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Rue du Champ Dolent
La rue du Champ Dolent est une toute petite rue coudée, en prolongement de la rue de la Parcheminerie, entre la rue Jean-Denis Lanjuinais et la rue Poullain Duparc, avec des degrés pour la liaison. Elle est le tronçon restant de cette rue alors beaucoup plus longue mais démolie dans les années 50 du 19e siècle, lors de l'établissement de voies nouvelles entre les nouveaux quais et l'ancienne promenade des remparts devenue boulevard de la Liberté. À son extrémité se trouvait une tour et une porte éponymes donnant sur un bras du fleuve, là où aboutit la rue Poullain-Duparc à la place de Bretagne.
Elle franchissait le ruisseau de Brecé et les immeubles, côté nord, avaient les pieds dans l'eau du ruisseau de Joculé. Elle est mentionnée dès le début du 12e siècle avec ce nom qui provient de sa destination : quartier de la corporation des bouchers et "chaircutiers", on y a tué les animaux destinés aux halles et marchés de la ville jusqu'en 1855, année d'ouverture d'un abattoir public, d'où ce qualificatif de "dolent" : plaintif, car y retentissaient les cris des bêtes destinées à la boucherie [2]. Lors des abattages, on y tendait des chaînes aux deux extrémités, par mesure de précaution[3].
Vers 1825, le quartier du Champ-Dolent était un "foyer perpétuel d"émanations putrides et délétères" comme le soulignait, en août 1826, une réponse du maire de Lorgeril [4] à un mémoire des bouchers. [5]Lors du 16e congrès scientifique de France, tenu à Rennes en septembre 1849, M. Toulmouche,* dans le cadre d'un tableau terrifiant de l'hygiène et de la mortalité à Rennes, s'attache plus particulièrement à l'état de cette rue qu'il nomme "rue de la Boucherie", surnom qui devait lui être donné par les Rennais à l'époque. On lit dans sa communication du 4 septembre intitulée: "La canalisation des rivières dans l'intérieur des villes et l'ouverture de rues plus spacieuses ont-elles une influence marquée sur la santé et sur le chiffre de la mortalité des habitants ?" [6]
"... pour celle de la Boucherie, il se joint à son vice de niveau, beaucoup trop bas par rapport à celui des eaux de la Vilaine, les inconvénients résultants de séjour d'une partie du sang des animaux qu'on y tue, de leurs excréments et des eaux qui ont servi à laver leurs intestins, dans les interstices d'un pavé en très-mauvais état. Ces matières s'y putréfient, en partie, surtout pendant l'été, et répandent dans l'air une odeur infecte. Il faut aussi noter l'existence dans cette rue et dans celle de la Parcheminerie, qui est très-voisine, d'un assez grand nombre d'araidonneries, de tanneries, de porcheries et de boyauderies." [7]
Jusqu'en 1855, époque à laquelle fut ouvert à Rennes l’abattoir public (voir Abattoirs de Rennes), les carcasses d'animaux de boucherie qui étaient débités dans les halles et marchés de la ville. En 1904, de vieux Rennais se souvenaient que le vendredi, jour de la tuerie, les barrières en bois placées aux deux extrémités du Champ-Dolent étaient fermées et que seules pouvaient pénétrer les familles des bouchers. Les animaux étaient étendus, immolés par le couteau, lavés dans le ruisseau qui coulait au milieu et, dépecés, étaient suspendus aux devantures des maisons[8]
Amputée de sa partie ouest
Au début du XXème siècle, la rue du Champ-Dolent va se voir amputée de sa partie ouest, qui formait une butte à son embouchure vers la rue Poullain Duparc. Les extraits qui suivent permettent d'y voir plus clair dans les tractations réalisées entre les élus et les propriétaires :
« ...ce pauvre Champ-Dolent, plein de constructions bizarres, de coins et de recoins sans nombres, de terrains en contrebas, - vrai nid de conspirateurs. »
— L'Ouest-Eclair
Origine : Numéro du 22 octobre 1900 • Recueilli par Manu35 • 2019 • licence
« Le Champ-Dolent ! n'y songera-t-on pas un jour à l'Hôtel-de-Ville ? Ne demandera-t-on pas que cette voie si affreuse, dans le quartier le plus central de Rennes, soit enfin nivelée et ramenée à la hauteur de la rue Poullain-Duparc ? Quand la ruelle Saint-Martin sera agrandie - travail absolument indispensable - il sera urgent de penser au Champ-Dolent, qui fait l'étonnement de tous les étrangers. »
— L'Ouest-Eclair
Origine : Numéro du 13 novembre 1902 • Recueilli par Manu35 • 2019 • licence
« La butte du Champ-Dolent - Le Champ-Dolent est de nouveau à l'ordre du jour. On déplore que cette voie, située dans l'un des plus beaux quartiers de la ville, conserve si longtemps, grâce à son affreuse butte, cet aspect de cul-de-sac qui étonne tous les étrangers.
Pourtant si nos souvenirs sont exacts, les propriétaires riverains ont fait, il y a déjà quelque temps la proposition à la ville de lui acheter la butte, et de s'en servir, tout en rétablissant l'alignement. Qu'est devenue cette proposition ? Dort-elle toujours dans les dossiers de l'Hôtel-de-Ville?
Nous serions reconnaissant à la municipalité de vouloir bien nous renseigner. »
— L'Ouest-Eclair
Origine : Numéro du 30 novembre 1902 • Recueilli par Manu35 • 2019 • licence
« Nous avons demandé dernièrement à nos édiles de vouloir bien nous dire ce qu'était devenue la pétition des propriétaires du Champ-Dolent qui demandaient acheter la butte.
Nous n'avons reçu aucune réponse. A ce sujet, un vieil habitant de la rue nous a donné hier les explications suivantes : Quelques propriétaires veulent bien, en effet, acheter la butte, mais ils ont fait des propositions absolument dérisoires à la Ville. D'un autre coté, celle ci ne verrait pas d'un bon œil les propriétaires construire de nouvelles maisons devant les vieilles et se conformer à l'alignement, établissant un pâté de maisons qui deviendraient un aliment facile à l'incendie.
Ce qui serait, en effet, préférable, ce serait de démolir toutes les vieilles bicoques du Champ-Dolent et d'en reconstruire de nouvelles à l'alignement. Mais, naturellement, les propriétaires ne marchent pas. »
— L'Ouest-Eclair
Origine : Numéro du 7 décembre 1902 • Recueilli par Manu35 • 2019 • licence
« Le Champ Dolent - Dolent, dit le dictionnaire Larousse : triste, plaintif. Et de fait, l'appellation de ce quartier, vient de ce que jadis, cette partie du vieux Rennes était occupée par les bouchers, et que, lorsque vaches, génisses, veaux, bœufs, moutons se trouvaient réunis, on entendait plus de mugissements et de bêlements que de duos d'amour.
Or, ami lecteur, vous savez peut-être que l'administration a décidé, dans une des dernières réunions du Conseil municipal, de mettre en vente le petit trapèze de terrain qui est en bordure de la rue Poullain-Duparc. C’est là une excellente idée qui profitera aux propriétaires de cette dernière rue, mais qui, vraisemblablement n'aura pas l'heur de plaire aux malheureux habitants du Champ Dolent, qui lorsqu'une ou plusieurs bâtisses seront construites, seront à jamais privés d'air et de soleil. Mais enfin c'est la vie: il est entendu que le malheur des uns doit toujours faire le bonheur des autres et vice-versà, et nous ne pouvons pas trop récriminer.
Du reste ce n'est pas pour cette constatation plutôt pessimistes que nous écrivons cet article. Nous voudrions vous prier lecteur, le jour où vous aurez quelque velléité de flânerie, d'aller jeter un coup d'œil: sur le terrain en question, on n'a pas mis d'écriteau pour indiquer que les lots étaient à vendre, mais on a barricadé le terrain d'une façon très réjouissante.
Après une clôture en palisseaux, qui du reste n'a duré que le temps nécessaire pour la brûler ; La Voirie s'est dite qu'il fallait songer à quelque chose de plus sérieux, et il y a quelques mois, on voyait des hommes graves et galonnés aidés de cantonniers, enfoncer des pieux et présenter comme clôture deux rangs de ronces artificielles !!! on craignait sans doute que les mânes des troupeaux jadis abattus dans ce quartier ne reviennent terroriser notre bonne ville.
On s'aperçut pourtant que ce mode de clôture présenterait quelques difficultés. En effet, en bordure d'un trottoir, en pleine ville, voyez-vous une dame accrochant sa robe aux ronces artificielles? Que faire alors ? On imagina de relier les pieux enfoncés avec des perches d'échafaudages, au moyen de fils de fer. On peut aujourd'hui voir ces perches peintes aux couleurs nationales — car elles ont servi jadis de mâts pour nos fêtes — faire un enclos peu banal dans cette partie de la ville. Cela représente à peu près un parc à bestiaux. Il est vrai que c'est dans le Champ Dolent.
Depuis, cette clôture sert à un usage que bien certainement notre bonne ville de Rennes n'avait pas rêvé. Ce barrage de parc est devenu un séchoir public.
Le jeudi surtout, lendemain de la lessive, on peut voir des jupons, des culottes, des torchons, serviettes, des draps de lit, et parfois même des paillasses ou des matelas, étendus sur le bienfaisant fil de fer.
Voyons, le quartier n'est déjà pas si affriolant et ne pourrait-on empêcher ce déploiement de linge ?
Jeudi nous signalerons d'autres quartiers où l'hygiène et la police auraient beaucoup à faire. »
— L'Évènement Rennais
Origine : Numéro 1 du jeudi 18 juin 1903 • Recueilli par Manu35 • 2019 • licence
« Dénomination de rues.
Par arrêté municipal du 20 juillet, [...] la rue du Champ-Dolent portera ce nom à partir seulement de l'alignement de la rue Lanjuinais.
Quant à la rue de la Parcheminerie, elle partira rue de Nemours pour se terminer rue Lanjuinais, supprimant ainsi une partie de la rue du Champ-Dolent. »
— L'Ouest-Eclair
Origine : Numéro du 23 juillet 1903 • Recueilli par Manu35 • 2018 • licence
« Le Champ-Dolent
Air de : Madame Grégoire (Béranger).
I
Voilà du nouveau : Le Champ-Dolent déménage,
Ce petit hameau,
Déparait le paysage,
On va tout mettre à bas,
Dans quelques jours, hélas!
C'est facile de détruire
Mais permettez-moi de dire
Qu'à Rennes vraiment,
On bâtit trop souvent.
II
C'est contrariant,
C'est dans ce point de la ville,
Qu'on était pourtant,
A l'abri d'automobile.
Les enfants là, pouvaient
Jouer tant qu'ils voulaient,
Sans gêner le voisinage,
En costume de sauvage
A Rennes vraiment
On bâtit trop souvent.
III
Moi je les aimais,
Ces bicoques centenaires,
Là, je me trouvais
L'plus heureux des locataires,
C'était pas luxueux,
Mais c'était peu coûteux,
Faudra payer davantage,
Et monter au septième étage.
A Rennes vraiment
On bâtit trop souvent.
IV
On est bien trop prompt
A flanquer les choses à terre,
Par contre trop long
A faire le sens contraire
Et grâce à ce moyen,
On ne termine rien :
L'église Bonne-Nouvelle,
Ce palais qui n'a qu'une aile,
A Rennes vraiment
On bâtît trop souvent.
V
Comme la prison,
Qu'on construit pour des rouleuses,
Seigneur! à quoi bon?
Si bien soigner des voleuses.
Elles mangent du bon pain,
Parfois boivent du vin,
Quand nous, faut que l'on s'échine
Si l'on veut une chopine.
A Rennes vraiment
On bâtit trop souvent.
VI
Ah ! dans quelques temps
Ce sera bien agréable,
Les bons logements
Ne seront pas abordables,
Faudra q'les malheureux
Pour avoir leur chez eux
Fassent, comme Diogène,
D’un grand tonneau leur domaine.
A Rennes vraiment
On bâtit trop souvent. »
— E. May-Lang, dans "L'Évènement Rennais"
Origine : Numéro du 28 août 1903, page 2 • Recueilli par Manu35 • 2019 • licence
Note
* Adolpe Toulmouche (1798-1876) : docteur-médecin renommé, professeur-adjoint à l’École de médecine de Rennes et archéologue. On lui doit une Histoire archéologique de l'époque gallo-romaine de la ville de Rennes et une Recherche sur l'hygiène et la mortalité de la ville de Rennes. Une rue de Rennes[9] lui a été attribuée.
Références
- ↑ Album breton-Souvenirs de Rennes. Landais impr
- ↑ Les rues de Rennes, notices historiques et archéologiques, par Lucien Decombe. Le Roy, éditeur - 1892
- ↑ Le Vieux Rennes, par Paul Banéat, lib. Larcher- 1911
- ↑ rue de Lorgeril
- ↑ A. M. Mx 46 (M 5/1)
- ↑ Écluse Chapelle-Boby
- ↑ Actes du Congrès scientifique national, 16e session, Rennes septembre 1849. à Paris chez Derache, rue du Boulay 7 - juin 1850
- ↑ Rennes capitale de la Bretagne, par Ad. Orain, revu et complété par E. Rivière, Bahon-Rault éd. - 1925
- ↑ rue Toulmouche
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Lien externe
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