« Chronique vezinoise sous l'occupation/libération/Paix n° 20 » : différence entre les versions

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'''''La vie libre reprend ses droits.'''''
=== La vie libre reprend ses droits. ===


Le village est à présent pourvu en carburant destiné aux véhicules civils, carburant qui a tant manqué durant cette longue période de guerre. La station essence de [[Vezin-le-Coquet]] est située un peu en retrait de la route de Montfort, devant la maréchalerie Letort. C’est une pompe qui délivre son précieux liquide, cinq litres par cinq litres. En effet deux récipients en verre sont disposés en haut de la pompe. L’un préalablement plein se vide dans le réservoir du véhicule tandis que l’autre se remplit aussitôt quand la pompe est actionnée manuellement. Un marqueur est fixé en dessous des récipients, il comptabilise le nombre délivré de fois cinq litres. La marque de la firme, à cette époque, représente un dragon qui ne cesse de m’intriguer et que j’observe du coin de l’oeil à l’occasion de mes passages.
Le village est à présent pourvu en carburant destiné aux véhicules civils, carburant qui a tant manqué durant cette longue période de guerre. La station essence de [[Vezin-le-Coquet]] est située un peu en retrait de la route de Montfort, devant la maréchalerie Letort. C’est une pompe qui délivre son précieux liquide, cinq litres par cinq litres. En effet deux récipients en verre sont disposés en haut de la pompe. L’un préalablement plein se vide dans le réservoir du véhicule tandis que l’autre se remplit aussitôt quand la pompe est actionnée manuellement. Un marqueur est fixé en dessous des récipients, il comptabilise le nombre délivré de fois cinq litres. La marque de la firme, à cette époque, représente un dragon qui ne cesse de m’intriguer et que j’observe du coin de l’œil à l’occasion de mes passages.
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Peu à peu les automobiles se comptent plus nombreuses sur nos routes, on peut maintenant les voir circuler. Les anciennes qui étaient remisées depuis le début de la guerre, souvent placées sur cales sont ressorties. A l’intérieur de l'une d’elles j’ai découvert un terrain de jeu. Je me souviens d’une voiture, qui semble très vieille, chez Letort dans un grand état de délabrement intérieur et à la carrosserie poussiéreuse. Les coussins, sans doute recouverts de cuir ou simili, sont très dépenaillés. Des trous se sont formés à travers desquels sortent des touffes de crin. L’ensemble sent la graisse, la poussière, l’humidité et le pipi de chat. Toutes ces odeurs ne me gênent pas outre mesure, elles caractérisent le lieu. Cette voiture est aussi sur cales, dans un hangar attenant à la forge. Je m’y glisse parfois dedans par temps de pluie, peut-être même avec Alphonse. Nous actionnons le levier de vitesse, tournons le volant, manipulons les boutons, tirons le starter. Ce jeu m’occupe très peu de temps, la position statique ne me convenant qu’à faible dose.
Peu à peu les automobiles se comptent plus nombreuses sur nos routes, on peut maintenant les voir circuler. Les anciennes qui étaient remisées depuis le début de la guerre, souvent placées sur cales sont ressorties. A l’intérieur de l'une d’elles j’ai découvert un terrain de jeu. Je me souviens d’une voiture, qui semble très vieille, chez Letort dans un grand état de délabrement intérieur et à la carrosserie poussiéreuse. Les coussins, sans doute recouverts de cuir ou simili, sont très dépenaillés. Des trous se sont formés à travers desquels sortent des touffes de crin. L’ensemble sent la graisse, la poussière, l’humidité et le pipi de chat. Toutes ces odeurs ne me gênent pas outre mesure, elles caractérisent le lieu. Cette voiture est aussi sur cales, dans un hangar attenant à la forge. Je m’y glisse parfois dedans par temps de pluie, peut-être même avec Alphonse. Nous actionnons le levier de vitesse, tournons le volant, manipulons les boutons, tirons le starter. Ce jeu m’occupe très peu de temps, la position statique ne me convenant qu’à faible dose.


'''''Les automobiles réapparaissent sur le macadam'''''
 
=== Les automobiles réapparaissent sur le macadam ===


Les belles automobiles, les moins belles aussi, mais jamais neuves, peuvent enfin reprendre l'air et caresser de nouveau le macadam de leurs pneus défraîchis. Le réseau routier local, n’est pas, en général, dans un excellent état d’utilisation, compte tenu du peu d’entretien dont il a bénéficié durant la période de l’occupation mais aussi à cause des nombreux convois d’engins militaires lourds, allemands ou alliés qui l’ont emprunté.  
Les belles automobiles, les moins belles aussi, mais jamais neuves, peuvent enfin reprendre l'air et caresser de nouveau le macadam de leurs pneus défraîchis. Le réseau routier local, n’est pas, en général, dans un excellent état d’utilisation, compte tenu du peu d’entretien dont il a bénéficié durant la période de l’occupation mais aussi à cause des nombreux convois d’engins militaires lourds, allemands ou alliés qui l’ont emprunté.  
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Monsieur Letort sort sa Citroën trèfle pour une petite promenade d’essai. Encore un événement qu’il ne faut pas manquer. Et qui donc invite t-on à occuper la place, dans la pointe arrière de la voiture, sur le siège escamotable ?... ''Tu montes avec nous Bébert !?…''me demande pour la forme monsieur Letort avec un grand sourire malicieux. En vérité il est inutile de me demander mon avis, je suis toujours prêt pour l’aventure. N'empêche que j'ai beaucoup de chance d'être encore une fois là où ça bouge. Vous me direz, bien sûr que je n'ai pas beaucoup de mérite à y être, puisque la maréchalerie, c’est ma permanence, c’est un peu comme la concierge qui indique au moyen d’une pancarte placée dans sa loge, qu’elle est dans l’escalier, moi je suis à la Maréchalerie.  
Monsieur Letort sort sa Citroën trèfle pour une petite promenade d’essai. Encore un événement qu’il ne faut pas manquer. Et qui donc invite t-on à occuper la place, dans la pointe arrière de la voiture, sur le siège escamotable ?... ''Tu montes avec nous Bébert !?…''me demande pour la forme monsieur Letort avec un grand sourire malicieux. En vérité il est inutile de me demander mon avis, je suis toujours prêt pour l’aventure. N'empêche que j'ai beaucoup de chance d'être encore une fois là où ça bouge. Vous me direz, bien sûr que je n'ai pas beaucoup de mérite à y être, puisque la maréchalerie, c’est ma permanence, c’est un peu comme la concierge qui indique au moyen d’une pancarte placée dans sa loge, qu’elle est dans l’escalier, moi je suis à la Maréchalerie.  


   
   
'''''La paix est signée'''''
=== La paix est signée ===


Un automne, puis un hiver et enfin un demi printemps s’écoulent, la guerre s’étant  éloignée de chez nous se termine enfin, la paix est signée. Pour marquer l’évènement, des festivités sont organisées à Rennes comme probablement dans toutes les villes et aussi dans beaucoup de villages de France. La famille se rend dans la capitale bretonne pour assister aux cérémonies et manifestations qui s’y déroulent.  
Un automne, puis un hiver et enfin un demi printemps s’écoulent, la guerre s’étant  éloignée de chez nous se termine enfin, la paix est signée. Pour marquer l’évènement, des festivités sont organisées à Rennes comme probablement dans toutes les villes et aussi dans beaucoup de villages de France. La famille se rend dans la capitale bretonne pour assister aux cérémonies et manifestations qui s’y déroulent.  
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Tout a commencé pour notre famille par un exode devant l'invasion allemande en juin 1940, du Nord vers le sud. Il se poursuivra maintenant dans le sens inverse. Ce sera le retour au pays.
Tout a commencé pour notre famille par un exode devant l'invasion allemande en juin 1940, du Nord vers le sud. Il se poursuivra maintenant dans le sens inverse. Ce sera le retour au pays.


'''''Préparatifs et départ pour un retour dans le Nord'''''
 
=== Préparatifs et départ pour un retour dans le Nord ===


En septembre/octobre 1945, la décision est prise, la famille s'en retourne ''"din l'chnord"''. Mon père, lui, souhaiterait bien rester et faire de la Bretagne son pays d'adoption, tandis que ma mère n’est pas de cet avis, ainsi mon père justifie ce refus en rappelant que ma mère ''« dès qu'elle ne voit plus le clocher de son village, elle est perdue »''... et son village est {{w|Wasquehal}}.
En septembre/octobre 1945, la décision est prise, la famille s'en retourne ''"din l'chnord"''. Mon père, lui, souhaiterait bien rester et faire de la Bretagne son pays d'adoption, tandis que ma mère n’est pas de cet avis, ainsi mon père justifie ce refus en rappelant que ma mère ''« dès qu'elle ne voit plus le clocher de son village, elle est perdue »''... et son village est {{w|Wasquehal}}.
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Comme la plupart des enfants de mon âge je vis et apprécie, au jour le jour, les évènements qui se présentent. Le voyage en chemin de fer me semble long. Le train se traîne, les ralentissements sont fréquents toujours accompagnés de crissements aigus provoqués par les roues qui frottent sur les rails. Je regarde le paysage, je suis heureux. Des dames de la Croix-Rouge française passent de wagon en wagon, elles nous offrent un goûter et des friandises.  
Comme la plupart des enfants de mon âge je vis et apprécie, au jour le jour, les évènements qui se présentent. Le voyage en chemin de fer me semble long. Le train se traîne, les ralentissements sont fréquents toujours accompagnés de crissements aigus provoqués par les roues qui frottent sur les rails. Je regarde le paysage, je suis heureux. Des dames de la Croix-Rouge française passent de wagon en wagon, elles nous offrent un goûter et des friandises.  


A Paris nous prenons le métro. C'est pour moi une expérience assez déplaisante, pleine de mystère mais aussi d’angoisse. Quel drôle de transport empruntons-nous là ! Au début de notre voyage, dans le train qui nous a mené à Paris, je pouvais, quand il roulait, contempler le paysage défilant sous mes yeux, or dans celui-ci qu’on nomme métro, c'est la nuit qui apparaît dès que la rame se déplace. Il n’y a plus de paysage, c'est le noir extérieur complet. J’ai l’impression que nous n’avançons pas, bien que le frottement des roues sur les rails, soit fort bruyant. Lorsque enfin je peux distinguer des lumières et apercevoir une animation extérieure, je constate que nous ne sommes pas partis. J’ai la vision de la gare précédente. Je ne m’explique pas ce phénomène, je suis très inquiet et même oppressé. C'est tout à fait comme un cauchemar. A plusieurs reprises, quand nous quittons le wagon pour rejoindre une correspondance, je suis emporté à vive allure par cette foule dense, je manque à plusieurs reprises de perdre mes parents. Je pense tout à coup m'être égaré, seul parmi tous ces gens, entouré d’innombrables visages inconnus, j’imagine le pire, je panique et je hurle ! Mais soudain, miraculeusement, la main de ma mère se pose doucement sur mon épaule. Ouf !…
À Paris nous prenons le métro. C'est pour moi une expérience assez déplaisante, pleine de mystère mais aussi d’angoisse. Quel drôle de transport empruntons-nous là ! Au début de notre voyage, dans le train qui nous a mené à Paris, je pouvais, quand il roulait, contempler le paysage défilant sous mes yeux, or dans celui-ci qu’on nomme métro, c'est la nuit qui apparaît dès que la rame se déplace. Il n’y a plus de paysage, c'est le noir extérieur complet. J’ai l’impression que nous n’avançons pas, bien que le frottement des roues sur les rails, soit fort bruyant. Lorsque enfin je peux distinguer des lumières et apercevoir une animation extérieure, je constate que nous ne sommes pas partis. J’ai la vision de la gare précédente. Je ne m’explique pas ce phénomène, je suis très inquiet et même oppressé. C'est tout à fait comme un cauchemar. À plusieurs reprises, quand nous quittons le wagon pour rejoindre une correspondance, je suis emporté à vive allure par cette foule dense, je manque à plusieurs reprises de perdre mes parents. Je pense tout à coup m'être égaré, seul parmi tous ces gens, entouré d’innombrables visages inconnus, j’imagine le pire, je panique et je hurle ! Mais soudain, miraculeusement, la main de ma mère se pose doucement sur mon épaule. Ouf !…
 


Le 25 mai 2013
Le 25 mai 2013
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== Voir aussi ==


[[Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°19]]
[[Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°19]]


[[Chronique vezinoise sous l'occupation/libération/Paix n°21]]
[[Chronique vezinoise sous l'occupation/libération/Paix n°21]]
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