Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°15
titre du lien Souvenir d’un enfant
Les Américains s’installent pour deux semaines.
Une multitude de soldats américains
Le scout-car US qui arrive au pas, placidement dans le bourg de Vezin-le-Coquet tire derrière lui des milliers de soldats et de véhicules de toutes sortes. Les unités américaines s’installent partout sur le territoire de notre commune mais aussi dans beaucoup d’autres communes autour de Rennes. Ils resteront, pour notre plus grand plaisir, pendant une période d’environ deux semaines.
Il n’y a plus de prés à louer autour de notre village, tous sont occupés, couverts de toiles de tentes, de véhicules et de matériel des plus divers. Ce sont des éléments de la 8e Division d’Infanterie que nous accueillons là et plus précisément, autour de nous le 13e Régiment d’infanterie, qui installe quatre canons de 105mm de sa Cannon company derrière chez nous, dans le pré de Lebastard.
En remontant le bourg après avoir passé le carrefour de la route qui mène à la Belle Epine, plus haut encore, vers Rennes, au niveau de la ferme Lefeuvre (Madame Angèle Lefeuvre, aura 99 ans cette année) mes sœurs discutent avec des dames vêtues d’un uniforme américain. Le soir à la maison nous avons droit à un compte rendu succinct de cette rencontre. « Ce sont des Canadiennes françaises, elles sont très gentilles, elles parlent bien français. Elles nous ont donné des conseils de prudence »
Un village débordant tout à coup d'animation
Le village s'est soudainement transformé. Je n’ai jamais vu une telle animation aussi empreinte de joie dans notre village. Les soldats arrivent à jet continu. Je me suis faufilé derrière une colonne de chars Sherman, qui roulent au pas en grondant et en grinçant des chenilles, les engins se touchent presque. Ils nous arrivent de la route de Rennes, ils tournent à droite en direction de la Belle Epine en longeant les jardins maraîchers Mainguené. Ils se dirigent ensuite sur la gauche empruntant le chemin qui mène à la ferme Lebastard (actuelle rue des Rosais). Je m'accroche à l’un d’eux, pour ne plus le lâcher jusqu'à son point de stationnement. Je découvre des odeurs inconnues, celle des gaz d’essence du pot d'échappement des chars, une odeur nouvelle forte, celle aussi de l’apprêt des bâches des véhicules, odeurs très particulières, odeurs de neuf. Je les aime toutes ces nouvelles odeurs ! Elles symbolisent pour moi l’abondance et la disparition de mes craintes de la guerre.
La batterie de quatre canons de 105 mm, est installée en position de tir direction ouest, le long d’une haie qui marque la limite avec le terrain de l’école libre de garçons, à l’endroit où est photographiée la première équipe de foot de Vezin (actuelle allée des roseaux). Les soldats creusent légèrement le sol, bâtissent un petit parapet. Ils installent un filet de camouflage au dessus de chaque pièce. Le temps de la présence des soldats américains à Vezin m'a paru à la fois très long et trop court.
La cannon Cie du 13th inf rgt dans le pré Lebastard
Durant cette période, je demeure avec les soldats du matin jusqu’au au soir dans le pré Lebastard, ne rentrant que parfois le midi à la maison pour le repas. Ma mère ne s'inquiète pas sachant où nous sommes, juste derrière chez nous et entre de bonnes mains. Les soldats sont éparpillés dans le pré et dorment sous leur tente individuelle. Chaque enfant a son copain soldat attitré lequel gâte de friandises son protégé. Aujourd’hui nous avons eu la chance d’assister à un beau spectacle, le théâtre aux armées. Un grand podium est installé en contrebas du pré, ainsi les soldats assis à même le sol ont une vue plongeante sur le spectacle. Du côté de l'estrade on parle beaucoup, on chante aussi et sur le pré on rit fort. Moi, ça me lasse un peu parce que je ne comprends rien. C'est égal d’ailleurs car je suis bien et sagement assis auprès de mon copain américain. Mon frère a aussi le sien, il est placé à quelques mètres de moi. Il apportera, le soir à la maison, une demi-boîte de cinq kilos de beurre de cacahuète, on aime bien ça !
Avant l’installation complète des Américains dans le pré et avant de prendre nos quartiers avec eux, mon frère et moi sommes allés en reconnaissance à la Belle Epine, pour nous rendre compte de ce qui s’y passe. Les 8,8cm sont demeurés là, ils n'ont plus la fière allure du temps encore si proche de la présence allemande. Ils ont la tête basse et montrent d’affreuses blessures. Ils me paraissent maintenant moins effrayants mais aussi moins distingués. Bien fait ! Ils nous ont bien nargué le jour où les équipes de foot n’ont pu terminer leur match à cause de cet officier à l’air méchant !
La belle Epine, dangereux endroit
Nous traversons la route, nous nous apprêtons à nous en approcher, quand deux dames viennent à notre rencontre alors même que nous sommes déjà sur le talus. Ces dames sont vêtues d'un uniforme américain. L’une d’elles nous interpelle en français, haut et clair. Ce sont des Canadiennes, celles qui ont discuté avec nos sœurs dans le bourg « les enfants » nous dit-elle « restez bien sur la route, ne venez pas dans ce champ, c’est très dangereux, il y a partout, quantité de mines et d'explosifs... Regardez ! » Elle nous montre alors, dans l’herbe des traces fraîches de sang. « Vous voyez... Une personne a été très gravement blessée aujourd'hui ». Courageux mais pas téméraires, cette mise en garde nous suffit, nous rejoignons le bourg afin de faire connaissance avec nos nouveaux amis qui finissent de s’installer.
Une des entrées du pré se trouve entre le potager de chez Letort et l’extrémité du mur de chez Touffet. Il y a une petite barrière toujours ouverte devant laquelle stationnent en permanence des sentinelles. Quand nous franchissons la barrière, les sentinelles qui nous laissent volontiers entrer, lancent à notre adresse cette phrase en riant bien fort « cigarettes pour papa !… cigarettes pour papa ! ». Ce sont sans doute les premiers mots français qu’ils auront appris de la bouche des enfants. Ils ne se privent pas de nous imiter, ils y prennent grand plaisir, c'est certain. Au cours de cette période, dans ce pré, un avion survole le village à basse altitude et passe au dessus du cantonnement. J'ai très peur, je suis à côté d’un soldat et je lui désigne l'avion. Le soldat comprend immédiatement le motif de ma peur, Il me rassure alors. Il me fait comprendre que c’est un avion ami. Je suis rassuré parce que je sais maintenant que cet avion ne nous bombardera pas.
De temps en temps je rejoins mon camp de base devant chez Letort en face de l'école. Même les américains ne me le feront pas oublier. Quand je passe à la forge faire ma visite d’inspection je demande à Pierrot de me peser sur la bascule. C'est une coutume. Je grimpe sur la bascule romaine, il ajuste le curseur modifie les poids et annonce le mien que je n’ai jamais réussi à retenir. Il est évident que cette opération a lieu quand Pierrot n’est pas trop occupé à l’enclume ou à réparer des machines.
Des prisonniers allemands
Les passages de soldats américains dans l’artère principale du bourg, sont quasiment incessants. Une colonne de prisonniers allemands passe devant la maréchalerie. Elle arrive de la route de Rennes et se dirige vers L’Hermitage ou peut-être Le Rheu. Les prisonniers sont rangés trois par trois. Ils sont encadrés par des soldats américains à pied et un soldat cavalier monté sur un cheval. Ils surveillent et activent la colonne. Le cavalier se tient bien droit sur un magnifique cheval tout roux. Il fait aller sa monture de l'avant à l'arrière de la colonne. C'est la première fois que je vois un cheval monté qui trottine avec tant de grâce. J'ai déjà vu des paysans juchés sur leur percheron au retour du labour mais cela n’a pas la même allure! Jean Pinel attelle parfois un beau cheval au cabriolet de ses grands-parents pour se rendre à Pacé ou ailleurs. C'est joli aussi!
Un jour, Jean m’a emmené dans sa bétaillère, mais lui il dit vachère. Nous sommes allés dans une ferme chercher une vache qui était destinée à l’abattoir. Il m’a même fait tenir les rênes pour conduire l’attelage. Je me trouvais à côté de la vache et l’odeur de la paille mélangée à la bouse de vache ne me dérange pas, je dirais même que cette odeur me plaît.
À l’instant où la colonne de prisonniers allemands passe, je me tiens devant le café de la maréchalerie, face à l’école. Soudain un soldat américain qui surveille les prisonniers en fin de colonne se précipite dans les rangs, il lève son fusil et assène un violent coup de crosse sur le dos d'un Allemand. Le prisonnier s’effondre et s’affale sur la route. Des camarades le relèvent. Il reprend sa marche et tout continue comme si rien ne s'était passé. Je me dis à cet instant précis, sans état d’âme. « l'Allemand n'a pas été gentil, le coup est mérité ».
Mars 2013
Albert René Gilmet
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