Camp Victor Rault - n° 25
Vie au camp Victor Rault - 4 - Epoque 1946 - 1950
C’est l’hiver au camp Victor Rault, il se remarque au lever du jour par la couche de glace qui décore la surface intérieure des vitres de nos fenêtres. Le long couloir central de la baraque est une glacière, un courant d’air très froid le traverse par ses deux extrémités. Heureusement nous aurons chaud à l’école et dans ces conditions il sera agréable de prendre place à son pupitre. Je pénètre dans la classe, je savoure la tiédeur qui m’enveloppe. J’aime sentir l’agréable odeur de fumée de bois qui, s’échappant du gros poêle lors de son allumage par la femme de service, demeure en suspend jusqu’à notre entrée, pour mon plus grand plaisir.
Les rejets des poêles à charbon des baraques du camp nous gratifient au contraire d’une fumée à l’odeur assez désagréable. Ils démontrent par ce dégagement presque nauséabond que le charbon n’est pas d’excellente qualité et qu’il contient probablement trop de souffre. J’ai senti le même parfum caractéristique en 1968 dans une ville lors d’un voyage en DDR (RDA). A cette époque ce pays, en effet, utilisait un charbon de très mauvaise qualité, saturé de souffre et à cet instant là, je me suis senti tout à coup, transporté 20 ans en arrière.
Les écoles à Rennes utilisent le coke pour le chauffage des établissements scolaires. Sa transformation est très polluante. Les résidus solides qu’elle produit, tel que le mâchefer, contiennent des métaux lourds et des dioxines. Pourtant, beaucoup de pistes qui entourent les terrains de sport de Rennes son recouvertes de ce matériau, pilé et damé. Le stade de la T.A. par exemple, rue Leguen de Kérangal mais aussi le stade du vélodrome.
Noël est là, le père Noël aussi, lequel a demandé aux prisonniers de guerre allemands, encore détenus à la caserne Margueritte et peut-être à l’arsenal, de fabriquer des jouets en bois pour les enfants du personnel civil. Pour mon frère c’est un bel avion. Pour moi, c’est un beau et grand camion qui sent bon la peinture fraîche, décoré avec de belles couleurs. J’adore ce camion auquel je suis très attaché. J’ai eu beaucoup de peine lorsque, quelques années plus tard, mon frère, jouant au chef de famille, le donne à un petit voisin estimant que j’étais, me dit-il sentencieusement, trop grand pour conserver un tel jouet.
L’année suivante nous avons droit à une représentation et remise de jouets dans une salle de l’arsenal Boulevard de la Tour d’Auvergne. Je choisis, ce noël ci, un livre « Panache Indien » texte et gravures de Maurice Feaudière dit Serge. La belle image de la couverture du livre m’a aussitôt interpellée, elle a été déterminante pour fixer mon choix. Ce livre, classé aujourd’hui, parait-il, parmi les œuvres rares, a pour moi une grande valeur sentimentale. Il a toujours eu une place dans mes valises ou dans ma bibliothèque.
Les baraques sont froides en hiver mais chaudes et quelques fois étouffantes en été. Ainsi l’après midi, des dames du camp font la causette, assises dehors sur des chaises devant leur baraque en s’occupant les mains de travaux de couture. J’assiste aux premiers pas de Jack Busnel qui, bébé, réussi à en faire trois, debout d’une chaise à une autres sous les yeux extasiés de sa maman et des dames présentes à ce petit rassemblement.
Elles vont aussi parfois s’installer sur le Champ des Anglais, tricoter à l’ombre, en surveillant leurs enfants, qui peuvent ainsi s’ébattre en toute liberté et tranquillité. Le champ des Anglais est un grand pré situé au niveau du Camp Victor Rault, de l’autre coté de la rue Leguen de Kérangal. On remarque encore dans le sol du pré, les traces laissées par l’installation des toiles de tentes dressées lors du passage des troupes américaines. Déjà trois ou quatre années se sont écoulées depuis leur présence, le temps passe vite aussi pour les enfants. Nous avons vu construire à proximité du champ des Anglais, les premières maisons édifiées par l’association des Castors.
Avec Luis Matas, comme chef accepté, (normal il était le plus grand) toujours en tête de notre petite troupe, nous avons fait du feu dans ce champ afin de faire cuire des pommes de terre dans la braise. Nous ne connaissons pas encore le papier aluminium, résultat nos patates sont carbonisées, peu importe, nous les mangeons, c’est l’hiver et ça réchauffe.
Luis doit interpréter le rôle du superbe et beau Stenka, dans une représentation de la princesse Miarka, donnée à l’occasion d’une fête de fin de garderie de vacances à Villeneuve. S’il a trouvé le costume qui convient pour son personnage, il ne possède pas encore les bottes indispensables à tout cosaque qui se respecte. Mais La mère Volga veille sur lui et fait en sorte de lui en procurer. D’accord, ce n’est que le cuir d’anciennes bottes, découpé puis cloué sur des semelles en bois, l’honneur est ainsi sauvé ! Il peut maintenant chanter fièrement.
«Volga, Volga notre mère
Sainte Mère Ô toi Volga
Chante chante nos misères
Et la gloire de Stenka. …etc…»
Des camions de la municipalité de Rennes se présentent parfois, dans le camp et déversent de grosses caisses de bois vides. Elles sont destinées à qui veut en prendre, elles serviront de bois de chauffage. Le camion survient, stationne un peu n’importe où et se déleste de sa marchandise sans façon, souvent sans précaution. Ce jour là, Poutchine un très jeune garçon qui ne marche pas encore, sans doute le frère d’Anna Maria, joue assis à même le sol et caresse une adorable petite chienne à la robe café au lait très clair. Le camion recule, le chauffeur ne s’est pas aperçu de la présence du bébé, il va l’écraser quand le père de Jojo arrive à ce moment, il se précipite alors vers l’enfant. Il a tout juste le temps de s’en saisir en hurlant comme sait le faire un espagnol à la corrida. Poutchine est sauvé et le chauffeur tancé, il s’en est fallu de peu.
La petite chienne couleur café au lait très clair est un bâtard au regard très doux et expressif. Je l’aime beaucoup cette petite chienne, elle est l’amie de tous les enfants du camp. Elle fait office occasionnellement d’infirmière dans notre quartier. J’ai les genoux ou les coudes garnis de petites blessures récoltées suite à des chutes aux jeux. Comme pour la cuti, celles-ci s’infectent et suppurent. Madame Bébert me recommande un remède : « Fais toi lécher tes bobos par un chien et tu verras, que tu guériras vite ». Je m’exécute donc et je fais appel à mon infirmière de fortune. Il me suffit de lui désigner tel ou tel endroit pour qu’elle prodigue ses soins avec ardeur et grande application, la brave petite bête ! Effectivement après plusieurs jours de ses soins, une croûte se forme qui sèche et le mal finit par disparaître.
Madame Bébert est, comme de bien entendu, la femme de monsieur Bébert, un copain de mon père, il est chauffeur à « la caserne Margueritte ». Il a obtenu ce poste en tant qu’ancien résistant. C’est un grand costaud à l’accent parisien, un peu gouailleur et bon comme le bon pain. Madame Bébert n’est pas riche mais elle tient à offrir pour Noël, une bouteille d’eau de toilette à ma sœur Jeanine et des petits soldats à mon frère et à moi. Je suis un peu déçu car les soldats ne sont pas en aluminium mais en plâtre. Je ne me rends pas compte sur l’instant, de la dépense, peut-être importante, que représentent ces achats pour un couple aux revenus modestes.
Le défilé du 1er mai : Pour autant que je m’en souvienne, nous sommes en 1947 mais je ne suis pas certain de cette date. Mon père qui a participé aux grèves de 1936, proche du monde ouvrier et gaulliste confirmé, décide de s’intégrer au défilé. Il propose de nous y emmener. Le regroupement, avant défilé, s’effectue Boulevard de la Liberté au niveau du monument aux morts. Des organisateurs avec qui mon père discute, nous apercevant mon frère et moi, demandent si nous participons aussi au défilé. La réponse étant affirmative il est décidé que les deux enfants se positionneront en tête du cortège à quelques mètres devant pour être bien distingués. Nous avons eu droit à une belle photo sur le journal Ouest France. On en a parlé à l’école.
Parfois les jeudis ou pendant des vacances scolaires, j’accompagne mon père à la caserne Margueritte dans l’atelier de réparation des appareils des transmissions. Avec l’autorisation du Capitaine chef du service et l’assentiment de ses collègues, je suis installé à un établi où je démonte les postes radios devenus inutilisables. Certaines de ces pièces, résistances, condensateurs, pourront être recyclées, ce que j’espère car je suis très fier d’être là et participer à l’entretien du matériel radio de l’armée française. Je désosse des récepteurs BC312 – BC603 des émetteurs BC191- BC604 et beaucoup d’autres modèles. Ces matériels que j’utiliserai un jour et dont il me faudra préalablement apprendre le fonctionnement moins de dix ans plus tard à l’Ecole d’Application des Transmissions à Agen. J’étais déjà préparé et familiarisé avec le matériel radio militaire qui plus tard, chaque jour et durant une très longue période en AFN me serviront à transmettre des messages en morse.
L’atelier radio possède un équipement de sonorisation, amplificateur et haut-parleurs. Mon père ou ses collègues de travail peuvent en disposer occasionnellement pour l’animation de fêtes champêtres civiles. Ce dimanche une compétition de régates organisée par la SRR se déroule sur la vilaine. Un stand est dressé pour abriter le matériel et le speaker. Mon père parle au micro, je suis à ses cotés, je ne suis pas qu’un peu fier !
Fin 1948 un nouveau journal est né « Ouest Matin », journal créé par le parti communiste de Bretagne. Une grande campagne publicitaire s’engage pour faire connaître la nouvelle. Les parents et enfants reçoivent des invitations pour le spectacle prévu le jour de l’inauguration de la parution. La fête se déroule dans la salle du cinéma le Celtic à Rennes, baptisée Maison du Peuple depuis sa construction. Marc Busnel, sa maman, son petit frère Jack et moi, ne manquons pas de nous y rendre. Nous recevons des petits cadeaux, du genre caravane publicitaire du tour de France, c'est-à-dire des chapeaux en papier, des visières marquée du nom du journal et quelques friandises. La salle est comble. Entre chaque numéro d’animation présenté, un meneur de jeu intervient, vante les bienfaits du nouveau quotidien d’avant garde destiné au peuple et fait crier par toute la salle, en cœur, OUEST MATIN. Il nous dispense des slogans rimés que je n’ai pas retenus.
Les murs de la salle de la maison du peuple sont joliment décorés de peintures de grandes tailles exécutées par l’artiste Camille Godet. Une fresque représentant des personnages de différents corps de métier exerçant leur activité manuelle, c’est très beau. J’aime beaucoup les contempler.
Le titre du quotidien OUEST MATIN est présenté en bleu. Le journal est communiste donc logiquement c’est en rouge que le titre aurait dû paraître. Trop tard, Ouest France présent dans les kiosques depuis la libération a déjà emprunté cette couleur. Mon père s’est abonné au nouveau journal qui a promis d’être laïc et neutre. Il déchante assez rapidement constatant que ce quotidien ne lui apporte pas la lecture qu’il espérait. Rien à lire d'intéressant à son gré, de la politique encore de la politique très orientée. Il cesse son abonnement et lit des journaux édités et vendus au plan national car il n’aime pas Ouest France qu’il traite de « journal de curés » (Sic) Le quotidien Ouest matin n’a pas su obtenir et conserver l’audience qu’il espérait, son déficit permanent devient trop important, il cesse de paraître en 1956. Son lancement fut néanmoins une belle fête qui restera pour moi un bon et joyeux souvenir d’enfant.
Christian Vallier, mon cher copain, habite au camp Victor Rault dans un pavillon de type suédois. Toujours souriant, toujours gai, d’une grande gentillesse, nous blaguons souvent. Il possède toujours, en réserve, une histoire drôle à raconter. Ensemble, nous allons quelquefois nous promener à vélo. Une journée d’été, Il fait chaud, nous avons soif, nous nous désaltérons dans un café en bordure de route et dégustons une bonne bolée de cidre doux coupé d’eau. Une bolée coûte cent sous (5 francs anciens) Nous nous sommes connus dans la classe de monsieur Ory, à l’école Victor Rault, en 1946 et sommes restés copains jusqu’au CET du Boulevard Laënnec à Rennes et même plus tard quand j’étais militaire, engagé à 18 ans.
Christian est quelques fois distrait, monsieur Ory l’appelle même affectueusement ballot. Il a un jour, fait une chute de vélo, la poignée du frein qui lui a perforé une cuisse, a failli lui sectionner l’artère fémorale. Il lui arrive parfois d’être victime de petits accidents. En permission de fin de stage, je lui rends visite, la joie est communicative dans la famille Vallier.
Nous nous sommes perdus de vue et pour cause ! J’ai appris depuis seulement quelques années qu’il était décédé, mort en Algérie à l’âge de 21 ans. Après m’être assuré des faits, je suis allé consulter la liste des noms des soldats morts en Algérie, qui parait au panthéon de l’Hôtel de Ville de Rennes. Son nom n’y figurant pas, je me renseigne et j’apprends qu’il faut être mort pour la France pour que le nom soit inscrit dans le marbre de ce lieu de mémoire. Christian, mon cher camarade, pour qui, pour quoi es-tu mort en Algérie. Quelle que soit la raison, tu as perdu la vie durant une période que tu effectuais sous les drapeaux. Il est certain que tu n’es pas allé là bas, en villégiature et de ton propre chef. Vois-tu Christian, concernant la reconnaissance de la patrie envers les siens, les lois sont quelques fois encore plus distraites que tu ne l’as jamais été. Repose en paix mon cher et bon camarade.
Le tour France est un grand évènement pour tout le monde. En 1947, le premier tour d’après guerre, c’est Jean Robic (Biquet) qui sort vainqueur de cette grande course. Cette année là, le tour ne s’arrêtera pas à Rennes, il attend l’année 1951 et l’arrivée de l’étape s’effectue au stade du vélodrome, comme il se doit. Nous sommes installés en bordure d’un grand boulevard, encadrés par les moniteurs de la garderie de vacances de Villeneuve. Les coureurs passent devant nos yeux comme des fusées, impossible de reconnaître un seul de mes favoris. La caravane publicitaire qui devance les coureurs s’est installée plus tard sur le champ de Mars. En soirée des stands sont dressés et les marques commerciales qui accompagnent le tour, vantent leurs produits en organisant de petites représentations et en distribuant visières en carton et chapeaux en papier. Devant un mini stand, je vois madame Pauline Carton, sur une estrade débitant un texte qu’elle devait sans doute reprendre à chaque fin d’étape. Nous sommes trois ou quatre à l’écouter. Ce texte raconte le tour de France, je n’ai retenu que quatre mots, tant son débit de paroles est intense, tout en jeu de mots « et le tour M’allait, évoquant le Tour Mallet ». Avec le temps je suis un peu triste de penser que cette comédienne de talent, ait pu se produire dans des conditions presque semblables à celles d’un camelot de foire. Je rage aussi de l’avoir écoutée et regardée sans reconnaître alors l’artiste qu’elle était.
Ouest France n’oublie pas de présenter sur son journal, la liste de toutes les équipes participantes. L’équipe de France, les équipes de pays européens et d’AFN, Luxembourg, Belgique, Italie, Espagne, Hollande Suisse, ainsi que les équipes régionales. Pour les avoir consultées à maintes reprises, je pense bien connaître les noms des 128 coureurs qui prennent le départ. C’est beaucoup plus facile de s’en souvenir que de retenir les règles qui font appel aux mathématiques.
Le 5 septembre 2013
Albert Gilmet