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Deux anciens aviateurs ennemis échangent entre les deux guerres
1918, duel aérien
René Patay, un jeune brave
Engagé à 17 ans en juillet 1915, le maréchal des logis au 7e régiment d’artillerie, René Patay, 20 ans, titulaire de la croix de guerre est devenu, en 1918, pilote de chasse à l’escadrille SPA 26 du célèbre groupe des Cigognes où s’illustra Fonck, et on lui a affecté un SPAD 180 cv équipé d’une mitrailleuse sur le capot. Le SPAD « plane comme un fer à repasser » mais est doté d’un moteur Hispano-Suiza qui est une merveille et il patrouille sur les secteurs de Mondidier et de Roye. Le 17 août 1918, « j'aperçois alors, loin dans les lignes allemandes, un Spad (sans doute de reconnaissance photo lointaine) qui s'efforce de regagner nos lignes tout en faisant des acrobaties pour éviter les attaques de deux Fokker D VII qui s'acharnent sur lui. Je fonce à son secours et attaque le Fokker VII le plus proche, sous l'angle 3/4 avant trop difficile pour un jeune pilote mauvais tireur. Je vire exactement au- dessus de mon adversaire lorsque je le vois cabrer son appareil à la verticale. A peine ai-je le temps d'apercevoir son visage caché sous de grosses lunettes que je ressens un choc à la fesse gauche tandis que je suis entouré de balles traceuses. Une brutale extension involontaire de la jambe gauche me fait faire je ne sais quelle acrobatie et je me retrouve, moteur arrêté, en vol plané dirigé vers les lignes françaises. Mon adversaire est derrière moi, tirant de temps en temps de petites rafales, sans doute pour m'obliger à atterrir dans les lignes allemandes . » [1] Il est prisonnier. Son décès sera annoncé à ses parents et des effets de leur fils leur sont remis. Il ne retrouvera Rennes que le 27 janvier 1919. En 1935, René Patay apprend que le lieutenant de réserve Veltjens Josef, chef de l’escadrille 15, a abattu un avion SPAD le 17 août 1918, vers 17h20, à l’est de Roye. De fait, Veltjens était un as de l’aviation et l’avion était piloté par Patay.
Josef Veltjens, un as
Né le 2 juin 1894 à Gelden, à l'ouest de Duisbourg, Joseph Veltjens, "Seppl" pour les intimes était entré dans l'aviation en décembre 1915, à 21 ans, à la Flieger Abteilung 23, où sa tâche consista à repérer les positions des fantassins ennemis. En mars 1917, il passe à la Jatsa 14. descend 4 Spads et un Farman en peu plus d'un mois et devient ainsi un as. Avec la Jasta 18 qu'il a rejoint en août 1917, il obtient 5 succès supplémentaires en Flandres et dans le Hainaut occidental. Le 20 mars 1918, il intègre la Jasta 15 dont il va prendre le commandement le 18 mai. 2 jours plus tard, il reçoit la Croix de Chevalier de la Maison des Hohenzollern suivi de la plus haute distinction de l'armée allemande, l'Ordre pour le mérite en août. Ses succès sont obtenus à bord d'Albatros, Fokker et Siemens-Schuckert DIII portant son insigne personnel : une flèche barbelée peinte sur le fuselage.
Les deux anciens combattants correspondent
Répondant à Patay, Veltjens confirmera début 1936, ajoutant : « Votre lettre fut une amère épreuve pour moi parce qu’elle m’indiquait qu’il existe encore actuellement un homme qui gardait de moi un souvenir douloureux du temps de guerre. L’issue du combat fut, sans doute, relativement favorable pour vous car tous mes autres combats ont fini par l’anéantissement complet des machines adverses. » Veltjens indique avoir remporté 37 victoires.
Le 25 janvier 1936, Patay lui envoie une photo où il parle devant le monument aux morts de Fougères et lui explique que les adhérents à l’Union des Combattants sont à la fois patriotes et attachés à la paix et ont gardé une certaine estime pour les combattants allemands. Le 26 février l’Allemand lui envoie la photo de son hôtel particulier à Berlin où il pourrait le recevoir. Veltjens lui indique, dans une longue lettre, que les Allemands sont anti-communistes pour avoir connu leurs excès après leur défaite de 1918. Il a reçu trois blessures en luttant contre les Spartakist communistes et son commandant d’escadre, le colonel Rudolf Berthold - NDLR :qui avait fondé un corps franc nationaliste - a été retrouvé nu dans une rue de Hambourg en mars 1920 , tué par eux à coups de bottes.(Quelques sources prétendent que Berthold a été étranglé avec le ruban de sa "Max Bleu", la croix "Pour le Mérite", inscription en français.) .
1937, 1939, vers la seconde guerre
Le 16 mars, Patay lui dit son inquiétude au sujet de la remilitarisation de la rive gauche du Rhin et des ambitions de Hitler. Veltjens lui répond, dès le 21, que l’Allemagne est profondément pacifique et que le Führer n’a aucunement l’intention d’annexer l’Autriche, la Tchécoslovaquie et l’Ukraine, ajoutant qu’il n’est pas possible de laisser une grande nation sans colonie. Il souhaite que les gens raisonnables des deux pays réussissent à éviter toute nervosité. Et il joint à la lettre la photo de ses trois fils ; Patay lui adresse le 26 juillet la photo de ses enfants et l’invite à l’inauguration de la maison de retraite des anciens combattants au Plessis-Bardoult, en 1937. En août 1939, après la signature du pacte de non agression germano-soviètique, Patay lui écrit, lui demandant ce qu’il en pense. Pas de réponse.
Fin de la correspondance entre les deux anciens combattants
1944, Patay évoque Veltjens
Le 8 juin 1944, au retour de Saint-Brieuc, le docteur Patay apprend qu’un officier de la Gestapo est venu le matin de bonne heure pour l’arrêter et a voulu visiter l’appartement disant à son épouse que dès son retour le docteur devra se présenter avenue Jules Ferry. Il n’en fera rien. François Château, le maire de Rennes, menacé » d’être arrêté par la Gestapo, disparaît et est destitué par le préfet pour abandon de poste. Les Allemands, désirant qu’il y ait à Rennes un maire responsable, le préfet demande à Patay de prendre le poste, ce qu’il accepte et un arrêté du préfet régional Robert Martin l’y nomme le 14 juin. Deux jours après, le préfet départemental Bouché-Leclerq lui demande de faire avec lui une visite officielle au Feldkommandant et… au chef de la Gestapo. Patay dit s’amuser de se voir, gants à la main, chez celui qui envoyait, huit jours plus tôt, un de ses subordonnés pour l’arrêter. Et, pour l’amadouer, il croit utile de lui parler de ses relations avec Josef Veltjens. Il insiste pour être considéré comme seul responsable en cas d’incidents et demande que les personnalités internées soient relâchées.[2] Après le bombardement du 17 juillet 1944, Patay se rend au Thabor où il y a eu de nombreuses victimes françaises et allemandes et il y est abordé par un civil qu’il sait être un agent de la Gestapo, lequel lui annonce : « L’aviateur Josef Veltjens est mort », signe que le SD avait bien enquêté sur le nouveau maire de Rennes. [3]
Veltjens, un drôle d’oiseau
Huit mois plus tôt, le 6 octobre 1943, le lieutenant-colonel Veltjens, émissaire de Goering , célèbre aviateur de la Grande guerre, auprès de Mussolini, était en route pour le rencontrer dans sa république de Salo avec pour mission de récupérer la réserve nationale italienne de lingots d’or pour payer divers états créanciers. Il meurt à bord d’un Junker 52 qui, voulant échapper à la chasse alliées, percuta le mont Cervellino dans les Apennins. Pendant la guerre civile espagnole , ayant fondé une compagnie de navigation ,il se livre à divers trafics juteux , notamment d’armes pour les nationalistes et, en 1940, mandaté par Goering, avec la Finlande, à un trafic d’armes aux Finlandais moyennant le passage des troupes allemandes en juin 1941. Lors du procès de Nuremberg, des documents, trouvés par l'armée américaine, sont versés aux débats. Ils démontrent la culpabilité du maréchal Goering en matière de marché noir. Le 13 juin 1942, le maréchal du Reich donnait mission au colonel Veltjens de centraliser la structure du marché noir dans les pays occupés. Le 4 septembre suivant, il donna l'ordre que fussent collectées toutes les marchandises utiles, même si des signes d'inflation devaient en résulter. Dans un de ses rapports, le colonel Veltjens nota : On a prétendu que les achats au marché noir dans leur volume actuel et aux prix actuellement pratiqués deviendraient à la longue trop lourds pour le budget du Reich. On peut répondre à cela en faisant observer que la plus grande partie des achats effectués l'ont été en France et ont été financés par les frais d'occupation. C'est ainsi que, pour un total de 1 milliard 107 millions de marks, 929 millions ont été imputés aux frais d'occupation Aussi longtemps qu'il existera des stocks cachés de marchandises utiles à la conduite de la guerre, en regard de cet intérêt supérieur, tout autre considération devait s’effacer
Références
- ↑ MdL René Patay. Escadrille SPA 26. Les escadrilles françaises. Albin Denis
- ↑ Après la libération, les internées administratives au camp Margueritte
- ↑ Mémoires d'un Français moyen. René Patay - 1974