Halles de boucherie de Rennes
En 1718, le présidial de Rennes est chargé de la Prise de possessions des cohues ou boucheries et halle à bled ou nonnerie de cette ville et des droits de lignage...[1]. Cette espèce d'état des lieux, du 12 septembre, commence par trois halles, celle de la Nonnerie (vouée aux grains) et les deux boucheries, et se termine par le tour des huit octrois. Le roi avait ordonné l'aliénation de tous ses petits domaines. Les deux halles de boucherie furent acquises le 14 juillet 1718 par Jean-Jacques Fenel, contrôleur général de la grande chancellerie de France, sur adjudication pour 57 000 livres, mais elles furent détruites dans l'incendie de 1720. Des halles provisoires furent aménagées au jeu de Paume et ouvertes le 23 août 1721 avec 44 étaux internes et 77 externes[2].
Fin 1720, le grand incendie a probablement atteint rapidement la halle de la Cohue située près de l'extrémité nord de la rue Tristin où le feu a commencé, dans la partie sud, tandis que la halle voisine du pont Saint-Germain a été démolie plus tard quand il devenait possible que le feu l'atteigne et passe ainsi la Vilaine vers la ville basse. En 1721, le 23 janvier, un devis est réalisé pour le rétablissement des halles de boucherie dans l'état qu'elles avaient auparavant. S'il reste bien peu de chose de la Grande halle, Jean François Huguet, ingénieur du roi à Rennes, paraît s'appuyer point par point sur ces vestiges. Pourtant, en contradiction de cette fidélité à l'originel, les positions des étaux des boulangers et de boucheurs paraissent inversées entre le devis et la prise de possession suite à l'adjudication.
La Grande Halle
La halle ou boucherie [est] scittuée entre le Grand et le Petit bout de Cohue, paroisse Saint-Sauveur. Un autre document dit : le bout oriental apellé vulgairement le petit bout de cohue jusqu'au bout occidental appelé le grand bout de cohue.... La maison du Sr. Haye Cherel contiguë à l'ouest (ou à l'angle nord-ouest), et une autre à l'est... Ses dimensions sont de 29 toises et 3 pieds par 11 toises (177 pieds par 66) ou encore 178 pieds par 54 pieds.
Sa structure se compose au nord de huit piliers de maçonnerie (4 x 3 pieds ; 10 pieds) et pour les autres côtés du pan de bois (5 à 6 pouces). Il y a trois séries de quinze poteaux (15 x 15 pouces), non compris ceux de la façade nord (entre les piliers), avec des palastres de deux pieds de largeur sur les piliers ; et façon de grille pour tirer du jour (hauteur de cinq pieds par déduction) (aucune autre ouverture, mais même chose à l'étage). Les murs feraient 11 pieds au sud, et 6 pieds au nord avec la façon de grille au-dessus. En 1718, les trois séries de poteaux en comporteraient seize, plusieurs étant pourys par le pied aussi bien que les seulles qui les suportent, la réalisation de murette étant recommandée en remplacement (deux pieds de haut avec les fondements ; 18 pouces d'épaisseur).
La plupart des étaux sont séparés par des cloisons en coulombage et hautes de huit pieds.
Les étaux semblent tous faits de bois posés sur des tréteaux ou des chevalets. Les dizaines de madriers sont examinés pratiquement un par un, et leur format standard semble être de six ou sept pieds de longueur (cinq pieds aussi), 20 pouces de largeur, et 6 pouces d'épaisseur, ceci donnant l'allure de chaque étal. Utilisés par les bouchers, ils sont tous plus ou moins usés, tellement que les experts ne voient pas un usage de plus d'un an aux meilleurs, les autres étant pour la plupart retournés pour masquer l'usure.
Les étaux de boulangers utilisent des madriers (double rang) usés par les bouchers ou du chalotin. Le chalotin aurait deux pouces d'épaisseur et 12-13 pouces de largeur. Ils se trouvent au nord dans le devis de rétablissement, alors qu'ils n'apparaissent en 1718 qu'au troisième rang vers le midi.
Le devis s'élève à 48797 livres, non compris 10266 livres à prévoir pour les étaux et leurs cloisons.
La Haute Halle
La Haute Halle ou Haute Cohue, au-dessus de la grande, a la même longueur qu'elle, mais sur 30 pieds de large seulement : à l'occident, un escalier y monte d'une volée seulement : Ensuitte sommes montés à la Haute Cohue, etant au dessus de ladite Grande Cohue ou boucherie ... par un escallier du costé du Grand bout de Cohue (un second de l'autre côté) ... cent soixante quinze pieds de longueur de dedans en dedans sur ving six pieds neuf poulces de largeur ... de pands de bois de unze pieds de hauteur au dessus du plancher .... Deux fois quinze colonnes (12-15 pouces lardeur et 7-8 épaisseur), le tout portant 250 toises de couverture à 27 livres. L'usage de l'étage n'est connu que par la présence de cinq tréteaux, d'une structure plus complexe que les autres.
La mesure de la Haute Cohue en 1718 donne : 175 pieds x 26 pieds 9 pouces.
Les entrées
Le nombre et la situation des portes sont imprécis, en 1718 comme en 1721 : le devis ne prévoit que quatre portes au nord, sans précision, entre les piliers. Il est par ailleurs question de trois passées dans la cloison divisant longitudinalement la halle au niveau du second rang d'étaux à partir du nord.
En 1718, une porte sur la rue de la Ferronnerie est mentionnée, demandant quatre sols de clous pour une penture. Cette porte se trouve-t-elle au sud bien que ce côté semble bordé de maisons (cf. les revendications) et qu'aucune porte n'est prévue de ce côté dans le devis ?
Un des deux étaux à lardiers est situé pres la grande porte du costé du Grand bout de cohue et joignant l'escalier par dessous. Cette entrée apparaît à nouveau à propos d'un volet manquant à une fenêtre de l'étage : ensuite entrés dans un petit cabinet retranché de lad. Haute Cohue, donnant sur la porte d'entrée de lad. Cohue ou boucherie du costé du Grand bout de cohue ... si trouve une ouverture de fenestre ... de deux pieds de largeur et trois pieds de hauteur.
Côté Petit bout de cohue, une porte - aussi dite d'entrée - possède deux ventaux, sa réparation nécessitant des clous à tête de potiron.
De plus, cinq portes ouvraient au nord, à intervalles connus (42 ; 17 ; 16 ; 26 pieds) :
à la premiere porte du bas costé ... du costé du nort, il est necessaire d'y mettre une seulle de cinq pieds et demis de longueur et de six à sept pouces de grosseur en la place de celle qui y est qui est pourye. Une limande doit être posée sur un des battants de la seconde porte de ce côté pour l'empêcher de s'ouvrir en dehors. Il est indiqué ensuite que ces portes sont séparées par six tréteaux en la longueur de vingt six pieds sur six pieds de largeur ; la seconde séparée de la troisième par quattre traitteaux recouverts [aussi] de chalotin en la longueur de seize pieds sur six pieds de largeur ; puis la quatrième porte aussi séparée de la précédente par quatre tréteaux sur la longueur de dix sept pieds sur cinq pieds de largeur ; de même ensuite la cinquième neuf tréteaux sur une longueur de 42 pieds et 4,5 pieds de largeur. Ainsi, dans l'hypothèse où ces portes auraient cinq pieds de large (chacune ou en moyenne), il resterait, par calcul, 28 pieds avant la première porte et autant après la cinquième (pour un total de 178 pieds).
Après l'incendie, les étaux et emprises revendiqués
En janvier 1721, un mois après la destruction de la halle par le grand incendie, chacun se porte à rappeler les droits qui étaient les siens, possesseurs d'étaux ou propriétaires voisins. L'ingénieur du roi, à qui on demande déjà un devis de reconstruction, s'occupe d'essayer d'y voir clair parmi tout cela[3].
... en l'endroit des mesurages est intervenu Louis Hervé, provost en charge de la communauté des marchands de draps et soyes de cette ville pour la conservation des droits de la communauté, lequel nous a demandé acte de la declaration qu'il fait que dans l'enceinte de lad. halle, joignant le mur du costé du midy, il apartenait un terrain à lad. communauté, apellé la Lingerie, lequel contenait de laize, joignant lesd. murs douze pieds, et de long cent huit pieds à commencer depuis une porte qui donnait sur le Petit bout de cohue jusqu'à une ruelle donnant sur la rue de la Feronnerye presque vis à vis de l'egou ou conduit qui venait du Grand bout de cohue à lad. rue de le Feronnerye.
... et est pareillement intervenu Mr. Charles Dusers, procureur au parlement, mary et procureur de droit de Dlle. Perinne Mondehert, lequel nous a demandé acte de sa declaration qu'au long dud. mur meridionnal, tirant vers le bout occidental de lad. halle, il y avait une cave de trente sept pieds de long sur douze pieds de large, sur laquelle cave estait ediffiée partie de la maison sur Sr. Bioche, et sur l'autre partie de la mesme cave estait construitte une maison apartenante aud. Dusers des propres de sad. femme, laquelle depuis les halles jusqu'à la place du Grand bout de cohue sur laquelle elle avait face, pouvait avoir trente six ou trente sept pieds de profondeur et dix sept ou dix huit pieds de longueur, de maniere que lad. maison joignait la halle dans l'enlignement de la susd. Lingerie, et aussy led. Dusers demande acte de sa declaration que sad. cave prenait jour par deux ou trois soupiraux qui estaient ouverts vers lad. halle.
est pareillement intervenu le Sr. Anthoine Coquignon, lequel a demandé acte de sa declaration qu'en qualité de fermier de la traitte domanialle, il avait droit de jouir des etaux apelés de la Cuiratrye qui avaient esté sous affermé au nommé Le Suault ; que lesd. etaux devaient estre dans lad. halle sans que led. Coquignon, sache en quel lieu ny en quelle qualité estaient lesd. etaux.
... en l'endroit est intervenu Me. Godefroy Bertelo, procureur en la cour, mary et procureur de droit de Dlle Anne Perinne Le Compte, lequel a demandé acte de la declaration qu'il fait qu'il possedait dans la partye meridionalle et occidentalle de la Grande halle, donnant sur la place du Grand bout de cohue, une maison avec enfoncement et vues mortes, ouvertes et soupiraux sur lad. halle, egallement que differentes portions de deux autres maisons adjassentes et allant vers la Lingerie ...
... comme aussy est intervenu Bertranne Letort, veuve de Pierre Dallibart, bouchere du roy, laquelle dit qu'en cette qualité, elle avait en propre dans lad. Grande halle, les dix sept et dix huittiesme etaux du second rang, contenant chacun cinq pieds et demy de longueur, qui luy ont esté conservés par le reglement de police fait en l'année 1711.
... ont aussy intervenus Nicolas Tillon et René Dogon, prevosts en charge des maîtres blanconniers, lesquels ont dit que la communauté desd. blanconniers, ont en propres dans lad. halle les dix premiers etaux du costé de la Lingerie à commencer au Petit bout de cohue, qui estaient affermés quatre cents livres, et qui leurs avaient esté donnés par Madame la Duchesse Anne.
...ledit Huguet a declaré que le long de lad. halle et lingerie, il y a un mur dont les vestiges paraissent encore au rez de chaussée, lequel mur parait avoir fait autresfois la closture et separation de lad. halle et des terrains et maisons cy-dessus ; que dans led. mur de separation il y a plusieurs de reffantes et retours qui faisaient la separation des caves desd. maisons et où les poutres estaient portées ; et que vers la partie de lad. halle vers midy et occident, au joignant de la porte, est un retour de maison voisinne, dont les vestiges paraissent outrepasser le mur cy-dessus qui faisait la closture desd. halles et des heritages ; laquelle halle ayant de dehors en dehors, y compris la lingerie et lesd. maisons reclamées, onse toises de largeur et lesd. heritages et lingerie ayant deux toises de largeur dans toutte la longueur de lad. halle, partant reste le nombre de neuf toises pour la largeur de lad. halle à quelque chose pres par raport au costé du Grand bout de cohue, attendu le retour de la maison joignant la porte.
En 1718, dans le premier rang au nord, dix étaux "du costé de la Lingerie" sont revendiqués par Julien Cadoret, prévôt des maîtres blanconniers et gantiers ; il y en a 19 autres dans le même rang, 27 dans le second rang. Du côté des bouchers, second rang depuis le nord, Pierre Dallibart revendique le dixième, long de onze pieds, et l'ayant acquis d'avec sa Majesté.
Faits divers
En 1732, Jacques Derval, maître boucher, et Bertranne Letort, bouchère, soumettent leur mésentente conjugale au présidial de Rennes. Parmi les témoins de l'enquête civile, Jeanne Pitoy, 60 ans, veuve de François Fleury, lardière, rue de Lisle, dépose, le 28 mai, que le jeudy dernier, elle entendit du bruit à la hasle où estante allée pour voir ce que c'etait, elle vit ledit Derval prenant le grand couteau de boucherie et menassant sa femme de l'en fraper ; ce qu'elle deposante à l'aide de quelque autre oposa, et alors elle entendit lad. Letort reprocher à son mary qu'il etait un coquin, un libertin, qui luy avait mangé plus de cinq mil livres, et dit que led. Derval estait pour lors yvre. Faits confirmés par la déposition de Renée Salmon, 30 ans, servante[4].
Halles de la rue Saint-Germain
La prise de possession et le devis donnent une bonne idée de la configuration et situation de la halle, bordant le pont sur la droite si on se place au sud :
- La halle ou boucherie, dite scittuée près le pont Saint-Germain, est sur le pont Saint Germain sur toute sa longueur pour sa façade ouest : la face de lad. halle du costé du soleil couchant est suportée sur les quatre avant becs du pont ... Elle repose de l'autre côté sur quatre piliers de pierre de taille, si bien qu'un bateau est pris pour visiter le dessous.
- Elle aurait ainsi pour dimensions : 66 x 23 pieds (aussi poutres de 23 pieds, 16-17 pouces à 3 livres le pied), selon devis ; ou 64 pieds par 21 pieds de largeur (au moins 12 de hauteur), à pan de bois et maçonnerie de terrasse...
- Cette taille permet l'occupation par 17 étaux de boucher sur le pourtour de la halle. Le plancher était fait de madriers de quatre pouces d'épaisseur (un pied de largeur) et était à un pied au dessus du pavé du pont.
- Les murs étaient à pan de bois de dix pieds avec poteaux aux angles de onze pieds. La porte avait huit pieds, 10 pieds de hauteur.
- Sept fermes soutenaient 42 toises de couverture.
- Le rétablissement coûterait 8597 livres.
Des documents de la même période mentionnent des boutiques sur ce pont, probablement à l'opposé de la halle.
Dès 1484, le duc François II avait demandé la construction de trois nouvelles cohues, reconnaissant que la ville était « de grand circuit et fort peupllée tant dedans la saincture que es faubourgs d’icelle » et que l’unique cohue « en laquelle par chaincun jour sont expousées en vente tant chair, poisson tant de mer que d’eau doulce et plusieurs autres denrées et souventeffois pour grande affluance des denrées apportées et descendues en ladite cohue et la multitude des marchans et achatans se y trouve grand presse et foulle de gens ». La première cohue se trouva sur le pont de la Vilaine et servit de halle aux poissons, la deuxième sur le pont Saint-Germain pour les bouchers et la troisième, pour la mercerie, place du Cartage. [5]
Notes et références
- ↑ Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : cote 2B 437.
- ↑ Rennes ancien, Rennes moderne t. 2 , p. 197 par A. Marteville. Deniel et Verdier. Rennes.
- ↑ Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : cote 2B 440.
- ↑ Archives départementales d'Ille-Vilaine : cote 2B 448
- ↑ Rennes, naissance d'une capitale provinciale (1491-1610), p.228,229 Mathieu Pichard-Rivallan. thèse/ Région Bretagne. Université de Rennes 2 U.E.B - 2014