Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°14


Souvenirs d'un enfant


Les Américains sont à L'Hermitage !!!

Entre l’instant qui marque le départ des Allemands emportant dans leurs bagages les implacables et cruelles lois nazi (es) et celui de l’arrivée des Américains nous offrant la Liberté accompagnée de notre nouvelle administration garante du rétablissement de l’ordre public, il s’est écoulé une courte période de flottement où la loi en vigueur était devenue celle du plus fort. Aussi courte fut-elle, cette période permit à certains d'exercer leur propre justice et pour d’autres, ce faisant, faire croire qu’ils étaient d’authentiques résistants. La Résistance avait d’autres affaires plus sérieuses à gérer.

Au lendemain du départ des Allemands, dès le matin, à Vezin-le-Coquet, un nouvel évènement s’offre à mes yeux. Des Vezinois s’activent à gratter le stuc de la façade de leur maison à l’aide d’un outil pour faire disparaître les traces d’un superbe svastika peint avec un goudron bien épais et bien noir. C’est, paraît-il, une décoration attribuée en guise de récompense à ceux qui ont beaucoup marchénoirisé. Enfin, c'est ce que veulent faire signifier les auteurs de ce graphisme très à la mode. Deux commerces du bourg en sont victimes. L’identité de ces artistes peintres n’est pas connue, enfin pas de tout le monde ! Il est tout à fait certain que ces agissements ne proviennent pas de résistants. Madeleine, (pas celle du Tram33 mais une camarade de ma sœur aînée), m'assure que les récipiendaires ne méritent pas ces croix gammées. Par contre, un certain machin, du Bourg, pourtant bien connu de tous … humm !…Lui, il l’aurait méritée cette récompense et plutôt deux fois qu’une. Bon enfin ! Il n’a tué ni blessé personne.

On ne peut pas dire que ce soit un règlement de compte bien méchant par rapport à ce que mon père m’a rapporté plus tard quand j’étais adolescent (durant cette courte période mon père a vu, à Rennes, outre des femmes tondues à la chaîne, de tragiques spectacles empreints de barbarie). Ce message sous forme de gravure rupestre voulait sans doute rappeler que certains privilégiés ne consommaient pas pour leurs repas, des pommes de terre avec du lait baratté. Eh bien si c’est la cas, ils ont eu tort parce que c’est très bon !


Toujours pendant cette période, celle, entre le moment où les Allemands sont peut-être… certainement, partis et le moment où les Américains ne sont certainement pas… peut être encore arrivés, c'est dans ce créneau, ce no man’s land du calendrier que mon père a pris des risques. Avec sa courageuse bicyclette, il est allé de bon matin à la Belle Epine, dans l’espoir de récupérer des « choses » intéressantes que l’occupant auraient abandonnées dans sa retraite précipitée. La maison où cantonnaient les artilleurs allemands est construite en bordure de route à proximité des canons de DCA. Il s’y rend et visite les lieux avec prudence, les Allemands ont la réputation de semer de mortelles chausse-trappes. Sans en rencontrer, il récupère de la vaisselle, des couverts de tables ainsi que de menus objets. Il raconte alors qu'il est intrigué par un fil de fer tendu entre le mur de la maison et un arbre, ou un poteau situé de l'autre coté de la route. Il pense que la maison est minée. Il cherche et trouve des chiffons qu'il suspend au fil pour signaler le danger. Nous savons depuis qu'il s'agissait probablement d'un fil coupe-tête réservé aux alliés circulant en Jeep. Pour parer ce piège les alliés avaient équipé leurs véhicules de barres coupe-fil. Mon père prétend qu'il a peut-être sauvé la vie de soldats américains. Ben !...qui sait ?


 


Modèles de couverts récupérés à la Belle Epine. Ils sont estampillés RAD. Reichsarbeitsdienst ( Service du travail du Reich) Ces pièces peuvent témoigner de la présence de très jeunes soldats qui servaient les pièces de DCA


Les Américains sont à L’Hermitage !!!...

A pied, à cheval et à vélo, une grande partie des habitants du Bourg se rend à L'Hermitage pour accueillir nos libérateurs. Dans la fièvre du moment je me sens le grand oublié. C’est du chacun pour soi, personne n’a pensé à m’emmener. Ah bien quantemême !! ( expression souvent utilisée par monsieur Letort), le fils Blanchard qui habite dans le même pâté de maisons, vient vers moi et me demande si je veux bien l’accompagner. Cet adolescent possède une superbe bicyclette rouge, toute neuve avec à l’arrière un porte-bagage sur lequel je pose mes fessouilles. Je suis ravi et nous voilà partis. Nous roulons seuls, les autres sont déjà bien loin devant et probablement déjà rendus. Au sortir du bourg, arrivé au croisement de la route qui mène à la Glestière, je commence à être inquiet. Je quitte mon territoire et fonce vers l'inconnu. Quelques dizaines de mètres plus loin je panique, je me mets soudain à pleurer très fort. "Je veux voir ma maman". L’adolescent, très gentil et compréhensif fait demi-tour et me ramène au Bourg. Il repart ensuite courageusement vers L'Hermitage.

A mon retour, le centre de Vezin est désert, tous sont partis ! Je me rends chez Letort sans passer par la case maman. Madame Letort est présente et semble seule avec une petite fille qu’elle tient par la main, Charlotte ou Gabrielle, je ne me souviens plus. Nous sommes tous les trois, sur le pas de la porte du café quand apparaît soudain, sur notre gauche, venant du haut du bourg, roulant au pas, un scout-car rempli de soldats américains. De loin nous ne les avons pas vus arriver, car la maison des Bouget, la couturière, nous cache la perspective. Madame Letort a un excellent réflexe, elle se précipite vers une rosier qui pousse le long d’un mur, cueille deux roses et en donne une à chacun de nous deux. Le scout-car stoppe devant nous. Nous tendons nos fleurs aux tout premiers Américains que nous ayons jamais vus. J’ai en mémoire les éclatants sourires des soldats, leurs regards dirigés vers nous, pleins de douceur et de gentillesse. Les premiers bonbons made in USA, nous sont offerts, tout un rouleau de bonbons pour moi tout seul. Bizarre ! me dis-je, le conditionnement de ces bonbons ! habituellement les bonbons se présentent en pochon, première surprise. Bon on fera avec !

Notons que nous sommes seulement trois, devant la Mairie-école pour accueillir nos Libérateurs. Il n’y a aucune autre personne. Le comité d’accueil des libérateurs, c’est donc nous !!! Dans ce cas je ne regrette pas de ne pas avoir été assez brave pour me rendre à L’Hermitage avec le fils Blanchard.


 



Le croquis emprunté sur le net et présenté ci-dessus montre comment les Américains après la percée d'Avranches ont largement encerclé Rennes avant d'y pénétrer. Les troupes américaines ne disposent pas, alors, d'une infanterie suffisante pour engager des combats de rue. Cette précaution des alliés a permis aux Allemands de bénéficier d’un gain de temps supplémentaire pour organiser un train qui a quitté Rennes emmenant vers l’Allemagne des prisonniers civils, politiques et résistants. Les Allemands ayant quitté Rennes, la canonnade alliée sur cette ville était devenue inutile. Quand le maire de Rennes a demandé plus tard au général américain la raison de cette canonnade, celui ci a répondu (je cite archives de Rennes) "Quand on est poli on frappe toujours avant d'entrer" ou une réponse similaire. US humour.


Mars 2013

Albert Gilmet