Révolte du papier timbré
"Voulez-vous savoir des nouvelles de Rennes ? Il y a toujours cinq mille hommes, car il en est venu encore de Nantes. On a fait une taxe de cent mille écus sur le bourgeois, et si on ne les trouve pas dans les 24 heures, elle sera doublée et exigible par les soldats. On a chassé et banni toute une grande rue et défendu de les recueillir sous peine de vie, de sorte qu'on voyait tous ces misérables, vieillards, femmes accouchées, enfants, errer en pleurs au sortir de cette ville, sans savoir où aller, sans avoir de nourriture, ni de quoi se coucher. On roua, avant hier un violon qui avait commencé la danse et la pillerie du papier timbré (...)".
Ainsi est décrite l'atrocité de la répression infligée à la ville de Rennes dans ces lignes extraites d'une longue lettre de Madame de Sévigné à sa fille, Madame de Grignan, le 30 octobre 1675, même si l'on peut se demander si l'épistolière n'en ajoute pas pour capter l'intérêt de la destinataire.
Les causes de la révolte
Que s'était-il donc passé en Basse Bretagne et particulièrement à Rennes, en 1675, sous le règne du roi Louis XIV et de son ministre Colbert ?
La France est en guerre, et la guerre prend un tour inquiétant. Le roi a voulu l'attaque de la Hollande pour des motifs économiques mais cette agression a soulevé bien d'autres passions, notamment religieuses. L'Europe se mobilise largement contre l'agresseur des Provinces-Unies. Il faut financer les énormes dépenses exigées par la guerre, et le règne de Louis XIV prend un tournant nouveau : il n'est plus temps de s'efforcer à la réorganisation de l'économie et des finances, il faut financer cette guerre, donc alourdir l'impôt et en créer de nouveaux.
Mais ce nouvel effort pèsera sur tout le royaume, pourquoi donc la révolte bretonne ?
La France de cette fin du 17 e siècle est en mue. Le pouvoir centralisateur s'y accentue mais dès que l'on quitte le vieux domaine Capétien, on entre dans les provinces où l'autorité royale s'amoindrit, et particulièrement en Bretagne.
Réunie depuis deux siècles et demi au royaume de France, la Bretagne possède son Parlement, qui depuis 1532 doit consentir à tout nouvel impôt.
Entre les Etats de Bretagne et la couronne, les tensions sont fortes, le Parlement, la noblesse bretonne marquent une réserve envers le pouvoir royal, et Colbert déplaît en Bretagne.
D'origine champenoise, le ministre méprise et délaisse l'industrie textile bretonne d'une grande importance pour la région et favorise les draperies rémoises. Puis en 1675, alors que la guerre inquiète, le climat affecte gravement les récoltes. Entre une industrie textile en peine et des cultures dévastées, les bretons s'appauvrissent.
Et c'est dans ce contexte, que sont annoncés en mars 1675, sans que les Etats de Bretagne y aient consenti, l'impôt sur le papier timbré (une taxe sur tous les documents officiels). L'impôt sur le tabac (nommé "betun") et le droit de marque sur l'étain, utilisé pour la vaisselle commune, avaient été enregistrés par le Parlement.
De plus, la rumeur se répand en Basse Bretagne que le roi veut imposer à la province : l'impôt sur le sel, la gabelle. Elle soulève la colère bretonne. En effet, depuis 1532, la Bretagne était dispensée de la gabelle comme pays producteur.
La pauvreté grandissante jointe à la frustration liée aux atteintes portées aux privilèges acquis de la province, font, après le sud-ouest, gronder la révolte, à Nantes, Saint-Malo et Rennes dès le printemps de cette année 1675. Les observateurs du roi dénoncent l'influence du parlement et de la noblesse bretonne mais, bien sûr, c'est le peuple qui bougera... et paiera.
La révolte
Comme à Bordeaux fin mars, le 18 avril, le peuple envahit le bureau de tabac,place du Champ Jacquet, saccage tout et s'empare des balles d' herbe à Nicot ou pétun dont on apprécie les qualités de coupe-faim dans le peuple qui ne mange pas à sa faim. Il fait de même au bureau du papier timbré sous le palais. Le 25, le temple protestant de Cleunay est incendié sous prétexte que des commis des tabacs et du papier timbré sont de la religion. Les compagnies de milice bourgeoises, les "cinquantaines", se mobilisent.
La colère explose en juin 1675 à Rennes. Le gouverneur, le duc de Chaulnes qui a fait entrer en ville trois compagnies de 150 hommes du régiment de la Couronne,traité de "gros cochon", est assiégé en son Hôtel caillassé par une "colique pierreuse" selon Mme de Sévigné, et, dans toute la Basse Bretagne, de très nombreux manoirs sont mis à sac et brûlés. Rue Haute, la duchesse est arrêtée par la foule qui la prie d'être la marraine d'un nouveau-né qu'on lui tend mais elle reçoit sur ses genoux la charogne d'un chat crevé. Le 17 juillet, en fin de matinée, le bureau du papier timbré est à nouveau dévasté. Apeurée, Madame de Sévigné écrit encore à sa fille, le 24 juillet 1675 - "Nous ne voulons pas aller nous jeter dans la fureur qui agite notre province, elle augmente tous les jours ... Mme de Chaulnes est à demi morte des menaces qu'on lui fait tous les jours" - Au passage de la duchesse dans la rue Haute, les séditieux avaient jeté un chat mort pourri dans son carrosse.
Si cette fureur est à la mesure de la misère, elle l'est aussi des rancœurs accumulées contre l'irrésistible grignotage, par le pouvoir royal, de la chère indépendance de la province. Rennes paiera par une affreuse et longue répression. Le 12 octobre, c'est une brusque prise de contrôle par l'armée : 6000 hommes du duc de Chaulnes, venant de Basse Bretagne où ils avaient réprimé la révolte des Bonnets rouges, arrivent en ville par toutes les portes et les habitants sont désarmés. Le Parlement est exilé à Vannes, un exil qui va durer quinze ans. Rennes va connaître une sinistre occupation militaire, la destruction de ses faubourgs. Le 24 une contribution est levée sur les habitants pour contribuer à la nourriture et à l'entretien des troupes.
Le 25 octobre, sur la lande de la "Courouse", le duc de Chaulnes et la duchesse, accompagnés de la noblesse transportée en 25 carrosses, avaient assisté à une démonstration de force consistant en la revue de 3000 hommes de troupe: mousquetaires, dragons, une partie du régiment de la Couronne et de celui des gardes, archers de la maréchaussée. Le 26 octobre, Pierre Daligault, joueur de violon, "suffisamment atteint et convaincu d'avoir emeu la populace, rompu et pillé les bureaux du papier timbré," reçut vif les coups de barre de fer, "son corps exposé sur la roue pendant 24 heures, puis divisé en quatre quartiers, et portés et pendus, l'un à la Magdeleine (route de Nantes), le second au Bourg l'Evêque, le 3e ruë Haute et le dernier ruë Huë (rue de Paris), à des poteaux fichés à cet effet" , c'est à dire aux quatre coins cardinaux. Le 29 octobre,pour avoir tiré un coup de fusil sur le duc de Chaulnes, Pierre Trehol, fripier, fut pendu et étranglé au "grand bout de Cohuë". Le 31 octobre, Perrine Dubois, convaincue d'avoir participé au vol du voeu d'argent en l'église des Dominicains dite de Bonne Nouvelle, fut condamnée à la question, pendue et étranglée au "Grand bout de Cohuë". Le 4 novembre, Jean Rivé, aubergiste à l'enseigne du "Sauvage" dans la rue Haute, reconnu comme chef de la révolte est condamné "de faire amande honorable à la porte de l'églize cathédrale de Saint-Pierre avec une torche ardente aux mains, la corde, tête et pieds nus, demandant pardon à Dieu, au roy et à la justice, de là etre conduit au placis de Sainte Anne, et y etre rompu vif sur un échafaut, et sa tête séparée de son tronc etre plantée au haut d'une pique qui sera placée près le pont Saint Martin avec un ecriteau qui contenoit ces mots : Chef de séditieux, son corps jetté à la voirie, ses biens acquis et confisqués au roy". Le même jour Pierre Boissard fut condamné et rompu vif. Le 5 novembre, Guillaume Froc, de Saint-Gilles, qui, armé d'un fusil, s'était vanté de vouloir tuer le duc,fut rompu vif à coups de barre de fer et son corps exposé à Saint-Gilles. Le 2 novembre, Jean Blé, de la rue Haute est pendu au Grand bout de Cohuê pour avoir obligé les officiers à prendre les armes lors de la sédition. Le 7 novembre le duc de Chaulnes part pour la tenue des Etats à Dinan.
Rennes occupée
A partir du 9 décembre, six mille hommes de guerre arrivent à Rennes et sont logés tout l'hiver, jusqu'au début de mars, chez les habitants tenus en outre de leur fournir "l'ustensile" : "le pot et le plat, feu pour cuire et manger leur viande, sel et vinaigre pour les assaisonner, place au feu et à la chandelle". Le régiment Dauphin aurait débauché 300 à 400 servantes. Certains se comportèrent à Rennes comme en pays ennemi : René Duchemin, notaire royal à Rennes, écrit :"Le 13e décembre, plusieurs habitants de cette ville et forsbourgs ont esté battuz par des soldats qui estoient logez chez eux, et tous les soldats ont tellement vexé les habitants qu'ils ont jetté de leurs hostes et hostesses par les fenêtres, battuz et excédez, viollés des femmes ès présence de leur mariz, lié des enfens tous nuds sur des broches pour eux voulloir faire rostir, rompu et bruslé les meubles..."[1] . La férocité de la répression, finit par toucher Madame de Sévigné elle-même, qui se défait de sa distance d'aristocrate et de son mépris des bas Bretons, pour écrire à son cousin Rabutin, le 20 octobre 1675 - "Cette province est dans une grande désolation. M. de Chaulnes a ôté le Parlement de Rennes pour punir la ville (...). Cette province a grand tort, mais elle est rudement punie au point de s'en remettre jamais. Il y a cinq mille hommes à Rennes dont plus de la moitié y passera l'hiver. On a pris à l'aventure vingt-cinq ou trente hommes que l'on va pendre (...)."
Quant au gouverneur, le duc de Chaulnes, il concédera : - "Le remède est un peu violent mais c'est dans mon sens l'unique, sans cela, on ne pourra jamais assurer de cette ville".
Le Ier mars 1676, au grand soulagement des Rennais, les deux régiments du Dauphin et de la Couronne quittèrent la ville, après cing mois de présence, , pour participer à la guerre en Hollande, et les canons de l'arsenal furent embarqués au port Saint-Yves pour être transportés à Belle-Île, via Redon. Un arrêté royal suscité par le duc ordonna que tous les habitants de la rue Haute (maintenant rue Saint-Malo), du couvent de Bonne-Nouvelle jusqu'au pont Saint-Martin seraient expulsés de leurs maisons et que celles-ci seraient rasées mais les deux tiers sous le fief du roi furent épargnées et rachetées par leurs propriétaires. Le 20 avril commença la démolition des maisons du faubourg de la Rue Haute à l'exception de celles relevant du roi, celles du four à ban et quelques autres rachetées pour éviter la démolition.
Bibliographie
- Fonds des Archives départementales :
Relation de la sédition de 1675 à Rennes par Morel. Cote 1 F 307 des Archives départementales, Fonds de la Bigne-Villeneuve (voir aussi Notes et rédaction historique : 1 F 689 du Fonds de la Borderie) ;
Voir Morel : Relation de la sédition de Rennes en 1675 (copie ancienne). Extr. du journal de René Monneraye de Bourgneuf ; cote I F 1032 du Fonds de la Borderie.
Copie du journal de René Cormier, sieur de la Courneuve, sur la Révolte du papier timbré : élément du dossier de cote 1 F 1636-1637 du Fonds de la Borderie.[2]
Notes et références
Rennes d'histoire et de souvenirs quatrain 14
Lien externe
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