Les Juifs de Rennes sous l'occupation

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Mesures contre les juifs201.jpg
Mise en place du contrôle des Juifs d'Ille-et-Vilaine. [1]
L'Heure bretonne, indépendantiste, avec un racisme anti-juif

D'abord les entreprises

Des Rennais d'origine étrangère et juifs, réfugiés à Rennes, des Rennais français d'origine juive - le recensement lancé le 20 octobre 1940 n'en trouva que 124 à Rennes et 372 pour l'ensemble de l'Ille-et-Vilaine - furent arrêtés à Rennes par la police française et y seront détenus peu de temps, leur destination finale, souvent via Drancy, étant Auschwitz ou Sobibor d'où ils ne revinrent pas. Peu échapperont au sort final que les Nazis leur prévoyaient.

 
Publicité de l'Alliance Cinématographique Européenne UFA (film allemand) 1941[2]
 
L'Ouest-Eclair vante le film nazi antisémite "le juif Suss" qui sort à Rennes le 22 mai 1941

Trois entreprises juives, l’entreprise Reiner Strul, radiateurs d’automobiles, chaudronnerie, boulevard de Chézy à Rennes, l’entreprise Isaac Benbassa, tissus, Au très bon marché, rue de Toulouse, l’entreprise José de Tolédo, usine de chemiserie-lingerie de fourrure, de confection, de bonneterie, tissus, sont pourvues d’un commissaire-gérant, administrateur provisoire, mais vingt-six autres furent fermées. Le 20 septembre 1941, le commandant de la Feldkommandantur donne son assentiment au nom proposé par le préfet pour la nomination d'un commissaire administrateur provisoire, en l'espèce un ancien tailleur suggéré par la chambre de commerce pour les entreprises Blumberg, Schalbendorf et Stapler, et Kaganas. En définitive Elias Kaganas, Lithuanien, étant considéré comme "étranger ennemi" par la Feldkommandantur,son bien, Les Nouveautés parisiennes, sis à l'angle du boulevard de la Liberté et de la rue de Nemours est confisqué. Plus grave, Élias Kaganas, sera déporté et ne reviendra pas.

Le commandement militaire, prétextant une prévention des Français à l'égard des juifs, attira l’attention des préfets sur les risques d’éventuelles réactions d’hostilité contre les entreprises juives révélées au public: « Les mesures énergiques prises par le gouvernement français contre les Juifs peuvent peut-être amener des excès quand les magasins seront désignés comme juifs. La préfecture est priée d’étouffer dans l’œuf tout acte éventuel de ce genre de la part de la population".[3]En fait l'éventualité de manifestations hostiles était très mince.

1942 : les Juifs déportés

À une propagande antijuive participe le film allemand "Le Juif Suss" dont l'Ouest-Eclair fait l'éloge dans ses numéros des 20 et 21 mai 1941.

 
Journal officiel des ordonnances du gouverneur militaire en France

C'est surtout à partir de 1942, avec le port de l'étoile jaune imposé en juin, que les arrestations sont opérées :le 16 juillet, la rafle se solda par un demi échec. Les directives de la « police de sûreté (SD)-Kommando de Rennes » au responsable du service départemental du ravitaillement, datées du 15 juillet, prévoyaient la fourniture de vivres de route pour « 40 internés civils juifs […] transportés hors de Rennes le 17 juillet 1942 ». Elles stipulaient, d’autre part, que : « Après le transport, les cartes de ravitaillement des internés civils, lesquels ne dépendront plus du tout du ravitaillement général, seront mises à la disposition de la préfecture. » Or, à l’issue de la rafle, ce même Kommando/SD/Rennes, adressait à Paris « la liste en double exemplaire des Juifs évacués dans la circonscription de ce bureau. L’arrestation est survenue lors de l’action du 16 juillet 1942 et toutes les personnes citées furent envoyées au centre d’accueil d’Angers ». Les trois feuillets de la liste qui accompagne ce rapport ne comportent que 18 noms et, parmi eux, figurent Jean et Joseph Schklarewski incarcérés depuis le 4 juillet. Quinze d’entre eux résidaient en Ille-et-Vilaine (dont 9 à Rennes) [..] Le 7 octobre, Le SS Sturmbannführer und Kommandeur, Dr. Heerdt, adressa les consignes générales à l’intendant de police, à la préfecture régionale :

« Le 9 octobre 1942, les Juifs mentionnés sur les listes ci-jointes devront être arrêtés par les services de police placés sous vos ordres et livrés avant le 10 octobre au plus tard dans le camp situé sur le Champ de Mars. Outre les personnes indiquées sur les listes jointes, il y a lieu d’arrêter tous les membres de la famille sans égard quant à leur âge et à leur sexe (donc aussi les enfants) et de les livrer au même camp. Chaque personne arrêtée devra apporter les effets suivants :

2 couvertures 2 paires de chaussures Les objets de toilette nécessaires Des provisions pour plusieurs jours. [4]

Vous êtes prié de bien vouloir établir sur le Champ de Mars des cantonnements dans la forme appropriée pour y loger pendant quelques jours les personnes arrêtées. [5] Une trentaine, dont vingt Rennais, sont raflés par la police urbaine et parqués sur le Champ de Mars. Le SS Sturmbannführer und Kommandeur, adressa à l’Intendant de police l'ordre suivant  :

« Le transport des Juifs internés est fixé au 14 octobre 1942 : départ à 13 h 36 de la gare de Rennes. Je vous prierai d’assurer l’embarquement des internés par vos services de police et de faire surveiller par une force de police suffisante le transport en chemin de fer de Rennes au camp d’internement de Drancy. Après le dépôt des internés dans le camp de Drancy, je vous prierai de m’en rendre compte. » [6]

Ainsi, Anna Tcharny, 16 ans, copropriétaire du magasin Kaganas Les Nouveautés parisiennes, juive pourtant naturalisée française, fut arrêtée par la police française, le 9 octobre 1942, sur ordre de l’autorité allemande relayée par le préfet Quénette, et internée au « centre d’accueil des réfugiés », place de la Gare, en attendant son transfert, le 14 octobre, à Drancy où elle demeura quatre mois avant d’être déportée, le 13 février 1943, dans le convoi n° 48, avec 1 000 autres Juifs, tous français. Douze survivaient en 1945, pas Anna Tcharny.

Le rapport rédigé par le chef d’escorte fait son rapport :

« […] le transfèrement des internés juifs, du 14 courant, sur le camp de Drancy, s’est effectué sans incident. Au départ de Rennes, les internés désignés étaient au nombre de 36 (hommes, femmes et enfants). Ils ont été embarqués dans un wagon de 3e classe attelé à un train de messageries. L’escorte se composait de : 1 adjudant-chef, 2 maréchaux des logis et 17 gendarmes…" Sur les 36 Juifs, 33 ne revinrent pas des camps.

L’année 1942 avait connu au moins 46 arrestations de Juifs d’Ille-et-Vilaine et en décembre 1942 Raymond Du Perron de Maurin   est nommé délégué régional au Commissariat général aux questions juives pour la Bretagne [7] et les arrestations continueront en 1943. Mais ces personnes ne sont pas destinées à séjourner dans quelque prison ou camp rennais, leur destination étant Drancy. Pour l’ensemble de la Bretagne, c’est en Ille-et-Vilaine que les arrestations et les déportations, en 1943, semblent avoir été les plus nombreuses ; au moins 43 Juifs arrêtés dont 38 aussitôt déportés vers Auschwitz, parmi eux 8 enfants.

Des comportements divers

Cependant la Gendarmerie rechigne à s'occuper des Juifs : Les autorités allemandes lui rappellent les charges qui lui incombent en matière de surveillance des Juifs. Le 5 mars 1943, le Kommandeur du Sipo/SD de Rennes, le colonel SS Pulmer, invite le préfet de région à opérer les redressements qu’exige la situation, il lui a été signalé que la Gendarmerie française s’est refusée à assurer la surveillance des Juifs en déclarant qu’elle n’était pas désignée nommément en vue des missions de surveillance dans les ordonnances 8 et 9 du Militarbefehlshaber relatives aux mesures contre les Juifs, aussi se réfère-t-il à la loi fondamentale concernant la police française, donc la Gendarmerie française, se chargeant de toutes les missions policières en rase campagne, doit effectuer également la surveillance concernant les Juifs.[8] [9]


 
Une 9e ordonnance de mesures contre les Juifs[10]

Sur un total de 119 juifs arrêtés (dont 40 femmes et 26 enfants de moins de 15 ans) en Ille-et-Vilaine et déportés, une cinquantaine habitaient Rennes, auxquels il faut ajouter une quinzaine d'autres qui, ayant fui la ville, furent arrêtés ailleurs et subirent le même sort. Ils étaient artisans, commerçants, employé aux Tanneries de France, dentiste, habitaient rue Jean-Marie Duhamel, quai Lamennais, avenue Janvier et ont disparus un jour et ne sont pas revenus. Les étudiants non juifs de Rennes ne se mobilisèrent pour dénoncer les mesures prises à l’encontre de leur quinzaine de camarades juifs. En effet, dans les rapports mensuels du rectorat des mois d’octobre, novembre et décembre 1941, mois succédant à la mise en application de la loi discriminatoire, aucune prise de position collective de solidarité des étudiants ne fut constatée dans les facultés.

Comme partout, des Rennais furent des délateurs, agissant en bons citoyens du régime de l'État français et estimaient bien faire en dénonçant la présence indésirable de voisins juifs, ainsi le 3 juillet: « Le Juif L. Raymond, qui tient une agence, Galerie du théâtre à Rennes, ne porterait pas l’étoile jaune. J’ai l’honneur de vous demander de faire procéder à une enquête pour établir le bien fondé de cette information .»

À l'inverse, au 70 bis rue de Paris, habita une famille Nerson (en fait Nersum) de cinq personnes, qui quitta Rennes fin août 1942 pour une destination inconnue mais fut arrêtée. M. et Mme André Tesson, leurs voisins de pallier, reçurent d'eux, fin septembre, une lettre du camp de Pithiviers et les habitants de l'immeuble - qui savaient bien leur confession israëlite - envoyèrent un colis puis reçurent une brève carte indiquant que la famille partait pour une destination inconnue : en fait un camp d'extermination. Une autre famille rennaise, les Schklarewski, fut arrêtée à Rennes en dépit de démarches faites par le père, dentiste, visant à démontrer qu'ils n'étaient pas de confession israëlite.[11]

Certains Juifs furent secourus efficacement par des gens compatissants et courageux, telle la Rennaise Marie-Louise Charpentier  , 30 ans, qui cacha et sauva une partie d'une famille juive de la rue Saint-Louis en novembre 1943[12]. Telle cette jeune femme mariée, née Rosa Rubinstein, employée aux Nouvelles Galeries, ne se déclara pas juive à la préfecture (division 1), avec la complicité de son employeur qui avait prévu son évacuation du magasin en cas de contrôle et elle obtint la carte d'alimentation au palais Saint-Georges sans qu'on relevât l'observation d'une employée " Tu as vu ce nom ? "[13]. On avait fait la sourde oreille à la spécificité de son patronyme alors qu'elle présentait une carte d'identité non frappée du stigmatisant tampon rouge "Juif".

Et des Juifs étaient entrés dans la Résistance, tel Marcel Cordon, 26 ans, né à Saint-Brieuc, sergent aviateur en 1939, au réseau Maho-Praxitèle', agent de liaison entre la Bretagne et Paris, arrêté à Rennes au cours d'une rafle dans un restaurant le 30 avril, emprisonné à la caserne "le Colombier" pendant deux mois, puis de Compiègne déporté le 28 juillet à Neuengamme. À l'approche des Alliés, le camp est évacué et le 15 avril 1945, les prisonniers sont dirigés à pied vers Lübeck où ils furent embarqués sur le Cappacorna et deux autres bateaux que l'aviation britannique coula le 3 mai[14].



Références

  1. Ouest-Eclair du 16 octobre 1940
  2. Le Tout-Cinéma, annuaire 1942
  3. Les Juifs en Bretagne Claude Toczé, Annie Lambert. PUR
  4. 36 ADIV, dossier 134 W 19
  5. Les Juifs en Bretagne. Claude Toczé, Annie Lambert. Presses Universitaires de.Rennes - 2006
  6. ADIV, dossier 134 W 19
  7. À Rennes, Du Perron de Maurin, chasseur de Juifs puis milicien
  8. La Gendarmerie sous l'occupation. Colonel Claude Cazals. Éditions La Musse - 1994
  9. Archives du CDJC, documents XX-46 et 40
  10. Ouest-Eclairdu 18 juillet 1942
  11. Les Juifs en Bretagne. Ch 4 Le temps des rafles et des déportations. Claude Toczé, Annie Lambert. Presses Universitaires de Rennes
  12. Rennes pendant la guerre, par Etienne Maignen, p.111, éditions Ouest-France - 2013
  13. Rennes 1939-1944, Le Rennais, supplément au N° 245 - juin 1994
  14. Arrestations 1939-1945 : Rennes AJPN. org.