Bannière liberation Rennes 2.jpg

A l'occasion des 80 ans de la libération de Rennes, (re)découvrez l'ensemble des
contributions autour de la Seconde Guerre mondiale et de la libération sur Wiki-Rennes.

8 novembre 1956 : une colère rennaise

De WikiRennes
Aller à la navigationAller à la recherche


En novembre 1956 les Hongrois se révoltent, certains l’ont payé de leur vie, les autres n’ont eu que quelques jours d’espoir avant une répression sanglante menée par Moscou, qui replongea la Hongrie dans le communisme pour trois décennies supplémentaires. Le 8 novembre 1956, devant la répression soviétique en Hongrie, se manifeste la colère rennaise.

Le contexte : indignation devant la répression de la révolte hongroise

Le 23 octobre 1956 les Hongrois sont descendus dans la rue pour leur liberté. Les dirigeants hongrois appellent Imre Nagy à la tête du gouvernement mais décrètent par ailleurs la loi martiale et demandent aux troupes soviétiques qui stationnent autour de la capitale de les aider à rétablir l'ordre. Les Soviétiques n'interviennent guère, les Hongrois tentent de fraterniser avec les soldats soviétiques et l'armée rouge se retire le 27 octobre. Les Hongrois croient que l'heure de la victoire a sonné. Mais l'insurrection dégénère le 30 octobre avec, à Budapest, l'occupation du siège du parti communiste et le massacre de ses occupants ainsi que de gardes qui n'ont rien à voir avec le régime détesté.

Nagy, gagné par l'euphorie populaire, forme le 1er novembre un gouvernement de coalition et annonce le retrait de la Hongrie du pacte de Varsovie. C'est trop pour les Soviétiques : dès le dimanche 4 novembre, 8 divisions et plusieurs centaines de chars de l’armée rouge entrent dans Budapest. Les insurgés, étudiants, salariés, résistent avec héroïsme mais sont écrasés. Une protestation enfle en France et des manifestations sont organisées par un large éventail de forces politiques et syndicales, à l’exception évidemment du parti communiste et de la CGT, pour rendre hommage à tous les Hongrois morts pour la liberté. L’indignation provoquée par la violence de la répression et le rejet de l’attitude du PCF qui se solidarise avec la politique soviétique en dénonçant l’insurrection « fasciste et réactionnaire » conduisent des militants de droite et d’extrême-droite à rêver d’en découdre avec le Parti communiste. Le 7 novembre à Paris, des manifestants avaient tenté d’incendier le siège du PC et l’immeuble de L’Humanité. De violents heurts avaient eu lieu entre manifestants et contre-manifestants puis avec les forces de police faisant un mort et de nombreux blessés.

Le journal communiste Ouest-Matin

Jeudi 8 novembre, à Rennes, une manifestation agitée

Rue des Dames

La population rennaise a été invitée à manifester sa sympathie à La Hongrie insurgée. Devant le palais du Commerce plusieurs centaines d'étudiants, lycéens et collégiens s'assemblent, interrompant la circulation. Il fait beau. Quelques agents improvisent un service d'ordre. À 11 heures, ont lieu le dépôt de gerbes au Panthéon rennais, place de la Mairie, où plus de 15 000 personnes avaient défilé en silence derrière les représentants de la municipalité. Toutes les classes de la société, tous les partis politique (communistes exceptés, évidemment), tous les groupements syndicaux, sauf la C.G.T., étaient représentés officiellement. [1] et des discours de solidarité et de compassion en faveur du peuple hongrois et on entonne la Marseillaise. Des magasins sont rideaux baissés par crainte d’exaction des manifestants probablement mais plus sûrement à l’appel de l’Union du commerce rennais qui a d’ailleurs demandé à ses adhérents de fermer afin de permettre à leur personnel de participer à la manifestation. Une longue colonne quitte le haut de la place, des jeunes pour la plupart, essentiellement des étudiants - ainsi la faculté de droit de la place Saint-Melaine s’est vidée ; elle se dirige, aux cris de « Au PC ! », « Les cocos à Moscou ! » vers les locaux du Parti situés 2, rue des Dames, en passant par la rue de Montfort quasi déserte et la rue du Chapitre et elle pénètre dans la cour pavée de l’immeuble du 18e siècle d’où des lancés de cailloux brisent des vitres. Des manifestant envahissent la cage d’escalier et s’y entassent tandis qu’arrivent des uniformes bleus de gardiens de la paix accueillis par des « La police avec nous ! ». Bientôt des silhouettes apparaissent aux fenêtres de l’appartement du PC d’où tombent chaises, planches, livres, brochures, affiches, une ronéo disloquée dans la cour inondée de soleil. Une voix forte s’élève incitant les manifestants à arrêter les frais, indiquant que trois manifestant sont blessés, sans doute celle d’un commissaire de police[2].

Manifestants rennais devant les locaux de Ouest-Matin (collection Dr Badault)

Place Rallier du Baty

Puis les manifestants, dont des étudiants d’extrême droite, tels ceux du Centre d’action universitaire pour l’Algérie française ou les Jeunes étudiants nationalistes du Cercle Cadoudal, émanation de l’Action française, qui n’avaient d’ailleurs pas caché leur intention d’en découdre, se dirigent, quelques-uns avec drapeaux tricolores, vers la place Rallier du Baty où se trouvent les locaux du quotidien Ouest-Matin, journal communiste à diffusion régionale créé en 1945, qui avait cessé de paraître le 14 juin. L’une des façades, donnant sur la place Saint-Michel, porte l’enseigne du journal, bien connu des Rennais. Aucune mesure préventive n’a été prise pour protéger les locaux et on ne voit pas de forces de l’ordre. Des manifestants défoncent les rideaux de fer, d’autres escaladent la façade de l’immeuble, d’autres utilisent une échelle pour envahir les locaux du journal. C’est alors la mise à sac des locaux d’Ouest-Matin, toujours occupés par l’Imprimerie commerciale, propriété du PCF, et de tout le matériel et les archives du journal entreposés là. Une foule dense de plusieurs centaines de manifestants, pour l’essentiel de jeunes hommes, contemple au sol les résultats du saccage : mobilier brisé, livres, papiers en grand nombre.

L’Humanité du 9 novembre écrit: « Ce n’est pas seulement les “paras”, les tueurs de chez nous qui ont mis le feu aux maisons et aux livres à Paris, à Rennes, à Caen et ailleurs. Au coude à coude avec eux, protégés par la police française, brandissant le drapeau de l’ancienne Hongrie féodale, celui d’Adenauer et celui de la Russie tsariste, marchaient dans les rues les émigrés fascistes de tous les pays d’Europe." [3]. Aucun manifestant ne sera arrêté sur le moment et ce n’est que dix ans plus tard que l’État et la Ville de Rennes, à la suite d’une longue procédure, seront condamnés à verser une indemnisation à la société propriétaire des locaux pour défaut de maintien de l’ordre. [4]

  1. Ouest-France du 9/11/1956, p.2
  2. Témoignage de Charles-Antoine Cardot
  3. Les intellectuels français et l’insurrection hongroise de 1956, p.19 Florence Grandsenne - 2006
  4. 8 novembre 1956, la mise à sac du journal communiste, David Bensoussan. Place Publique n° 18 - juillet-août 2012.