et hermines noires; et au millieu duquel drappeau y avoit d'un costé le Veuff depainctz, et de Jaultre costé ung Sainct Roch; et le portoit Mr de la Brosse du Quelnecq, en sortant de la Maison de Ville, estant assistéz de trompettes, viollons, bonbardes et haulboys, tembours et aultres instruments, avecq grande quantité descoliers partye accoustrez en blancq et en rouge, et laultre partye en Anges; et furent conduictz dans leglise St Pierre où le veuf fut presanté et mins par les bourgeois advis dun autel qui avoit esté dressée à la porte du cœur (chour); où en lendroict, Mons" de Rennes dist et fist une prédication, et apprès celebra la grand'messe et benesquit le Veuff; et fut porté à la procession par la ville, scavoir de St Pierre par la Cordonnerye et Grand Bout de Cohue et Minterye, et Grand Pompe, les Baudrairyes et rue de la Sisne, Cherbonnerye et rue aux Foullons, et porte aulx Foullons à Bonne Nouvelle où le dict vœux fut pozé sur ung petit autel qui estoit dressé dans le millieu du chœur de Bonne Nouvelle ; et de là fût porté devant la Nostre Dame, a costé du grand autel soulz la grande vouste. Et estoient les rues tendues comme au jour du sacre, et y assistèrent touttes les Fraiyres avecq leurs lumineres, et tout le clergé avec Messieurs de la Cour en robes rouges, assistez de MMrs du Siége en corps, et les Bourgeois en corps; et fut tiré plussieurs canons, avecq ung feu de joye sur la Lice. - Et le lendemain, il fut faict une procession généralle, la Cour en corps, MM. du Siége et Bourgeois, et alla ladicte procession de St Pierre à la Santé. Journal d'un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle
De 1555 à 1789, le Parlement de Bretagne a consacré à la peste 45 de ses 275 remontrances sur l'hygiène dans la province. [13].
Les arrêts du Parlement
De 1582 à 1640, le Parlement de Bretagne prend un grand nombre de mesures de prévention et de lutte contre la peste à Rennes particulièrement. Pas moins de 120 arrêtés sont pris à propos de sujets variés, d'une portée très variable ainsi que le montrent les notices suivantes extraites du répertoire des arrêts sur remontrance du procureur général du roi réalisé par Hervé Tigier en 1990 par l'analyse des arrêts conservés aux Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, sous-série 1B f, reproduites dans leur totalité sur l'article Arrêts du Parlement de Bretagne pour la prévention et la lutte contre la peste, 1582 - 1640.
Parmi ces arrêtés, on trouve en 1583, la requête des "nobles bourgeois manans et habitans de ceste ville de Rennes" pour le départ de tous les mendiants non originaires, et non inscription à l'avenir au rôle des pauvres des familles "étrangères" ; en 1622, "l'interdiction aux "écoliers" de Dinan, Dol, Saint-Brieuc et Saint-Malo de venir à Rennes" ; en 1625, la "Deffances aulx habitans de cette ville et forbourgs d'aller boire et manger aux hosteleryes tavernes et cabarets du dit lieu sur peine de six livres d'amande", etc.
Références
- ↑ http://www.infobretagne.com/rennes.htm
- ↑ Histoire de Rennes, p.244, Émile Ducrest de Villeneuve et D. Maillet. Edouard Morault, libraire. Rennes - 1845
- ↑ Hôpital Saint-Yves
- ↑ Histoire des hôpitaux de Rennes par le Professeur J.-C. Sournia. BIU Santé - 1969
- ↑ Rennes moderne, par A. Marteville, vol. 2 - 1849
- ↑ Histoire de Rennes, p.310, Émile Ducrest de Villeneuve et D. Maillet. Edouard Morault, libraire. Rennes - 1845
- ↑ La peste à Rennes de 1563 à 1640, par L. Delourmel. Bulletin et mémoires de la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine, vol. XXVI - 1897
- ↑ Clinique Saint-Yves
- ↑ Saint-Aubin et Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, deux conférences d' Arthur de la Borderie. Plihon et Hervé libraires-éditeurs. - 1896
- ↑ Vie des SS. de Bretagne, par le R.P. Albert Legrand, - 1680
- ↑ Manuscrit anonyme conservé aux Archives d'llle-et-Vilaine cote : 1 F 292.
- ↑ La_paroisse_Saint-Germain_de_Rennes_en_1725
- ↑ L'hygiène à travers les remontrances du Parlement de Bretagne, par Xavier Delhate, SFHAD, vol. 2 Université Paris 5.
Étude reposant sur les notices résumant environ 6000 remontrances et publiées par Hervé Tigier dans La Bretagne de Bon aloi - répertoire des arrêts du parlement de Bretagne sur remontrance du procureur général du roi de 1554 à 1789, Rennes, 1990.