A l'occasion des 80 ans de la libération de Rennes, (re)découvrez l'ensemble des
contributions autour de la Seconde Guerre mondiale et de la libération sur Wiki-Rennes.
Août 1914, Rennes entre en guerre
Rappel des événements
1er août : ordre de mobilisation générale
3 : l'Allemagne déclare la guerre à la France
4 : l'armée allemande pénètre en Belgique
16 : les forts de Liège tombent
19 : le roi Albert donne l'ordre de repli des troupes belges sur Anvers. Les Français prennent Mulhouse
19 et 20 : bataille de Morhange, près de Nancy.
21 : les Français perdent Sarrebourg qu'ils avaient conquis
26 : Namur est prise par les Allemands
L'ordre de mobilisation
L’ Ouest-Eclair du dimanche 2 août 1914 observait que personne à Rennes n’avait été surpris par l’ordre de mobilisation, affiché la veille, dès 16 h 40 rue du Pré Botté et les nombreux Rennais qui attendaient là, crièrent « Vive la France ! » et applaudirent. Même réaction notée à l’annonce par le maire M. Jean Janvier à la foule du balcon de son bureau, qui déclara ensuite : « Aujourd’hui, il n’y a plus de partis. Une seule chose importe : la défense du territoire. Marchons tous le cœur haut pour faire notre devoir. Soyons calmes, soyons dignes. Et poussons ce cri de ralliement : « Vive la France ! » Ceux qui n’ont pas vu les affiches de la mobilisation, en lisent le contenu, dans leurs journaux: l’Ouest-Éclair, Les Nouvelles Rennaise, le Journal de Rennes, monarchiste qui disparaîtra en 1915. Le Nouvelliste de Bretagne parait le mardi. Pénurie de papier oblige les journaux perdent très vite des feuilles : l’Ouest-Éclair n’a plus que la moitié de ses pages.
Le journal observe que des groupes se forment dans la rue et que les propos sont confiants. Officiers, soldats, réservistes et territoriaux se précipitent dans les magasins pour des emplettes au cas où il leur faudrait partir à la frontière. Du corps d’armée partent des motocyclistes, des estafettes pour porter des ordres aux régiments. Les cheminots sont réquisitionnés et les voies gardées.
Dans une France encore à majorité rurale et vu l’urgence du temps, les Françaises auront droit aussi à une affiche, le 7 août, les encourageant fortement à remplacer maris et fils mobilisés aux travaux des champs. Ceux-ci concernent fort peu les Rennaises en ville mais bien 300 agricultrices sur le territoire communal ; les cultivatrices et fermières de la campagne rennaise n’ont d’ailleurs pas attendu cette affiche pour s’y mettre, en ce temps des moissons, leurs hommes étant partis depuis trois ou quatre jours.
Les Rennais acclament les "braves pioupious"
À 20 heures le 1er août, s’était déroulée une retraite avec la musique du 41e RI et une escorte de dragons, aux sons de Sambre et Meuse et du Chant du départ et la foule d’emboîter le pas à « nos braves pioupious », criant surtout « Vive la France ! » et « À bas Guillaume ! ». « Les femmes applaudissent, les larmes aux yeux ». Place de la Mairie la foule réclame la Marseillaise que la musique attaque et que la foule entonne aussi.
Lundi 3 août 1914, le Rennais lit le titre de l’Ouest-Eclair : Les Allemands ont attaqué notre frontière. Emmanuel Desgrées Du Lou signe un éditorial et, sans fard, dit que ce mot « guerre » dit tout : « la grandeur du sacrifice, les larmes des mères, l’angoisse de ceux et de celles qui restent » et parlant de la France mutilée depuis 43 ans, il cite l’espoir qui renaît chez les « chers Alsaciens-Lorrains ».
Les premières dispositions
Le journal indique qu’à Rennes on se prépare mais que l’on reste « calme et énergique ». Toute la journée ont fonctionné, place de Bretagne, les commissions de réquisitions pour les chevaux et véhicules et, boulevard Magenta, une autre commission examinait les automobiles réquisitionnées. Les voies menant à la gare étaient, le 2 août, noires de monde : les Rennais tenaient à saluer ceux qui regagnaient leurs corps, avec, à chaque départ de train des « ovations patriotiques. Chacun de ceux qui s’en vont, malgré l’émotion de la séparation, se montrait énergique, fermement décidé à faire son devoir ». Les soldats croient au Père Noël : à une guerre courte avec retour au foyer pour Noël… Perspective proposée et osée mais patriotisme rime avec optimisme.
Le préfet met en garde contre les nouvelles qui circulent dans le public, déformées à mesure qu’elles cheminent, atteignant parfois les limites de l’absurde. La censure de la presse entre en action. Et l’on va procéder au recensement des étrangers, « opération délicate » confiée à la police.
La société de secours aux blessés militaires de la Croix-Rouge française annonce déjà que deux hôpitaux auxiliaires sont créés à l’hôpital Saint-Yves et au grand séminaire. Et elle sollicite déjà des souscriptions et des dons en nature à déposer 1 rue Kléber.
Quant à l’archevêque, Mgr Dubourg, il a pris la parole à la grand-messe, exprimant l’émotion qui étreint tous les cœurs et affirmé que « nous pouvons avoir la plus entière confiance en nos armées ». Il ordonne que, le dimanche 9 août, à l’issue de la grand-messe, l’on chante le Miserere Domine suivi du Domine non secundum et du Parce répété trois fois. Le sentiment religieux, fort chez la plupart, fait se tourner vers les églises et, touchante attention, mais qui fait surgir la lugubre éventualité à laquelle le soldat ne veut pas penser, la ligue patriotique des femmes françaises propose aux femmes de distribuer aux soldats sur le départ des feuilles où ils expriment leur volonté formelle de mourir avec les secours de la religion catholique. Beaucoup de prêtres sont mobilisés.
La Ville annonce qu’elle fournira, sans doute dès mercredi, des soupes populaires et du lait pour les bébés aux familles privées de leur chef ou de leur soutien. Se pose aussi le problème des femmes qui travaillent à l’arsenal en remplacement des hommes et ne peuvent bénéficier de la soupe populaire que l’on met en place pour subvenir aux besoins alimentaires basiques des familles pauvres dont le chef est mobilisé. L’état de guerre, avant même les ravages humains du front, a des incidences immédiates et graves dans la vie quotidienne des familles aux revenus modestes dès que les maris sont mobilisés. Une loi du 5 août fait bénéficier des allocations militaires de 1,5 F. par jour + 0,75c. par enfant l’ensemble des familles de mobilisés. Un fonds de secours est mis en place.
Une tenue mortifère
Dès 1910, l'Allemagne avait adopté une tenue de campagne grise pour ses soldats moyennant un crédit voté de 30 millions. Mais les fantassins français vont partir en guerre vêtus du pantalon rouge, faute d'une affectation des crédits jugés trop importants (estimés à 144 millions) pour confectionner des tenues réséda (gris-vert) pour toutes les armées. Leur nécessité avait pourtant été dûment étudiée et reconnue. On reconnaissait que les brillants uniformes avaient vécu, preuve avait été faite en manœuvres que le pantalon rouge et le képi rouge, conservés et comparés à une compagnie portant la capote gris-bleu avaient suffi à faire distinguer ces soldats, à plus de 1800 mètres, alors qu'à cette même distance la compagnie réséda était impossible à distinguer sur des fonds de bois ou couchée dans des prés dont les foins avaient été coupés quelques jours auparavant - et la guerre éclate début août. Mais la note du tailleur aurait été trop forte et les magasins d'habillement regorgeaient de drap garance à utiliser. Aussi, "en ce qui concerne l'infanterie de ligne, la tenue "réséda", trop disgracieuse, et dont l'établissement eût été trop coûteux, est définitivement condamnée [...] le pantalon rouge subsiste [...] les boutons d'uniforme restent de cuivre ; on estime qu'en campagne le soldat n'aura ni le loisir ni les moyens de les astiquer et que l'oxydation aura tôt fait de leur enlever leur éclat. [...] provisoirement le képi, que sa nuance rouge rend trop voyant, sera recouvert d'un couvre-képi gris-bleu."[2]
Les premiers départs
Le 3 août après-midi, le 24e dragons embarque "au bout de la plaine Saint-Hélier, près du pont Villebois-Mareuil" et le 5 c'est au tour du 41e RI : "il a traversé la ville en plusieurs groupes que précédaient la musique ou les tambours et clairons. Nos braves pioupious dont le visage reflétait le calme, un calme joyeux et résolu, ont été salués par les vivats de la foule". Et le 7e régiment d'artillerie est partiellement parti dans la nuit. L'Ouest-Eclair du 9, qui titre en première page que Colmar et Mulhouse sont prises, annonce que la veille la 10e batterie du 5e régiment d'artillerie a défilé avec ses canons fleuris dans les principales rues de la ville avant de gagner la gare et que ses hommes qui chantaient la Marseillaise ont été acclamés à maintes reprises[3].
Le journal du 4 août annonce que, dans la journée du 3, "de nombreux trains ont quitté Rennes, emportant des réservistes et des territoriaux qui regagnaient leur corps. Tout s'est passé dans l'ordre le plus parfait et avec une rapidité étonnante. M. Saint, préfet d'Ille-et-Vilaine, qui a fait une visite à la gare hier après-midi, a constaté lui-même que les hommes prenaient place gaiement, sans se bousculer, dans les wagons et que les quais se vidaient comme par enchantement au moment voulu. Pas de retardataires. On sentait que chacun avait conscience d'accomplir un devoir sacré."
Le communiqué
Les Rennais se bousculent avidement avenue de la Gare devant le siège du Nouvelliste, où sont affichées les dépêches en provenance de Paris, de Londres, et devant la mairie où elles sont placardées sur deux tableaux noirs. L’Ouest-Éclair publie chaque jour en première page « le communiqué officiel de l’après-midi ». Les nouvelles officielles n’apprennent rien ou pas grand-chose, et, en fait, elles alarment car on les sait tronquées, voire truquées, instruments du « bourrage de crânes » ; elles donnent l’occasion à certains Rennais de semer la panique, ce dont le journal se fait l’écho par la lettre d’une Rennaise qui répercute les commentaires défaitistes qu’elle a entendus. C’est le début du temps des « bobards ». L’incrédulité exprimée est perçue comme du pessimisme et ce dernier peut être traduit en défaitisme, délit passible des tribunaux et la presse relatera quelques cas.
Et chaque jour, on pourra lire le communiqué, en y cherchant des raisons d’espérer tout en sachant bien qu’il ne dit pas tout et que ce qu’il dit n’est pas entièrement vrai. Le texte du communiqué est affiché et peut toujours être lu par les Rennais devant le siège de l’Ouest-Éclair, rue du Pré-Botté, ou celui du Nouvelliste, avenue de la Gare, et devant la Mairie.
La presse censurée
Le journal annonce aussi que la censure est mise en place, « à juste titre », par le ministère de la guerre : télégrammes de presse et télégrammes privés y sont soumis par une loi du 5 août. Le ministère vise à retenir toutes les nouvelles susceptibles de favoriser l’ennemi, d’exercer une influence fâcheuse sur l’esprit des armées ou des populations. Il interdit de divulguer les pertes militaires et la conduite des opérations. La presse sera donc muette sur ces données primordiales, et un blanc occultera tel article ou passage d’article. En outre, la frontière est floue entre censure et propagande et elle est franchie sans qu’on s’en aperçoive. Pour le journal cela revient quasiment à écrire : « Je vais vous vendre désormais des morceaux de vérité et parfois des mensonges ». Les lecteurs circonspects savent donc désormais qu’il faudra en prendre et en laisser, mais quoi ? C’est ainsi la porte ouverte aux « bobards » et au « bourrage de crânes ».
Alors que la presse fait état des succès des armées françaises et étale des atrocités allemandes, le journal narre l'arrivée d'un premier convoi de trente blessés en gare de Rennes le 13 août, des blessés très "crânes", paraît-il. À l'occasion du départ du 75e régiment territorial d'infanterie, on indique que la gare de Rennes a assuré le départ de 131 trains militaires, sous l'autorité du commissaire militaire Janvier qui n'est autre que Jean Janvier, le maire de Rennes. L'Ouest-Eclair du 16 publie un poème patriotique de Théodore Botrel dont le premier quatrain donne le ton :
C'en est fait : le crime est commis
Guillaume est heureux : la Camarde
Avec tendresse le regarde;
Tous les vautours sont ses amis.
Et le journal publie les donateurs pour le secours aux blessés: sont cités les noms des donateurs - avec parfois les termes "don anonyme" mais aussi "don d'une bonne" - et les montants des dons, façon pragmatique de stimuler les dons.
Beaucoup de blessés, quelques prisonniers...
Le 16 c'est le 24e dragons de réserve qui quitte Rennes et le 17 la vente d'absinthe est interdite. Le 18 Mgr Dubourg publie une lettre très optimiste quant à l'issue de la guerre. Le 20, un deuxième train de 104 blessés arrive à Rennes, parmi eux 7 allemands, et un convoi d'une cinquantaine arrive le 21. Et l'on relate toujours des atrocités commises par l'armée allemande. Le 22, quinze prisonniers allemands, surveillés par quatorze fantassins, baïonnette au canon - "Ah ! ces braves pioupious, il suffit de les voir pour savoir qu'ils ont fidèlement veillé. Dans leurs yeux passe un éclair de fierté, de triomphe" - arrivent à Rennes et sont enfermés à la prison militaire. Le lendemain c'est un millier de prisonniers qui arrivent à Dinan, via Dol. Et les trains de blessés arrivent fréquemment à Rennes, tel celui qui, le 25, en amène 640. Les listes de blessés adressés à Rennes citent d’abord des localisations à Pontchaillou et bientôt - ils sont plus de 3500 à Rennes dès le 12 septembre ! dans de nombreux établissements détournés de leur utilisation habituelle, notamment : hôpital complémentaire du Lycée de garçons de l'avenue de la gare (H.C. n°1), cercle Paul Bert (H.C. n°34), école des beaux-arts, faculté de droit, place Saint-Melaine (H.C. n°41), collège Saint-Vincent (H.C. n°4), avec son annexe de la caserne de Guines, hôpital Saint-Yves, Faculté des Lettres, place Hoche (H.C. n°5), école d’Agriculture (H.C. n°39), lycée de jeunes filles, rue Martenot, Maison de retraite rue Saint-Hélier.
Commencent à paraître des listes d’officiers tués, d’officiers décorés. Bientôt un lecteur s’offusque de voir la Cie Ouest-Électrique faire payer aux blessés leur place de tramway, au contraire de Nantes. 325 prisonniers allemands, arrivés par train, sont envoyés au camp de Coëtquidan. Les listes de morts au champ d’honneur publiées s’allongent et deviennent presque quotidiennes mais il s’agit d’abord presque exclusivement d’officiers. Les lecteurs, par simple déduction, savent que celles des soldats sont énormes. Ironie de la vie quotidienne: à l'arrière l'alcool tue aussi des soldats. Six territoriaux de la 10e région militaire étant morts le 6 août de delirium tremens, l’autorité militaire fait ramener l’heure de fermeture des cafés de Rennes de 22 heures à 17 heures et, le 17, la vente d'absinthe est interdite.
Outre les dons de secours aux blessés militaires, on publie maintenant des listes de souscripteurs et les montants versés pour les secours de guerre. Les atrocités allemandes sont détaillées. Signe que la situation n'est pas ce que la presse décrit : l'exode de Belges et de Français du Nord atteint Rennes.
La presse donne une vue patriotique de la guerre, noircissant l'ennemi et minimisant, voire taisant l'importance du nombre énorme des tués dans ces premiers jours des combats.
Remplacer les hommes
Se pose tout de suite le problème de remplacement des hommes par des femmes qui vont être plusieurs milliers à travaillent à l’arsenal et ne peuvent bénéficier de la soupe populaire que l’on met en place pour subvenir aux besoins alimentaires basiques des familles pauvres dont le chef est mobilisé. L’état de guerre, avant même les ravages humains du front, a des incidences immédiates et graves dans la vie quotidienne des familles aux revenus modestes dès que les maris sont mobilisés. Une loi du 5 août fait bénéficier des allocations militaires de 1,5 F. par jour + 0,75c. par enfant l’ensemble des familles de mobilisés. Un fonds de secours est mis en place.
Liens internes
- ↑ Allée Camille Godet
- ↑ Lecture pour Tous - décembre 1912
- ↑ Rennes d'histoire et de souvenirs quatrains 40 et 41
Références
La Grande Guerre lue par les Rennais - Conférence UTL de Rennes du 16 janvier 2017 par Etienne Maignen