Hymne à Rennes

RENNES D'HISTOIRE ET DE SOUVENIRS Du plus loin que je me souvienne Mes souvenirs sont de Rennes Où je suis né par bonne aubaine Il y a des années par dizaines. Du plus loin que je me souvienne, En cette ville toujours mienne, Entre Vilaine et Ille et Rance Sont ici mes souvenirs d’enfance. Toi qui t'étalais à loisir Sur tes coteaux avec plaisir, Tu te replias avec peine Devant des barbares peu amènes. Que tu sois née gauloise ou celte, Tu fus romaine, monnaies l’attestent. De briques et schistes tu construisis De rouges remparts de survie. Portes Mordelaises mises à part On ne voit plus de tes remparts Que ta gironde tour Duchesne Près de quelques briques romaines Ils voulaient encore te prendre. Gourvan, plutôt que de se rendre, Mourant, triompha des Normands, Et les repoussa fermement. Ville de rien, ville de catins Ville de rapines, de malins, Le jeune Marbode en langue latine Te cassa des mots sur l’échine. Le géographe al Idrissi Dit qu'on vivait bien ici, A cette époque même où Marbode Commettait sa vilaine ode. Une fois l’Anglais de t’investir Mais ne put jamais s’introduire Car Notre Dame fit un signe De son doigt désignant la mine. A leurs Portes Mordelaises, Les Rennais, de l'armée anglaise, tirèrent cochons de grand profit En suspendant une truie. Pour de Bretagne être duchesse, De voir ses Rennais en liesse La jeune Anne fut bien aise, Passant les Portes Mordelaises. S'étant enfin rendu Mercoeur, Tu offres tes clés et tes coeurs Au roi Henri le quatrième Qui désire tant que tu l'aimes. Contre le papier timbré Levés, des Rennais furent livrés Nombreux à mille et un tourments Et mis à Vannes ton parlement. Rats, souris, puces et punaises, Rapporte-t-on, vivaient à l'aise Dans tes logis humides et sales, L'écurie donnant sur la salle. L'an mille sept cent vingt, il agit , En te prenant huit cents logis. Deux cent soixante quatorze après L’incendie prenait ton palais. Maisons à pans et de torchis Avaient fait place nette au granit. Deux places tu t’offris royales Pour ton hôtel, ton présidial. Enumérant tes incendies, Certains répètent ce que l'on dit : A Rennes, rien ne prend, sauf le feu Et pourtant ils y vivent heureux. Egalité, fraternité Et aux idées de liberté Des villes tu fus première Cité révolutionnaire. Réunis à la Mabilais, Ils signèrent un traité de paix, Chefs des Chouans et chefs des Bleus Mais, hélas, la paix fit long feu. Pour défaut de citoyenneté, Sur ta place de l'Egalité, Sous le rasoir égalitaire, Plus de trois cents têtes tombèrent Tailleur brave, Jean Leperdit Justement célèbre se rendit Pour avoir du cruel Carrier froissé la liste de papier. Dix-huit-cent trente, en juillet, Révoltés pour la liberté, Furent tués à Paris dans la rue Deux jeunes Rennais : Vanneau, Papu. Ton opéra, plein d’embonpoint, Son ventre rond propose en vain Aux courbes graciles, au campanile De ton gracieux hôtel de ville. Les deux tours de ta cathédrale, A trois ordres, monumentales, Se dressent en granit, souveraines Au-dessus de voûtes romaines. Sur ton pont Bagoul s'attardaient Des commères restant bavarder, De bonnes histoires se disant Et parfois même médisant. Du gué de Baud à Saint-Martin, Battant depuis le matin, Les lavandières éreintées, Aux bateaux-lavoirs papotaient. Tu vis la fin de grands travaux Entrepris par monts et par vaux, De la Rance à l'Ille reliant l'eau, Te donnant comme port Saint-Malo. Tu traitas la Vilaine, lasse D'enlacer tes parties trop basses De ses bras nauséabonds, En canal droit avec beaux ponts. Duguay-Trouin et Lamennais, Tu t’es fendue d’une ligne de quais Au long desquels tu fais la fière Comme si tu étais port de mer. Tes écrivains te décrivirent Triste, t'esquintant à loisir, Et les guides de voyage De les copier dans leurs pages. On a dit le Rennais chauvin Mais de médire il est très vain. Il défend sa ville tel un tigre Et aussitôt il la dénigre. Pour d'aucuns ce ne fut pas faute De le vouloir en ville haute Qu'au sud, loin de l'autre rive, On décide que le train arrive. En dix huit cent cinquante sept, Tous les Rennais sont de la fête, Délaissant un temps leurs affaires Car voici le chemin de fer. Derrière ta gare, on amène Celles condamnées à des peines Et nombre des incarcérées Rêvent de train, de voies ferrées. En dix huit cent quatre-vingt un, la Vilaine fit un tour vilain, Inondant plus de quatre cents Tristes logis de pauvres gens. D'Henri Quatre à Poincaré, Tu reçus François Premier, Félix Faure, de Mac-Mahon, Le troisième Napoléon. Et de tes garçons le lycée Fut choisi siège du procès D’honneur terni du capitaine Sali par le complot de haine. Quarante et unième R. I. Parti défendre la patrie, Pantalons rouges allèrent au feu, Puis ce furent les capotes bleues. Au Panthéon de la mairie, Tués à la grande boucherie, Tombés nombreux aux champs d'horreur, Tes fils sont aux tableaux d'honneur. Devant la France, assise là, Elle fut détruite à grand éclat La Bretagne s'agenouillant Heurtant des Bretons trop bouillants. Fête-Dieu ou mi-carême, Ou le quarante et unième, Fête des fleurs, dans cette ville C'était tu regardes ou défiles. Public, privé, évidemment Chaque année séparément Tes écoliers paradaient Et leurs parents de regarder. Des serres de verre à la roseraie Au Thabor les enfants se jouaient Du garde manchot claudiquant Portant sifflet entre ses dents. Bleus ou jaunes les tramways Ferraillaient, brinquebalaient Sur les rails luisants et froids De la mairie jusqu’aux octrois. Fumant, soufflant le long des quais, Portant fier son sobriquet, Cloche sonnant, ton tortillard Tanguait, ahanait vers Fouillard. Un dix-sept juin, à dix heures, Passèrent trois oiseaux de malheur, Lâchant sur tes voies de triage Les fientes d'un grand carnage. Nos trois couleurs plus de mise, Hommes résédas et souris grises Le lendemain furent dans tes rues. La Marseillaise s’était tue. Pour un de leurs câbles scié Marcel Brossier fut fusillé, Et l'avis d'exécution Lu avec consternation. Tombèrent au commandement :feu ! En mille neuf cent quarante deux, A la butte de la Maltière, Les vingt-cinq résistants fiers. En mars et mai quarante trois Aux bombes mortelles tu eus droit, Et encore l'année suivante Où cessa cette tourmente. Avenue Janvier, rue Saint-Hélier, Les bombardiers avaient laissé Des tas de ruines, des trous béants Pour tout logis aux habitants. Dans un train, ôtés de prison Vers de germaniques horizons, Les vrais résistants qu'ils étaient Manquèrent de peu la liberté. Et au beau matin du quatre août, Les Allemands mis en déroute, Tu fêtas les Américains, Prête à de joyeux lendemains. Peu à peu tu as rebâti Puis en périphérie construit Aux arrivants de grands ensembles Qui leur plaisaient fort, ce me semble. Tes communes périphériques De ta vigueur si bénéfique Profitèrent en facilitant l'accuei de nouveaux habitants. Pompons rouges de Pont-Réan, Elèves de Coêtquidan, De ton régiments les recrues Battaient le pavé de tes rues. Mac-Mahon et Colombier Furent tranformés en quartiers, Remplaçant les casernements Pour accueillir des habitants. Au fil des rues tu alignes Immeubles de toutes origines. Cà et là crèvent ton plafond Un Eperon, des Horizons. L’enfant, puis l’adolescent, Fut assidu pendant huit ans Au collège à tuiles toscanes Pour du bac avoir la peau d’âne. Sous Saint-Melaine culminant Entraient en fac les étudiants, Avocats, juges de demain Dans cette ville pleine de robins. Rennes... deux minutes d'arrêt, Ici commence ma vie d'après la Kabylie et ses djebels, Vilaine, je te trouve belle. Rue d’Estrées et rue Le Bastard, Le soir venu jusque fort tard Brûlaient, lueurs aguicheuses, Cent enseignes lumineuses. Au Royal ou bien au Français, À huit cents ou mille assemblés Les Rennais en leurs salles obscures Savouraient Blanche-Neige, Ben Hur. Tes cafés-cidre ne sont plus Et les pizzerias affluent. Crêperies et galettes-saucisses Font toujours encore nos délices. Les parcourant de haut en bas Afin de remplir leurs cabas Les Rennais se retrouvent aux Lices Le samedi, jour des délices. Toujours affluent tes habitants Au beau stade, route de Lorient Pour soutenir onze rouge et noir En espérant bien la victoire. Sitôt venu le mois de mai Au Champ de Mars tu rassemblais Outre Rennais, ruraux en noir Venus visiter ta foire. Où dans des champs bordés de haies Poussaient tranquilles des pommiers De tes lignes de productions Sortent les voitures aux chevrons. Tu fus toujours bien aise Qu'on te dise cité gallèse Mais, capitale, tu résonnes Au nom breton de Roazhon. Tes ardoises s’offrent à nos yeux Tantôt grises, tantôt bleues Du ciel changeant de nos saisons, Tantôt crachin, tantôt rayons. L'an soixante-six, gorgée de pluies, Saoule, la Vilaine sortit du lit, Et dégorgea au fil des rues Tout le trop plein qu'elle avait bu. Au lieu des bombardiers, Ce sont les vols réguliers et des vols à la demande Sur Saint-Jacques-de-la-Lande. De tes grandes heures le hérault, On ôta le Gros de là-haut, Fatigué d'avoir égrené Tant de décennies des Rennais. En mille neuf cent quatre-vingt-neuf, Ce fut enfin le train tout neuf, A grande vitesse te mettant plus près de Paris par le temps. De retour la petite reine Circule dans les rues de Rennes Et les Rennais de pédaler Sur des vélos au nom franglais. On te disait cité austère Avec tes arcades de pierres Ville sévère, de grise mine, Aux gros pavés, à l’ardoise fine. Tu as ôté de tes logis Le maussade vieux torchis, Révélant tous ces pans de bois, De bien beaux ornements pour toi. Ton Champ de Mars fut grignoté, Des bâtisses ont empiété, Te transformant, autorisées, En esplanade minimisée. Maison de culture, Grand Huit, Voire TNB par la suite, Salle Omnisports en Liberté Tes constructions ont muté. Dits du Commerce ou Saint-Georges De tes palais tu te rengorges. A ton couvent des Jacobins Tu prévois un nouveau destin. Sur la place du Champ Jacquet Où il n'a rien d'un laquais, En bronze au brave Leperdit Sa stature épique tu rendis. Quatre beautés, aucune rose, Sur tes places tu disposes Des oeuvres d'art insolites Tel de granit ce monolithe. Comme abandonné, un touret Cherche à se faire admirer. Une tête sur un plateau d'eau Etonne vieux et ados. Place Rallier du Baty, Tout près du côté rebâti, Tu proposes à l'oeil d'accoler La chrysalide esseulée. Soixante-douze de granit gris, Voici les colonnes d'Aurélie Figées dans leur alignement, Menhirs en rangs assurément. Si beaucoup de tes Rennais râlent, Trouvant tes places minérales, De Bréquigny à Maurepas Ils ont tant de parcs, n'est-ce-pas ? C'est une habitude pérenne De courir dans les rues de Rennes : Octobre, les Rennais se foulent Et à bonnes foulées déroulent. Aux sons des musiques tu vis. La nuit, tu te réjouis, Avec tes étudiants, danses Et chaque année tu entres en transes. Mais des étudiants pas sages Rue de la soif font grand tapage, T'accolant une renommée Que Marbode eut bien aimée. A peine tes murs ravalés Qu'aussitôt ils sont maculés De gribouillis laids et abscons, Tracés furtifs de jeunes cons. Chaque année, début juillet, De tes Rennais on voit briller, Les yeux que le sommeil fuit Lors des tombées de la nuit. Et depuis des décennies Tes rotatives chaque nuit S'activent et, au petit matin, Sort le plus grand quotidien. Telle Atalante, déesse mythique, Des télécoms aux fibres optiques Tu cours, mais laisses les pommes d’or. Trois mille chercheurs ont fait ton fort. Aux Champs Libres tu proposes Les livres dont tu disposes, Du passé l'exposition, Sciences en compréhension. Tu achevas en l’an deux mille Pour ton transit automobile De boucler enfin ta ceinture Où tu laisses filer les voitures. Se suivirent Château, Patay Milon, Fréville suivi d'Hervé Auquel succède Delaveau, Au fil des ans tes maires nouveaux. Les ducs te firent cité ducale Et de Bretagne la capitale. Puis métropole un beau matin, Tu t’offres un métropolitain. Sur deux lignes et à trois lettres, Le Val filera en navettes Prenant l’air ou souterrain Pour les citoyens de demain. Étienne MAIGNEN