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Henri IV à Rennes
La fin d'une lutte et un roi bien disposé envers Rennes
Le duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne, beau-frère du roi Henri III, avait mené un double jeu : il avait pris la tête des ligueurs ultra-catholiques bretons et négociait avec le roi d'Espagne pour se tailler une principauté dans l'ouest avec Nantes comme capitale. Il avait même organisé à la mi-avril 1589 une émeute dans Rennes et fait chasser le lieutenant général de la Hunaudaye et le gouverneur Monbarrot qui s'étaient un moment réfugiés dans les tours des Portes Mordelaises. Le 5 avril, Monbarrot fit revenir Rennes sous l'autorité du roi. L'accord des deux rois de France et du Béarn, le 30 avril 1589, avait facilité la transition monarchique nécessaire après l'assassinat du premier le 2 août[1].
Datée du 2 août et signée de Henri IV, roi de Navarre, une lettre parvint aux échevins et habitants de Rennes avec ces mots tracés en marge de sa main : Contenez mon peuple en son obéissance et vous assurez de ma volonté de vous soulager et gratifier. Le prince de Dombes vint au parlement le 11 septembre, faire reconnaître Henri IV, soulignant que le roi avait promis par écrit de se faire instruire dans la foi catholique dans un délai de six mois. Le parlement de Bretagne était ainsi le premier à reconnaître le roi. Le roi marcha en personne contre le duc de Mercœur. Se méfiant plus de Nantes que de Rennes, dès avril 1589 le roi Henri IV avait demandé que l’université de Nantes soit déplacée à Rennes et il réitéra dans une autre lettre datée du 24 août 1591 adressée aux conseillers du Parlement et au sénéchal de Rennes mais le transfert de la seule faculté de Droit n'interviendra que ... 44 ans plus tard.[2]
Avant son arrivée à Rennes, Henri IV avertit : Dites à mes serviteurs que je me suis résolu à me faire duc de nom et d'effet de Bretagne; je y porte la paix et la guerre; je y châtierai les opiniastres et pardonnerai à ceux qui de bonne heure se reconnaistront; qu'on le fasse entendre à ceux qui tiennent mes places sous M. de Mercœur. Quelques soumissions fortifièrent alors le parti royaliste et Mercœur s'employa à traiter et un édit de transaction fut signé à Angers par le roi le 20 mars 1598.
9 mai 1598 : l'entrée dans Rennes et les clefs des cœurs
Henri IV vient alors en Bretagne. Pour sceller cette reddition, Henri IV choisit Nantes pour signer le fameux édit, le 13 avril 1598. Quelques semaines plus tard, il monte sur Rennes. Après avoir passé la nuit au manoir de Fontenay, en Chartres, chez la maréchale de Brissac, le lendemain 9 mai 1598, il va faire son entrée à Rennes. Le roi va y accéder par la rue de la Madelaine (faubourg de Nantes) pour atteindre la porte de Toussaints ornée de grands écussons, l'un aux armes de France, un autre à celles de Navarre, le troisième aux armes de Bretagne (la porte était située à l'emplacement de l'actuelle jonction de la rue Tronjolly et du boulevard de la Liberté). Toutes les églises font donner les cloches et la grosse horloge va sonner pendant deux heures. On fait tirer les couleuvrines et le canon. En présence de Le Meneust, sieur de Bréquigny, sénéchal à la tête du présidial, le maréchal de Brissac, lieutenant-général du roi en Bretagne, entouré de cinquante enfants vêtus de blanc, présente au roi les quatre clés de la ville en argent doré, attachées avec un cordon de soie aux couleurs du roi, que portait monsieur de Montbarot, le capitaine. "Voici de belles clefs, dit le roi en les baisant, mais j'aime mieux encore les clefs des cœurs des habitants", formule qu'il ne devait assurément pas employer pour la première fois...
Le roi avait fait connaître qu'il ne voulait pas de dais et que les rues fussent tendues en son honneur. Il entre en ville par la rue Vasselot, passe le pont Saint-Germain, gagne l'église, aussi ornée de trois grands écussons, et parcourt, acclamé par les 25 000 Rennais, dont les riverains qui ont tendu des draps aux façades et jettent des bouquets. Il passe, sous des arcades de lierre, par la rue du Puits-Mesnil, le Grand bout de Cohue (près de l'actuelle rue Pont aux Foulons) où, sur une grande estrade, donnent l'aubade des joueurs de violon et de hautbois, puis la rue de la Cordonnerie. Il atteint le manoir épiscopal (à l'emplacement des 15 et 17 rue de la Monnaie) décoré lui aussi de trois écussons et qui, pour l'occasion, a fait l'objet d'un grand nettoyage de sa cour et d'une sérieuse rénovation : aménagements de chambres et cabinets, location de douze grands chandeliers en bois et de tapisseries pour les murs. On a aussi fait provisions de deux douzaines de jambons de Mayence, de douze douzaines de cervelas, de six douzaines de fromages, de citrons et oranges, d'anis et abricot sec, de boîtes de marmelade, de barils de confiture, de deux barriques de vin blanc, de deux autres de vin claret (Bordeaux), de quatre de vins d'Espagne ou des Canaries : banquets obligent. On a aussi construit une grande pyramide fort coûteuse près de la Cohue et "un logis en forme de reposoir" où se tint le duc de Vendôme pour passer en revue les milices des bourgeois et écouter les harangues.
Réception en la cathédrale
Le lendemain, dimanche de Pentecôte, le roi reçoit en la cathédrale les membres du Parlement en robes rouges et les membres de la Cour des comptes, qui ne pouvaient l'accueillir décemment dans le pauvre couvent des Cordeliers (en avril la communauté de ville lui avait rappelé le désir du Parlement de faire construire un palais)[3]. Après avoir entendu la messe en la cathédrale, décorée des mêmes écussons, sort sous un dais de satin blanc quand un fou, nommé Gravelle, l'aborde en se disant duc de Bretagne et qu'il fait prisonnier le roi. Il est rapidement maîtrisé non sans s'être accroché aux jambes de Montbarot. Le roi rit de l'incident mais fera en aparté reproche à Montbarot d'un défaut de garde.
. Après l’office Henri IV toucha les scrofuleux dans la cour du manoir épiscopal qui en était remplie.
Le 13 mai le roi alla entendre la messe à la cathédrale et jouer à la paume au jeu de paume situé entre la rue Coëtquen et la rue Baudrairie. L'après-midi il fit faire une monstre de ses gens et de régiments français puis il alla chasser et aurait tué "un lièvre monstre, pourvu de deux corps, huit jambes, une seule tête et trois oreilles" ! et la petite histoire dit qu'il se serait reposé au lieu-dit Sainte-Foy, près de la Prévalaye - La Prée-Vallais comme on l'écrivait alors - à l'ombre d'un chêne, tombé de vétusté près de 400 ans plus tard, à l'automne 1896, et il aurait assisté à des joutes et à des danses villageoises. La place du Chêne Henri IV commémore cet événement. Pendant cette promenade un prince de la suite du roi, le prince de Moldavie, fut assassiné par six Anglais dans la rue Reverdiais ([5]) et le roi, touché de cette mort, ne sortit pas le lendemain si ce n'est pour aller au bal la nuit. Le défunt fut inhumé avec pompe au couvent de Bonne-Nouvelle chez les Jacobins. Un événement assez commun retarda d'un jour le départ du roi : conquis par les charmes de la femme du capitaine Des Fossez il l'honora d'une audience particulière et privée et dont le mari fut nommé sergent-major à Calais. [6] Le roi quitta Rennes le 17 mai.
Comment était alors Henri IV ? Le notaire rennais Pichart le décrit : « C'est un fort agréable prince et fort familier à tout le monde, et meslé en toutes choses, sans grandes longueurs de discours, et adonné à toutes sortes d'exercices. De moyenne taille, la barbe toute blanche, le poil blond commençant à griser, et l'œil plaisant et agréable. Il peut avoir 46 à 47 ans, néanmoins la barbe le rend plus vieil qu'il n'est. Il disait à tous quelques bons mots en passant car il sçait et cognoist tout.
Un coût à assumer et bientôt une destruction des fortifications
Certes, la capitale bretonne avait ainsi eu l'insigne honneur de la visite royale mais les aménagements d'accueil et les réjouissances avaient un coût que le bon peuple fut amené à assumer en partie puisque le "capitaine de ville" avait décidé de percevoir pendant un an la taxe du "sou et liard par pot". À l'instar de ce qui se faisait dans d'autres grandes villes en pareille occasion, l'atelier de Rennes ne manqua pas de frapper des pièces de monnaie d'un demi-franc en argent à l'effigie du roi[7]. Le roi fit remise au peuple des arrérages d'impôts dus jusqu'à 1597, abolit la levée pour les gens de guerre et les impôts étabis par le duc de Mercœur mais demanda des fonds pour l'accomplissement des traités concernant la Bretagne, la réduction des places fortes et les récompenses attribuées aux seigneurs soumis. Ainsi 800 000 écus furent promis par les Etats sur la taxe du vin et le roi aurait dit: "Où ces pauvres Bretons pourront-ils prendre tout l'argent qu'ils m'ont promis ?" [8]
Quatre ans plus tard, Henri IV, qui s'était bien promis de détruire les fortifications des villes de la Bretagne maintenant pacifiée, lesquelles avaient été des points d'appui pour la guerre civile, ordonna par édit du 18 juin 1602, que toutes les tours et portes de la ville, sauf la tour Mordelaise, qui étaient devenues autant de fortins occupés et fermés, fussent ouvertes côté ville et mises hors d'état de servir de ce côté, ce que s'empressèrent de faire, dès juillet, les bourgeois enchantés et les matériaux internes furent vendus à l'encan[9].
Notes et références
- ↑ Les Protestants bretons, cinq siècles de protestantisme en Bretagne, par Jean-Yves Carluer
- ↑ Archives municipales de Rennes, cote GG336]]
- ↑ Le Palais du Parlement à Rennes, par Florian Le Roy. Imprimeries bretonnes - 1938
- ↑ Géographie d'Ille-et-Vilaine, par Adolphe Joanne. Hachette -1901. photo de M. l'abbé Duval
- ↑ rue d'Antrain
- ↑ Histoire de Rennes, p.284, Émile Ducrest de Villeneuve et D. Maillet. Edouard Morault, libraire. Rennes - 1845
- ↑ Recherches sur l'administration municipale de Rennes au temps de Henri IV, par Henri Carré - Maison Quentin, Paris 1888
- ↑ Histoire de Rennes, p.282, Émile Ducrest de Villeneuve et D. Maillet. Edouard Morault, libraire. Rennes - 1845
- ↑ Rennes moderne par A. Marteville, t.2, p.188 et 189.
Lien interne
- Rennes d'histoire et de souvenirs par Etienne Maignen. quatrain 38