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Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°17

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Souvenirs d’un enfant


Des potins que des potins

Tentative d'évasion de prisonniers allemands

Dans l'après midi de ce jour du mois d’août 1944, des coups de feu retentissent dans le village. Coups de feu vraisemblablement tirés au moyen d’un fusil, les détonations sont puissantes. Il semble que le bruit de cette fusillade provient d'un pré entre la ferme Anger et le bourg, derrière la ferme Plassous. Très rapidement les mères s’inquiètent pour leurs enfants. Elles sortent des maisons et s’activent à leur recherche, nous sommes éparpillés dans tout le village. Je me trouve à cet instant là où je suis le plus souvent, je rejoins alors très vite le centre de discussion près de chez Méhot en face de chez Touffet. La raison de ces tirs est fournie par la rumeur. « Des prisonniers allemands ont tenté de s'évader.» Gare à eux ! Le GI a la détente facile. Grand émoi des mamans dans cette partie du village. Elles s’interpellent les unes les autres. Elles causent beaucoup, recausent encore, puis encore et enfin doucement le calme revient au centre du bourg. Chacun reprend, qui ses occupations de travail, qui ses jeux. L’évènement du jour est terminé. Il se passe toujours quelque chose à Vezin... (Ses soirées Coquettes. 2010-2011-2012 sont célèbres.)

Un ruisseau, sur le courant duquel je pose parfois, avec Alphonse des petits bateaux en papier préfabriqués par ma sœur, coule bien canalisé au sortir du pré de la ferme Lebastard, pour traverser la rue de Montfort. Il prend ensuite beaucoup plus d’aise et s’étale plus largement quand il arrive sur la propriété de la ferme Anger au Bas Vezin, surtout à un certain endroit de passage.

Kübelwagen: Photo source D Day-overlord.com

Des tours de kübelwagen au Bas Vezin, ferme Anger

À cet endroit et dans le souci de distraire les enfants du village, des soldats américains ont attaché en remorque un véhicule allemand en panne de moteur. C’est un câble qui relie les deux véhicules, une jeep à une Kübelwagen. Les enfants présents sont invités à monter dans le véhicule tracté, au volant duquel se tient un GI. Pour effectuer la balade, par groupe de quatre ou cinq, il faut attendre son tour. Les nombreux passages dans le ruisseau le transforme en un large gué. Pour notre plus grande joie, les deux véhicules le traversent à vive allure dans les deux sens, après une courte promenade, projetant de grandes gerbes d'eau boueuse. Une fois encore, nous prenons beaucoup de plaisir avec ces gentils soldats américains qui sont aussi gamins que nous. Nous aurons d’autant plus de peine, de les voir bientôt s’en aller.

Un GMC heurte violemment le café Bouget

Un matin, l’œil bien ouvert, l'oreille dirigée dans le sens du vent des nouvelles fraîches, j’entends ma sœur aînée dire « La nuit, en plein sommeil, elle a reçu le broc d'eau sur la figure ». Elle accompagne ses mots d’un regard dirigé vers la maison de madame Bouget (pas la couturière mais une parente qui tient Estaminet), premier bistrot à droite, après avoir franchi le ruisseau. En effet, un camion, un GMC de l’armée américaine, pour une raison ignorée de nous, est venu en pleine nuit finir violemment sa course contre sa maison. Le coin du mur s'est effondré, renversant sur le lit de la dame dans son sommeil un broc rempli d’eau. La dame est indemne, simplement arrosée. Pourquoi ma sœur rit-elle en nous relatant les faits ? À cause de l’arrosée qui n’était pas arroseuse! Bon… d’accord !

À la mi-août, ce sont les tomates que nous avons le plus à offrir aux soldats qui manquent cruellement de légumes frais. Je me rappelle en avoir apporté à mon "copain" sur le pré Lebastard. Où me les suis-je donc procurées? Sans doute ma mère !

Ma mère, aidée de ma sœur aînée, lave le linge de soldats américains, des gradés paraît-il. Il faut continuer de gagner sa vie, nos vies, quelles que soient les circonstances. Mon père qui travaille toujours à Pi-Park sous une autre bannière, en apporte régulièrement à la maison, en vrac dans des grands sacs. Le linge est rendu bien propre ainsi que ma mère sait le rendre mais aussi, bien plié, repassé, grâce au fer électrique. La prise du fer électrique est branchée, au dessus de la table centrale, sur l’unique fil qui alimente l’unique ampoule d’éclairage de notre unique pièce. Pratique !!!. L’ère de la plaque ou fer à repasser gendarme ou autre, chauffé sur le petit poêle de réfugiés, est révolu pour elles. Heureusement car nous sommes en plein été. Nous vivons maintenant à l’heure américaine du tout électrique. Mais où donc mon père s’est-il procuré ce magique instrument ? Peu de gens en disposaient alors.

C'est encore pour moi un moment très attendu. Dans les poches des pantalons ou des chemises, il peut encore y demeurer, oubliés des propriétaires, un crayon de bois avec une gomme (une merveille), des chewing-gum, un petit carnet, un paquet de cigarettes entamé et d'autres petites babioles. Peu importe ce que je récolte, c'est pour moi un immense plaisir de fouiller et de trouver ce que je me persuade être des trésors.

Pour la petite histoire, les crayons de bois couleur jaune avec une gomme, produits actuellement (2013) aux USA, sont identiques à ceux que je découvre, dans les poches des vêtements des GIs des années 40. C’est un scoop !

Mauvaise nouvelle, le 13th Inf Rgt s'en va

Mauvaise nouvelle !!!... Le départ des soldats américains est annoncé pour demain de très bonne heure. D'abord les artilleurs, ceux qui cantonnent derrière chez nous. La fête au village est terminée. La veille au soir du départ des Américains, la famille Gilmet presque au complet se tient dans la rue devant la fenêtre. Mon père attend quelqu’un avec un ami, lequel lui demande à plusieurs reprises « tu penses qu'il viendra? ». « Certainement, il me l’a promis ! » lui répond mon père. Le temps s’écoule teinté d’un peu d’impatience, la température est douce. La clarté s’estompe peu à peu pour faire place au commencement de la nuit. « Tu penses vraiment qu'il viendra? » répète le copain. « Sûr, j'ai confiance, je te l’ai dit, il me l'a promis ». La nuit commence à montrer vraiment le bout de son nez. Une jeep arrive enfin à vive allure, stoppe devant nous. Mon père se dirige alors vers notre fenêtre sur la marche de laquelle étaient posées des bouteilles. Il s’en saisit et les remet à nos visiteurs. À coup sûr il doit s’agir de Calvados. Un des soldats tire de l’arrière de la jeep un sac en coton blanc qui contient une belle quantité de sucre en poudre et autres produits. L’échange s’effectue dans un temps très court. On se congratule aussi rapidement, on parle un peu et on se dit adieu.

Baionnette J.F.Persin RR.jpg


L’un des soldats se nomme Joseph Persin (Joe). Il a offert à mon père, en signe d’amitié avant son départ , une baïonnette sur l’étui de laquelle il a gravé son nom. Mon père a reçu de ce soldat un courrier daté du 24 février 1945. La lettre a été égarée mais pas l’enveloppe. À cette date le 13th Inf Regiment de la 8th Inf Division était enfin désengagé de la terrible bataille de la forêt de Hürtgen en Allemagne. Bataille qui se Déroula entre le 19 septembre 1944 et le 10 févier 1945. Ce fut la plus longue bataille sur la terre allemande pendant la Seconde Guerre mondiale et la plus longue bataille jamais disputée par l'armée américaine dans son histoire.(Wikipédia)

L’enveloppe de la lettre de Joseph Persin contient des informations intéressantes qui ont permis de retrouver ses traces. Cette recherche s'est effectuée avec l’aide d’Antoine sans qui je n’aurais sans doute pas réussi. Antoine, hante comme moi les forums traitant de la SGM.

Lettre J.F.Persin RR.jpg

Ce n'est pas commun, me rappelle Antoine, qu’un GI adresse un courrier à un civil étranger. Joe mérite alors une certaine attention, ainsi les quelques informations que je possède le concernant permettront de jeter un petit coup d’œil sur sa vie post militaire. Je vais lui dédier une chronique. Joe (Joseph) a été Vezinois pour deux semaines, ce n’est pas rien !



Mars 2013

Albert René Gilmet

Autre information Blog Aldebert:[1]

Voir aussi

Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°16

Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°18