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Céline à Rennes
Louis Destouches a vécu à Rennes une demi-douzaine d'années mais la ville n'aura pas de place dans l'œuvre littéraire de Louis-Ferdinand Céline.
Louis Destouches, 24 ans, débarque du train en gare de Rennes, le 10 mars 1918, au milieu des philanthropes américains de la fondation Rockefeller venus en France lutter contre la tuberculose et ses ravages, qui reçoivent un accueil solennel : les Rennais se massent des deux côtés du trajet jusqu'à la mairie où le maire reçoit les membres de la commission, présentés par le Dr Follet, président du comité départemental de lutte contre la tuberculose. Le maréchal des logis cuirassier de 1914, blessé au bras, médaille militaire et croix de guerre, ancien employé comme surveillant dans la plantation de cacao d'une compagnie forestière au Cameroun, sans diplôme, est ravi de se frotter au milieu médical. Le 11 mars 1918 au cours de la séance inaugurale au théâtre de Rennes, il dit avoir fait sa première conférence sur l'hygiène, avec un énorme trac, écrira-t-il plus tard. L'Ouest-Eclair du lendemain ne fait état que d'une seule conférence, celle donnée par le Dr Bruno, membre de la Mission. Dès le 12 mars, au cinéma Omnia,[1] devant un public féminin de jeunes filles du lycée, de l'école normale d'institutrices et de l'école primaire supérieure, Destouches fait "une conférence extrêmement intéressante. Il a parlé avec une grande science de la question et avec un art goûté des plus fins connaisseurs", relate le journal. [2] Et il enchaîne les conférences : le 18 à la halle aux Toiles et à l'école de la rue de Paris, le 19 à la halle aux Toiles et à l'école de garçons du faubourg de Nantes. Devant les syndicats ouvriers il "recommande notamment une lutte énergique contre l'alcool, rappelant que c'est le lit où se couche la tuberculose" [3], puis le 21 c'est à l'école Quineleu "dans le quartier de la gare" devant 250 garçons puis devant 150 filles, puis aux "ouvriers et ouvrières du quartier",[4] le 22 à l'école de la rue Papu devant 100 filles puis "pour les ouvriers et ouvrières de la rue de Brest et du faubourg de Brest".[5]
Le jeune homme a du bagout et de l'allure et plaît, notamment à Edith Follet, 19 ans, fille du docteur Athanase Follet. La jeune fille tombe amoureuse de l'orateur et Destouches est reçu au domicile du docteur, dans son salon du 6 quai de Richemont. Le docteur est professeur de médecine, médecin à l'Hôtel-Dieu, chirurgien en chef à la clinique de la Sagesse, 17 quai d'Ille-et-Rance, et à l'hôpital militaire Ambroise-Paré avec aussi un cabinet médical, 3 rue Du Guesclin. Après une soirée d'information à Montfort le 28 avril - avec séance de cinéma, le "brillant conférencier" poursuit la tournée dans le nord du département et les mois suivants jusque dans le Finistère. On parle mariage mais Louis doit passer son bachot et se remet au latin sous la direction du supérieur du collège Saint-Vincent, l'abbé Pihan. L'oncle de Louis est secrétaire de la Faculté de médecine de Paris et d'aucuns voient une relation avec la nomination du beau-père, le docteur Follet, au poste de directeur de l'Ecole de médecine de Rennes. Le 19 août 1919, Louis Destouches épouse Edith Follet à Quintin et le couple, qui bénéficie en dot d'une pension viagère de 12 000 F., loge au rez-de-chaussée du 6 quai de Richemont et Louis étudie en face, à la Faculté des sciences où il obtient le certificat de physique, chimie et histoire naturelle. En PCN comme lui, le Rennais René Patay raconte une plaisanterie de carabin :" Nous fabriquons de l'ammoniaque lorsque Destouches revient à moi en disant:" C'est de la blague ce que dit Arthus, cela ne sent rien !" Sans rien dire je prend le flacon qui, sur la cuve à eau, se remplit de gaz devant moi et le lui met sous le nez. Il en aspire une bonne dose... et s'abat tout de son long sur le carrelage ! Affolé, j'appelle Arthus qui, très calmement, me dit :" Ce n'est rien, cela vaut la soupe à l'oignon pour dessaouler quelqu'un. N'empêche que, si cela avait été toxique, je privais la littérature française de Louis-Ferdinand Céline !".[6].
En 1920 naît Colette. Louis joue au tennis, monte à cheval, fait de la moto avec son épouse dans le side-car. Il fait médecine, fait des travaux au laboratoire de biologie marine de Roscoff, prépare sa thèse, remplace le docteur Porée, 5 quai Lamennais, l'été 1923, et soutien sa thèse à Paris le 1er mai 1924. Les relations avec son beau-père sont bonnes mais laches : Destouches écrit à un ami qu'il lui arrive de se promener le long des quais de la Vilaine dans un sens pendant que le Dr Follet tourne dans le sens opposé. Il remplace en mai-juin le Dr Cardot à son cabinet de Montfort-sur-Meu et celui-ci a estimé le jeune médecin peu consciencieux. Une plaque, apposée en 2004 sur la maison, évoque ce séjour.[7] La première oeuvre "littéraire" de Louis Destouches est "le Petit Mouck", conte pour enfants illusté par son épouse, ancienne élève des Beaux-Arts, qui fournit des dessins à la Semaine de Suzette. Dans ce conte on trouve l'explication de la décision prise par lui de quitter Rennes, ce qu'il nommera plus tard dans "Le Voyage "mon vice, cette envie de m'enfuir de partout à la recherche de je ne sais quoi"."[8]
Peu après son séjour à Monfort il quitte Rennes et ne vit plus avec son épouse dont il divorce divorce en juin 1926. Il abandonne une perspective de vie bourgeoise et de médecin de province. Il prend le large pour diverses missions pendant trois ans à travers le monde. Toutefois il revient à Rennes voir sa fille avec laquelle il passe un mois de vacances à Dinard. Et Louis Destouches deviendra l'écrivain que l'on sait : Louis-Ferdinand Céline, Céline prénom de sa grand-mère maternelle Guillou... [9]
références
- ↑ -Voir l'article anciennes salles de cinéma de Rennes
- ↑ Ouest-Eclair 13 mars 1918
- ↑ Ouest-Eclair 19 mars 1918
- ↑ Ouest-Eclair 22 mars 1918
- ↑ Ouest-Eclair 25 mars 1918
- ↑ Mémoires d'un Français moyen, par René Patay -1974
- ↑ Céline en Bretagne au début du XXIe siècle, par Charles-Antoine Cardot- Le Bulletin célinien, n° 289, septembre 2007
- ↑ Louis-Ferdinand Destouches (Céline) à Rennes et à Montfort (1918-1957), par Charles-Antoine Cardot; Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine. t. CVII-2003
- ↑ Les belles années rennaises de Céline-1918-1924, par Georges Guitton, Place Publique n°5