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4 février 1939 : le dernier guillotiné à Rennes
Le samedi 4 février 1939, le couperet de la guillotine tomba pour la dernière fois à Rennes à 6 h 46, devant la prison Jacques-Cartier. Et c'est sur une page entière que le journal Ouest-Éclair du lundi relata complaisamment le déroulement de l'exécution qui aurait dû avoir lieu la veille, mais l'exécuteur des basses œuvres, le bourreau Anatole Deibler, était mort d'un infarctus à la station de métro porte de Saint-Cloud, en route pour la gare Montparnasse alors qu'il s'apprêtait à rejoindre Rennes pour y œuvrer... sa ville natale, content d'y revenir car il n'y avait pas remis les pieds depuis l'exécution de Lagadec en 1922. (Deibler était né à Rennes le 29 novembre 1863, rue Duhamel). C'est son adjoint, Jules-Henri Desfournaux qui officiera.
Une longue mise en place
Dans un épais brouillard, des Rennais arrivent déjà vers trois heures du matin pour tenter de voir le spectacle, mais la police municipale occupe déjà les lieux où arrivent des détachements du 41e R.I et du 10e R.A, ainsi que le commissaire central et le chef de la sûreté. Des barrages sont immédiatement constitués : à 100 mètres de chaque côté de la maison d'arrêt, boulevard Jacques Cartier, et dans la rue Alain Bouchart, à 100 mètres de lka porte de la prison. Seuls les titulaires de « laissez-passer » pourront franchir ces barrages pour accéder à une vingtaine de mètres environ du lieu même de l'exécution.
Å 4 heures, des agents délogent des curieux installés sur le chantier voisin d'un industriel. Un quart d'heure plus tard arrive une lourde voiture à cheval conduit par un employé de la maison Métraille et par l'arrière sont déchargés, un à un, les bois de la sinistre machine et sous la surveillance du bourreau, M. Desfourneau, "sexagénaire robuste et simple, frileusement enveloppé dans un ample raglan gris, coiffé d'un feutre sombre sous lequel tranche la blancheur des cheveux". Les aides procèdent au montage à la lueur tamisée des lampadaires, utilisant, pour y voir de plus près, car c'est un travail des plus méticuleux, des lampes tempêtes à pétrole: nombreuses cales qu'on enfonce à coups de maillet, ("ce bruit sourd ! comme il résonne dans le silence de la nuit si calme!"), montants, le "mouton" et le couperet, masse de 32 kg, sont assemblés et montés à 4,50 m de hauteur.
A partir de 5 h 15 arrivent les greffiers, les fonctionnaires, les magistrats, l'aumônier et l'avocat général Gillot, auquel revient la mission d'éveiller le condamner et de lui signifier que l'heure du châtiment a sonné.
Maurice Pilorge, le beau et gouailleur mauvais garçon
Maurice Pilorge, 25 ans, né à Saint-Malo en 1914, le bandit qui, à l'aube du 5 août 1938, à Dinard, avait tué son complice, homosexuel brésilien, dans des cambriolages de villas, Nestor Escudero y Mendizabal, en lui tranchant la gorge de plusieurs coups de rasoir, va expier son crime. A six heures l'angélus sonne aux Sacrés-Coeurs. A 6 h 20 l'avocat général Gillot, accompagné de Me Bourdon, avocat, réveillent Pilorge. Apparemment, Pilorge ne s'émeut pas : « C'est bon, dit-il. Après tout, on ne meurt qu'une fois et il faut bien que cela arrive un jour ». Puis, tandis qu'il fait une minutieuse toilette : « C'est égal, jamais je n'aurais pensé voir tant de monde assister à mon petit lever ». Toujours gouaillant et désinvolte, il se coiffe d'un chapeau pointu de clown qu'il a fabriqué la veille avec du papier et, saluant à la ronde : — Messieurs, je suis prêt…
Puis il se confesse, assiste à la messe et communie. Il retrouve ensuite sa gouaille : On lui apporte dans une gamelle le lait qu'il a demandé et comme il est très chaud, malgré la rasade de rhum qui y a été ajoutée, il prend son temps pour le boire… Le bourreau manifeste une certaine impatience… — Dites-donc, l'apostrophe Pilorge, je comprend que vous soyez pressé, pas moi… Et pendant que les aides taillent l'encolure de sa chemise et lui entravent bras et jambes, il allume une cigarette. — Surtout, ne serrez pas trop fort, dit-il aux aides de M. Desfourneaux, vous me faites mal… Il donne sa montre à son avocat, Me Bourdon : "Vous savez, Maître, elle est neuve, et surtout n'ayez pas peur de vous contaminer…"
L'exécution
Pilorge apparaît au seuil de la porte, maintenu par les aides qui le poussent rapidement. Il crache le mégot au pied de l'échafaud. Sa poitrine paraît brune par contraste avec la blancheur de sa chemise. La veille, se sentant grippé, il avait demandé un badigeonnage de teinture d'iode. Il relève la tête, mais déjà son corps est couché sur la bascule et la tête apparait encastrée dans la lunette… Enfin le couperet s'abat à 6 h 46.
Les troupes présentent les armes et les spectateurs se découvrent. Quelques minutes plus tard le fourgon encadré par une escorte de gendarmes emporte vers le cimetière de l'Est le panier dans lequel repose le corps du supplicié mais la famille n'ayant pas réclamé le corps, le cadavre fut livré à l'école de Médecine, boulevard Laënnec [1] où les étudiants eurent par la suite le loisir d'examiner son corps conservé dans le formol.
Pilorge mort, la justice eut encore affaire à lui : le lendemain de l'exécution, la Cour d'Appel de Rennes eut à connaître de l'appel qu'il avait interjeté d'un jugement du Tribunal correctionnel de Saint-Malo du 21 octobre 1938 qui l'avait condamné à 2 ans de prison et 5 d'interdiction de séjour pour outrages à magistrat, menaces de mort et tentative d'évasion. Il fallait éteindre l'action publique par un arrêt.[2]
Le poète Jean Genet écrivit son beau poéme " Le condamné à mort" à la mémoire de son "ami" Maurice Pilorge qu'il n'aurait jamais rencontré...