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Les "Grands Jours" remplacés par un parlement

Il existait en Bretagne, sous les ducs, une juridiction supérieure à l'instar de la France, un conseil qui portait le nom de « Parlement » ; composé de vingt-deux « conseillers du duc » : il se réunissait à intervalles irréguliers ; ses sessions suivaient celles des Etats. Pour remédier aux inconvénients de ces sessions irrégulières, le duc François II, par édit du 22 septembre 1485, créa les « Grands Jours » qui devaient siéger à Vannes du 15 juillet au 15 septembre de chaque année. Ne fonctionnant en fait que du 1er septembre au 5 octobre, les Grands Jours ne pouvaient expédier qu'un nombre restreint d'affaires ; comme, d'autre part, les juges ne jugeaient pas en dernier ressort et que leurs décisions, en cas d'appel, étaient portées devant le parlement de Paris, les procès s'éternisaient, d'où des frais ruineux et d'interminables délais. Le premier vrai affrontement entre Rennes et Nantes, à partir des années 1530, a pour objectif d’obtenir l’intégralité des séances du conseil et chancellerie de Bretagne, cour provinciale dont le personnel n’avait pas vraiment changé depuis Anne de Bretagne. En fait, la chancellerie et le conseil de Bretagne avaient été enjeux de concurrence entre les deux villes bretonnes quarante ans avant la lutte pour l’obtention des séances du parlement. Charles VIII avait décidé, en 1493, d’établir la toute première alternance officielle entre Rennes et Nantes sur la base de deux périodes de six mois (octobre-mars à Nantes, avril-septembre à Rennes), modèle qui servira d’ailleurs ensuite à l’édit d’érection du parlement. En août 1531 le roi ordonna que le conseil se tiendrait annuellement, un semestre à Nantes, l'autre à Rennes mais les Nantais se plaignirent, en mars 1533, que le conseil ne s'était pas tenu à Nantes depuis cinq ans. Par lettres du 14 juin 1534 le roi fit injonction de se rendre à Nantes où la séance eut lieu en septembre de l'année suivante, la ville de Nantes offrant à cette occasion au premier président deux pipes de vin d'Anjou (NDLR 480 litres x 2), et deux poinçons de vin d'Orléans (NDLR 228 litres x2) que reçut aussi le second président[1].

C'est dans ces circonstances que fut établi le parlement investi de trois pouvoirs :

- judiciaire par la souveraineté de ses décisions attaquables seulement par la voie de cassation pour vice de forme, excès de pouvoir, mauvaise interprétation de la loi

- législatif par le droit d'édicter des règlements, avec sanctions pénales, ayant force de loi dans la province

- politique par la faculté de n'autoriser l'exécution des édits, lettres patentes, déclarations et autres actes de l'autorité royale qu'après les avoir vérifiés, et, en cas de dissentiment, de présenter au roi des observations et des critiques, sous la forme « d'humbles remontrances », et le parlement ne s'en priva pas.

D'abord partagé entre Rennes et à Nantes

Les Rennais avaient rédigé un premier argumentaire sommaire tendant à prouver que tous les édits d’alternance promulgués dans les années 1530 l’avaient été sous l’influence délétère de la communauté de ville de Nantes. Ce travail de persuasion mené par quelques Rennais députés auprès du Conseil privé (notamment Gilles Chouart) aboutit, le 28 janvier 1542, à un renversement de situation. Henri, acceptant l’état de fait, fixe la chancellerie à Rennes alors qu’il exigeait l’alternance avec Nantes encore sept mois plus tôt. Ils rédigent ainsi au cours du printemps 1542 une série d’articles pour « faire entendre et informer sur et de la commodité de la tenue des chancellerie et conseil des pays et duché de Bretaigne en la ville de Rennes. » Nantes abrite la chambre des comptes. Le 27 septembre, les États réunis amenés à choisir entre Rennes et Nantes choisissent Rennes. Au début le 19 mai 1543, le dauphin Henri, lassé de ce conflit qui dure depuis bientôt quatre ans ou indifférent à son propos, publie un nouvel édit à Saint-Germain-en-Laye où il réside, qui fixe la chancellerie à Vannes « comme estant ville neutre. »

Un édit de mars 1553 érigea en Bretagne un parlement composé de quatre présidents, trente-deux conseillers, deux avocats généraux et un procureur général, avec tout l'accompagnement de greffiers, huissiers, payeur des gages, officiers de chancellerie, etc. Un des conseillers était investi des fonctions de garde-scel qui faisaient de lui le principal officier de la chancellerie, chargé de veiller à l'exécution des règlements relatifs à l'apposition du sceau du roi sur les expéditions du greffe et au paiement des droits qu'entraînait cette formalité. Ces magistrats étaient répartis en nombre égal en deux sections ou « séances », dont l'une siégeait à Rennes, en août, septembre et octobre, et l'autre à Nantes, en février, mars et avril ; on prolongeait les séances d'un mois si nécessaire pour terminer les affaires en cours ; les autres mois disponibles étaient consacrés aux « vacations », pour l'expédition des procès criminels. De même qu'aux Grands Jours, comme dans d'autres parlements de province, la moitié seulement des sièges était réservée aux Bretons ou « originaires », l'autre aux Français, ou « non originaires ». Cette répartition avait pour but d'empêcher le particularisme provincial de régner sans obstacles au sein de la Cour. Les magistrats des Grands Jours furent pourvus de plein droit dans le nouveau parlement ; presque tous exerçaient en même temps d'autres fonctions judiciaires qu'ils eurent le droit de conserver sauf ceux dont les offices sis en Bretagne ressortissaient à la Cour ou pouvaient se trouver en conflit avec elle.

La séance de Rennes fut installée le 2 août 1554 par René Baillet, futur premier président, en qualité de maître des Requêtes investi d'une commission spéciale du roi ; ce fut aussi lui qui ouvrit la 2e session, celle de Nantes le 4 février 1555. Une dizaine d’années après l’obtention par les Rennais de l’intégralité des séances du conseil et chancellerie, les plaies ne s'étaient pas refermées chez les Nantais, d’autant moins que le personnel municipal n’avait pas été totalement renouvelé et gardait le souvenir de l’humiliation de 1543.

Gravure palais du Parlement.png

Ambitions rennaises

Dès le 3 février 1555, Julien Champion avait obtenu une procuration de l’ensemble du corps de ville de Rennes pour aller remontrer au conseil privé du roi la nécessité de :

« réunyr et réduire les deux scéances et ouvertures en une desdites villes, et que à ce faire nostredite ville de Rennes comme ville cappitalle de nostre duché et en laquelle nos prédécesseurs ducs de Bretaigne auroient de tout temps acoustumé prendre et recevoir leurs intersignes ducaulx et faire les premiers actes de leur principaulté et grandeur, et que antiennement les appellations de tous ledit pays de Bretaigne ressortissoient par appel en ladite ville de Rennes fors et excepté celles du conté de Nantes, et oultre que nostre ville de Rennes est la plus grande mieulx logée et mieulx bastie et plus propre et convenable pour la scéance ordinaire du parlement que nulle aultre ville de nostre duché et que en icelle y avoit grand nombre de gens de savoir, et que à moindres et plus légers fraiz et avec plus grande seuretté se feroint la conduicte des prisonniers, port et voicture des procès civils ressortissans par appel en nostre cour de parlement pour estre pays plat et descouvert, et ville scituée plus près du milieu de nostre duché que n’est nostredite ville de Nantes qui est bord des extremités d’icelluy duché, concluant ledit demandeur pour les causes et raisons dessus et aultres par luy déduictes et alléguées tendant à l’enthérinement de sa requeste. »

le 19 mars 1555, le conseil privé refuse de choisir entre Rennes et Nantes, soutenue par les villes bretonnes démarchées.

Julien Champion annonce en assemblée du corps de ville « que les Rennais n’ont deniers communs ne aultres prests en ladite communauté dont ils puissent payer en si brief temps la somme que le roy demande », celle de 5 000 livres pour le parlement de Bretagne et on décide un emprunt auprès des habitants à intérêts de 10% péniblement financé pour moitié par les marchands, pour l'autre par des nobles et des bourgeois. [2]

Le parlement gagné par Nantes

On s'aperçut de l'insuffisance du personnel car il suffisait de quelques magistrats malades ou autrement empêchés pour réduire le nombre des juges au-dessous du minimum nécessaire à la validité des arrêts ; un édit du 1er juillet 1556 créa huit nouveaux offices de conseillers. La double résidence offrait de grands inconvénients, mais elle avait l'avantage de donner satisfaction aux deux villes principales de la province. Le roi fixa donc, en juin 1557, les deux séances à Nantes mais fut pour peu de temps. Les deux séances furent, par le même acte royal, partagées chacune en deux chambres, l'une la « Grand Chambre » composée de deux présidents et quinze conseillers dont huit non originaires ; l'autre, la chambre des Enquêtes, avec deux présidents et onze conseillers, les derniers reçus, six français et cinq bretons, en tout soixante juges ; quatre présidents et douze conseillers furent créés pour compléter cette nouvelle organisation. Toutefois Rennes eut le dessous, à cause sans doute des sacrifices que les Nantais firent pour obtenir la préférence en versant au trésor royal 10 000 livres, le 2 juillet 1557, et en remboursant à Rennes les 5000 livres que celle-ci avait versé pour obtenir le parlement. Aussi le roi, par lettres du 25 juin 1557, accorda à la ville de Nantes le parlement de Bretagne sans alternative pour la ville de Rennes.

1561 : le parlement à Rennes

Le duc d’Étampes accepte de soutenir une nouvelle requête du corps de ville de Rennes auprès du conseil privé du jeune roi François II à Blois. Le 4 décembre 1559, dans une lettre au gouverneur, le conseil appelle à revoir la localisation de la cité parlementaire et confie à Étampes la responsabilité d’enquêter et de trancher une nouvelle fois entre Rennes et Nantes. Le 26 juin, les Nantais décident d’envoyer Jean Layller, avocat à la cour de parlement, pour aller plaider une nouvelle fois la cause de la ville auprès du conseil du roi. Le 27 septembre, à Vannes, le héraut des États convoque tous les présents, nobles, prélats et représentants des villes, à venir comparaître devant le gouverneur pour choisir entre Rennes et Nantes. Les suffrages furent majoritairement pour Rennes (18 pour Rennes et 9 pour Nantes), considérée comme plus commode comme étant au centre de la province, Nantes étant en extrémité. La ville de Nantes perdit bientôt l'avantage qu'elle avait obtenu. Des lettres royales appelèrent les bourgeois de Rennes à déclarer les raisons de leur opposition au maintien du parlement à Nantes. C'était tendre une perche aux Rennais. Un édit du jeune roi Charles IX, âgé de 10 ans, derrière lequel est sa mère, Catherine de Médicis Wikipedia-logo-v2.svg, en date du 4 mars 1560 porta "translation du Parlement de Bretagne dans la ville de Rennes pour y être sédentaire" mais Rennes eût à rembourser à Nantes ce qu'elle avait payé au roi pour obtenir cette faveur[3]. Il en résulta un procès entre les deux villes et le conseil chargea les Etats de délibérer à laquelle des deux villes il convenait plus d'avoir le parlement. Par arrêtés des 2 et 17 mars 1580 le conseil fixa le parlement à Rennes. Nantes tenta vainement de le récupérer, plusieurs fois et à grands frais[4].

1590 : un parlement doublon ligueur à Nantes

En 1590, le duc de Mercœur, gouverneur de la province, pour asseoir sa puissance politique, voulut, après la mort d'Henri III, faire de Nantes, où la Ligue était maîtresse, le siège du parlement et y appela les membres de la Cour et dix-huit seulement s'y rendirent.et s'y réunirent le 8 janvier 1590. Le parlement royaliste, qui continua à se recruter régulièrement, se maintint à Rennes, fidèle à Henri IV et travailla , d'accord avec les commandants militaires, à combattre les ennemis du roi, affirma ntsa fidélité par ses arrêts et notamment par celui du 27 février 1590 qui condamna les parlementaires ligueurs à être pendus ; leurs corps devaient être traînés sur la claie et leurs biens confisqués, condamnation qui resta fictive. La soumission de la province entraîna la disparition de la Cour rebelle et l'amnistie du 20 mars 1598 ramena au parlement de Rennes presque tous ceux qui l'avaient quitté pour servir la Ligue.

Le parlement n'avait à Rennes, depuis son érection, qu'une installation provisoire, incommode et insuffisante, dans les locaux du couvent des Cordeliers. Dès 1564, il fut question de construire pour l'y établir, un palais qu'il devait attendre quatre-vingt-onze ans ; la communauté de ville obtint en 1578 des lettres qui l'autorisaient à lever des subsides pour bâtir « un palais et maison royalle » ; ce fut seulement sous Henri IV (lettres du 3 juillet 1609) que fut définitivement décidée la construction du palais du Parlement de Bretagne qui ne sera achevée qu'en 1655.

L'exil à Vannes

De 1675 à 1690 le parlement eut sa résidence à Vannes. A la suite de la Révolte du papier timbré à Rennes, en avril, juin et juillet 1675, le roi, par déclaration du 18 septembre suivant, avait transféré à Vannes le siège de la Cour.Ce furent seulement les lettres patentes d'octobre 1689 qui rendirent à Rennes le parlement.


références

  1. Histoire de la Ville de Nantes. t. 2, p. 290, par l'abbé Travers Imprimerie de Forest. Nantes - 1837
  2. Rennes naissance d'une capitale provinciale (1491-1610), Mathieu Picherd-Rivalan, thèse de doctorat, vol. 1 UEB -2014
  3. www.infobretagne.com/parlement-bretagne.htm
  4. Histoire de la Ville de Nantes. t. 2, pp. 290, 291, par l'abbé Travers Imprimerie de Forest. Nantes - 1837