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Chronique vezinoise sous l'occupation n°06

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Souvenir d’un enfant


Faits divers à Vezin-le-Coquet sous l'Occupation

Un réservoir supplémentaire d'avion tombe sur le village

Tiens ! Un avion allié s’allège de ses réservoirs supplémentaires vides, il les largue sans façon. L’un tombe sur le village, dans un pré entre chez Pinel et la ferme Plassous, un autre dans la lande d’Apigné m’a dit Gaston. Heureusement personne n’est présent à cet endroit au moment de la chute. Les Allemands sont vite arrivés sur les lieux en side-car, pour savoir de quoi il en retourne. Encore une fois, j’ai de la chance, je suis présent quand survient l’événement.

Pour l’instant en retrait, j’observe la scène. Un attroupement de gens du village s’est formé près des soldats casqués et vêtus de grands imperméables. Ils tournent autour de la chose, la regardent attentivement, l’inspectent sous toutes les coutures, la tâtent pour comprendre de quelle matière elle est faite, discutent entre eux et repartent. La représentation n’a pas été très longue. Le spectacle est terminé, chacun s’en retourne à ses occupations.

Le réservoir me paraît très grand. Chouette! On va pouvoir faire une cabane. À présent qu’il n’y a plus personne ou presque, j’entre à l’intérieur pour me rendre compte de la profondeur et juger des possibilités d’aménagement. Très rapidement j’en ressors. L’odeur est insupportable et étouffante, sans doute les émanations des résidus de kérosène. Je crois me souvenir que Jean Pinel m’avait demandé de ne pas demeurer à l’intérieur. Je suis très déçu, j’ai trop rapidement fait plein de projets pour l’utilisation de ce cadeau venu du ciel. Qu'est-il, par la suite, devenu ce machin, je ne sais pas.

Sabotage d'un pylône électrique du chemin vert

Des lignes haute tension traversent la commune, soutenues par de hauts pylônes. Ils acheminent l’électricité vers le centre de transformation de la Belle Epine pour, notamment, alimenter les puissants projecteurs du champ de DCA voisin. Il arrive que l’un des pylônes soit dynamité. Par exemple celui qui se trouve en haut du chemin vert, à une très courte distance des canons, et pas loin de chez nous. C’est l’œuvre du groupe du Cdt Louis Pétri [1], dit Loulou, dit Tanguy. Ce réseau de résistants a payé un lourd tribut dans son combat contre l’occupant pour que la France redevienne libre.

Extrait des mémoires du commandant Pétri responsable régional FTPF

Juillet 1943

« Auguste et moi avions passé la nuit du 13 au 14 à Vezin-Ie-Coquet, à préparer et placer nos bombes. Des morceaux de bois calaient, contre le pylône, les explosifs. Nous couchions dehors et je vous assure que, malgré la saison, la nuit n'était pas chaude. Nous avons allumé les mèches et nous sommes rentrés à Rennes. Quand le pylône est tombé, le ciel incendié jusqu'aux limites les plus lointaines de l'horizon. '" Avenue du Mail, à 5 heures moins 10, des agents nous croisèrent. Nous riions très haut comme des ouvriers retour du travail. Mais notre travail n'était pas fini. À 5 heures 05, nous nous séparions rue de la Chalotais. À 5 heures, je posais une bombe au soupirail de la cave du [PPF] et rejoignais ma "planque" chez Mme Nobilet».

Quand ce pylône gît, bien à plat sur le sol, les Allemands ne sont sans doute pas heureux, par contre c’est la fête pour certains enfants du Bourg. Voilà tout à coup un formidable terrain de jeu qui s’offre à nous, tombé de sa hauteur. De plus, il s’étale de tout son long sur notre chemin vert, c’est un bonus ! Nous nous régalons d‘escalades sur ce mécano géant affalé en travers du chemin. Avec Alphonse nous passons bien des moments à jouer sur cet immense tas de ferraille. Tout a une fin et, à notre grand regret, il demeure trop peu de temps dans sa positon de repos. Il doit reprendre son activité. Les réparateurs arrivent. Nous suivons le cours de l’érection de notre ex-terrain de jeu, qui reprend, jour après jour, de l’altitude. Nous passons saluer l’ouvrier qui termine le chantier. Une fois la reconstruction complète du pylône et la remise en état des lignes terminées, des barbelés sont installés pour en interdire l’approche immédiate. Une pancarte en rouge est apposée sur laquelle on peut lire dans les deux langues MINEN – Miné. Je prononce MINANT pour Minen. Je ne comprends pas la signification de Minen, peu importe…

Des pylônes électriques qu'il faudra garder ?

Après le dynamitage de notre fameux pylône, les autorités allemandes décident de faire garder, la nuit, tous les pylônes par des civils du village. Suite à cette décision une réunion privée, tout à fait informelle réunissant quelques amis de mon père, se tient chez nous pour, sans doute, organiser les tours de veille ou simplement pour en discuter. Pierrot Letort, mon idole, est présent. Après être entré dans la pièce il me hisse et m’assoit sur la garde-robe, pour quelques instants. C’est une coutume quand il vient nous rendre visite. Toujours curieux, mes oreilles sont grandes ouvertes pour écouter les conversations. Je connais le contexte. Je retiens quelques bribes des paroles échangées. Quelqu’un dit : « Oui, mais moi, si un résistant veut saboter le pylône, je lui demanderai de me ligoter à un arbre ». Un autre : « il faudrait qu'il nous donne un coup sur la tête pour faire vrai ». Je n’ai jamais su si le projet des tours de garde du pylône s’est concrétisé ou si les autorités allemandes avaient renoncé à l’application de cette décision. La mairie doit avoir cela dans ses archives.


Pylone dynamité pendant la guerre.JPG

Endroit du Pylône dynamité en haut du Chemin Vert.

Les émissions radio pendant la guerre

Chez nous, à la maison, nous possédons un poste radio, qui n'est pas caché, il est bien en vue sur une étagère. Pourtant il paraît qu’il faut les remettre à l’administration !? Enfin, il fonctionne très souvent. Trop souvent au gré de mon père qui rappelle que « l’électricité coûte cher et ainsi écouter la radio, la journée, est affaire de paresseux ». Des chansons sont diffusées par Radio Paris, je les retiens facilement et les fredonne encore maintenant, jolies chansons. Elles sont souvent susurrées avec beaucoup de douceur. Je les entends encore, très apaisantes, Rina Ketty, Jean Sablon, Charles Trenet, Berthe Silva avec ses Roses Blanches et bien d’autres. Quand ma mère me chantait « Les Roses Blanches » chanson qu’elle aimait tant, je ne m’imaginais pas alors qu’elle disparaîtrait aussi comme dans la chanson peu de temps après, en 1946. Beaucoup de ces chansons, qu’on disait « réalistes » me transportent encore aujourd’hui dans ma douce enfance et font naître en moi une douce nostalgie.


Le soir, à la radio il y a une émission pour enfants que je ne veux pas manquer. Il semble que cette émission s’intitule DOMINO. Je ne suis par certain. La radio diffuse aussi le soir un feuilleton pour adulte dont le thème musical m’impressionne. Je pense que la musique de présentation du feuilleton est celle de Vincent d'Indy, un extrait de la Symphonie Cévenole. À moins que cela ne soit un extrait de l’Amour des trois oranges de Stravinsky. L’instant musical est tragique et m’émeut.

Plus tard dans la soirée ce n’est plus Radio Paris qui est écouté, parce que tout le monde sait que… « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ». Je fredonne cette chanson de Pierre Dac, sans en comprendre le sens. Cette radio se présente en énonçant la phrase suivante « Ici Londres, les Français parlent aux Français ». Toute la famille s’applique à écouter les informations qui nous arrivent d’outre-Manche. Chaque auditeur interprète à sa manière, en fonction de son âge, les propos qui sont dits. Un brouilleur, comme une musique répétitive empêche d’entendre clairement la personnes qui parle. Un speaker débite de courtes phrases prononcées toujours deux fois, qui n’ont ni queue ni tête, c’est paraît-il des messages. Comme à l’école !

Non je ne me souviens pas avoir vu affiché la photo du Maréchal Pétain à Vezin-le-Coquet. Elle doit être probablement quelque part mais pas ostensiblement exhibée, peut être affichée à minima. C’est sans doute la raison pour laquelle je n’ai pas de souvenir concernant ce sujet, sauf d’avoir entendu prononcer « la milice de Pétain ». Le panneau public d'affichage est fixé sur le mur extérieur d’un préau de l'école, préau des filles et des petits, côté rue devant chez Letort. Eh bien non ! Pas de souvenir de l'image du Maréchal. Elle doit bien être quelque part. Madeleine Pécoil me disait récemment que la photo pouvait bien être affichée en Mairie… quand même !…

Le maire de Vezin est un résistant

Le maire de Vezin, Monsieur Fernand Bons, a des contacts étroits avec des éléments de la Résistance. Il héberge dans sa ferme à proximité du bourg des aviateurs britanniques qu'il cache dans des grands fûts. Chaque jour il leur fait apporter de la nourriture jusqu'à leur prise en charge par un réseau qui les acheminera en zone libre. Il a aussi fait passer des Polonais recherchés par la Gestapo (les vieilles personnes prononcent Jestapo). Il a été décoré après guerre, notamment pour ces faits, lesquels ne sont pas les seuls. Il ne peut et ne veut donc pas assurer la promotion du Maréchal. J'ai consulté, ce jour, deux anciennes du village qui avaient à l'époque entre 13 et 18 ans. S'agissant du Maréchal, l'une est certaine de n'avoir jamais vu sa photo affichée dans la commune. L'autre en est aussi certaine et certifie en outre que les enfants de la communale ne chantent pas la chanson du Maréchal en question. Par contre les enfants chantent et cela est certain : «  Le p’tit Prince à dit ».

La DCA de la Belle Epine et son PC à la Drouétière

Le poste de commandement du champ de la DCA allemande de la Belle Épine est situé au Château de la Drouétiére, sur une éminence, tout près du bourg. Une petite tourelle surmonte le château dont le toit est alors plat. En haut de la tourelle se tient comme un petit belvédère à partir duquel on découvre mieux qu’ailleurs le bassin de Rennes. Endroit idéal, qui convient parfaitement à l’occupant pour mieux observer, sans doute, le passage des avions. Avec d'autres femmes, ma mère aide à la préparation des repas des soldats du château ainsi que de ceux des artilleurs qui cantonnent auprès de leurs pièces à environ un kilomètre plus loin. La soupe des artilleurs est transportée du château de la Drouétière à la Belle Épine au moyen d'une charrette tirée par un cheval que conduit un jeune du village, Roger Philouze. Ce jeune homme habite dans une ferme en bas du Tertre. Il remplace son père qui a été réquisitionné pour cette corvée. La cuisine est préparée dans le sous-sol à l’arrière du château. J’accompagne parfois ma mère. Un de ces jours-là, il fait beau, les femmes épluchent des pommes de terre, dehors, beaucoup de pommes de terre. C’est bien le diable si quelques unes d’entre elles ne se retrouveront pas plus tard dans notre assiette à la maison, surtout si elles sont transformées en frites. J’adore les frites cuites dans de la graisse de bœuf comme on les prépare din l’ch’nord.

Sous sol château de la Drouetiere.JPG

Arrière du château, le sou-sol où était préparée la popote des Allemands


Le travail des civils employés par les Allemands est rémunéré par l’administration française, c’est une réquisition de l’occupant. J'accompagne aussi quelquefois ma mère au cantonnement près des pièces de DCA, une petite ferme réquisitionnée. C’est une grande pièce que je découvre en y entrant, des tables, des chaises, c’est le réfectoire. Les soldats sont très jeunes, ils ont tous pour moi de gentilles marques d'attention, certains jouent avec moi et me donnent des bonbons. Ils appartiennent probablement au RAD Reichsarbeitsdienst (Service du travail de l’Etat) de la Luftwaffe, défense antiaérienne.


Un certain jour, pour une raison que j'ignore, ma mère ne s'est pas rendue à son travail, probablement un mot d’ordre de quelque part. Dans la même journée un soldat allemand, fusil en bandoulière, masque à gaz au ceinturon, une grenade à manche dans une botte, dévale à vélo la route de Montfort. Sans descendre de son engin il frappe à la fenêtre de notre maison qui donne sur la rue. J’ai encore la chance d’être présent dehors, au niveau de la cour devant chez Trincart. Je vois mais je n’entends pas ce qui est dit, l’Allemand gesticule ma mère répond par des signes de tête. L'événement est clos. Le soir ma sœur aînée raconte « Il a dit (l'Allemand) que si maman refuse de venir travailler, « ils » viendront la chercher baïonnette au canon ». Baïonnette au canon !?… Baïonnette au canon !?… J’imagine mal. Comment peut-on mettre une baïonnette au bout d'un canon de DCA et venir chercher ma maman avec çà !… Encore un mystère qui, toutefois, ne m’a pas tracassé bien longtemps mais qui, plus tard en y repensant, m'a fait sourire.


Albert René GILMET

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Janvier 2013

Chronique vezinoise sous l'occupation n°05

Chronique vezinoise sous l'occupation n°07