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Le 15 juin 2013 | Le 15 juin 2013 | ||
Albert Gilmet | Albert Gilmet |
Version du 16 juin 2013 à 11:22
Retour en Bretagne Le camp Victor Rault
Suite des chroniques vezinoises
J’accompagne mon père en gare de Wasquehal. Il étiquette et dépose quelques meubles, surtout des lits démontés. Ils seront expédiés à destination de Rennes par la petite vitesse. Les malles et caisses effectueront le trajet inverse de leur récent premier voyage.
Un camarade de mon père d’une famille polonaise, monsieur Sevinsky, a mis à notre disposition une camionnette qui devra nous mener à Rennes. Elle sera chargée de quelques valises et embarquera la famille Gilmet, soit un adulte et quatre enfants mais aussi madame Sevinsky, son fil Alexis adolescent et un très jeune garçon. Madame Sevinsky est présente dans le Nord pour une simple visite de famille. Elle rejoint, en notre compagnie, son mari demeuré à Rennes. Au moment du grand départ, nous sommes en avril 1946, il sera nécessaire d’aller récupérer notre amie avec ses deux enfants, dans un coron où elle séjourne du coté de Lens. Ce ne sera pas un grand détour.
Nous roulons maintenant vers Rouen lieu de notre première étape pour la nuit. Nous occupons, dans un hôtel bon marché, une seule chambre pour nous tous, laquelle est tout à fait rudimentaire et ressemble plus à un grenier. Elle nous offre toutefois le confort d’un lavabo qui nous permet d’effectuer le matin une toilette de chat. Après un rapide petit déjeuner pique-nique, nous reprenons la route en direction de Caen.
C’est après Caen que nous découvrons des épaves de chars, canons et engins de guerre lourds alliés et allemands. Ils jalonneront notre itinéraire jusqu’à Avranches. Nous avons décidé de les compter mais nous cessons vite, c’est une gageure, tant ils sont nombreux. Ils ont été poussés vers les fossés ou les talus pour permettre un libre passage sur la route. Les épaves des véhicules légers sont regroupées dans des champs comme sur d’immenses parkings. Les regroupements de véhicules entreposés non loin de la route principale se succèdent nombreux, tout au long de notre traversée du Bocage normand. Pour tuer le temps, nous les enfants, inventons un nouveau jeu. Les règles sont simples, nous décidons que les chars marqués d’une croix et bariolés de peinture, qu’on nomme camouflage, ceux des allemands bien sûr, seraient les méchants. Les autres peints d’une belle couleur kaki et marqués d’une belle étoile blanche seraient les gentils. Nous sommes satisfaits de constater que, globalement, les méchants, canons bas et chenilles en déroute, sont les plus nombreux. On pourra deviner, dans notre jeu, un parti pris bien légitime compte tenu de l’époque.
Nous franchissons le pont de Pontaubault, moins de deux ans après le passage de la 8th Inf Div du général Patton, celle qui délivra Rennes.
A notre arrivée à Rennes nous passons notre première nuit dans l’appartement de la famille Sevinsky rue André Desille, une rue perpendiculaire à l’école de filles de Villeneuve, quartier du sacré cœur.C’est un immeuble moderne, blanc à plusieurs étages. J’ai imaginé, durant un court instant, que nous allions y habiter mais non, je me trompais. Dommage l’endroit me plaisait.
Jusqu’à cet instant précis tout va bien car, mis à part mon père, personne de notre famille ne sait encore où nous allons nous fixer. Le lendemain nous avons la réponse. C’est au camp Victor Rault que nous établirons nos pénates.
En cette période d’après guerre il y a grande pénurie de logements. Le choix du camp Victor Rault tient compte principalement d’une disponibilité de logement mais aussi de sa proximité avec le lieu de travail de mon père, Centre des transmissions, caserne Margueritte, rue du Garigliano. Il a probablement fallu qu’il obtienne un passe droit pour être aussi rapidement servi. Quantité de familles sont en attente de relogement et chacune espère être la prochaine bénéficiaire d’un espace pour vivre.
Le camp Victor Rault a été construit en 1940 (GLAD), pour accueillir des réfugiés qui ont fui leur pays devant la guerre civile espagnole.
Immédiatement après la fin de la seconde guerre mondiale, l’intégration progressive à la vie française de cette population d’immigrants permet à quelques uns d’entre eux de quitter le camp à la faveur d’un emploi obtenu loin de Rennes. Ils libèrent ainsi des logements au bénéfice de réfugiés français. Ce fut le cas pour la famille de Jojo.
Ce plan est un simple croquis perfectible, exécuté de mémoire. Un appel est lancé pour le compléter !
Comme un maître de maison, mon père nous fait visiter notre nouveau logement, les dépendances, les commodités. Ses commentaires optimistes, fleuris, apaisants, qui accompagnent ses explications de notre tour du propriétaire, sont en complet décalage avec ce qu’il nous présente, en dehors de la réalité. Le moral de tous les enfants est alors dans leurs chaussettes, qui n’étaient d’ailleurs pas sans trous. Le désappointement est total, surtout pour ma sœur aînée que nous surnommons la Duchesse.
L’espace qui nous est destiné, est beaucoup plus spacieux que celui que nous occupions à Vezin Le Coquet, c’est un point positif. Il se situe dans la baraque n°5. Notre adresse officielle devient alors : Gilmet, camp Victor Rault, baraque 5. Quand, plus tard, il est nécessaire de décliner notre adresse à l’autorité, à l’école ou ailleurs, les mots Camp et Baraque deviennent pour moi dévalorisants et presque déshonorants.
Dans le camp nous comptons environ une quinzaine de baraques habitées. Une partie de celles qui existaient auparavant est occupée par le centre d’apprentissage voisin. Quelques unes, comme la nôtre, sont construites en parpaings, beaucoup sont en bois. Elles sont toutes très longues et larges, elles semblent être de dimensions identiques et recouvertes de tôles ondulées. Il n’existe aucune isolation. Les plafonds sont faits d’épaisses plaques constituées d’un mélange de plâtre, de crin ou de jute, elles reposent sur une structure métallique. Un large couloir partage chaque baraque en deux parties dans le sens de la longueur, permettant ainsi la distribution des pièces occupées par des familles. Une à deux pièces sont attribuées en fonction de l’importance de la maisonnée. Le couloir demeure toujours dans l’obscurité, il n’est jamais éclairé même la nuit. Il faut prendre garde et se munir d’une lampe de poche pour ne pas se cogner aux piliers qui soutiennent la structure et qui sont alignés au centre du passage. (1)
En tête de la baraque n° 5, à gauche en entrant se trouve une salle d’eau commune assez vaste. L’agencement est rudimentaire, très spartiate avec lavabos et robinets en ligne comme à la caserne ou à la colonie de vacances. Il s’y répand une odeur particulière de renfermé dans une atmosphère lourde d’humidité froide. La rouille est partout, sur toutes les tuyauteries. J’aperçois une curieuse pancarte sur fond rouge accrochée à une porte, je lis mais sur le moment je ne comprends pas la signification « Prohibida la entrada » Mes premiers mots espagnols que je découvre. Bien d’autres suivront, malheureusement pas toujours ceux que l’on échange a l'occasion d’honnêtes conversations. Pourquoi cette pancarte se trouve-t’elle là ? L’avenir ne me le révélera pas !
Nous poursuivons avec notre père cette première visite des lieux. Son discours reste le même, rassurant et optimiste comme s’il voulait se persuader, lui-même, devant la dure réalité. Il nous emmène vers les lieux d’aisance situés à une cinquantaine de mètres de notre logement.
Les lieux d’aisance sont un alignement de deux rangées de wc à la turc, construits dos à dos. Il en existe en tout, environ, une trentaine (peut-être plus). La plupart de ces wc sont verrouillés et accaparés par les anciens qui sont ainsi certains de maintenir pour eux un lieu propre. Pour les autres, les nouveaux venus, il faudra qu’ils se contentent de quatre ou cinq wc restés libres et qu’ils s’assurent d’avoir le coeur bien accroché pour les utiliser. Ces lieux sont repoussants de saleté et d’odeurs nauséabondes. Le papier hygiénique, s’il en existe déjà, est de l’argent jeté par les fenêtres, le carré de papier journal est beaucoup plus en usage et demeure à la portée de toutes les bourses. Les enfants oubliant souvent de s’en munir, décorent volontiers les murs de petites virgules couleur chocolat. La fréquentation des lieux, par les enfants, est si fréquente que l’espace manque souvent pour y laisser sa trace personnelle. Les adultes se contentent d’y vider leurs pots de chambre sans état d’âme et sans entretenir les lieux souillés.
Dernière étape de notre visite guidée, les lavoirs. Cet espace couvert est implanté non loin du local des ordures ménagères qui lui est construit en bordure de la rue Victor Rault.
La poubelle centrale du camp est un petit local en dur, il borde la rue Victor Rault. Il a été construit pour recueillir l’ensemble des détritus du camp. L’accès de la partie arrière du local est surélevé pour permettre aux usagers un déversement facile des ordures ménagères à travers des orifices placés à cet effet. La façade de cette construction se situe au niveau de la rue, ses portes sont métalliques et coulissantes. Les employés municipaux peuvent ainsi charger dans un camion, au moyen de pelles, les dépôts nauséabonds qui ont macéré plusieurs jours avant d’être enlevés. On imagine combien le manque d’hygiène est total et les conditions de travail d’un autre âge. L’organisation de l’évacuation des ordures ménagères a toutefois été modifiée par la suite. Après notre quatrième année de séjour ce local, nettoyé, n’est plus utilisé comme dépôt d’ordures, il sert de terrain de jeux pour les enfants.
Les lavoirs, est un espace couvert, suffisamment vaste pour accueillir un grand nombre de commères. C’est là que les femmes d’une partie du camp refont le monde. Ainsi Anna Maria, la pasionaria locale, qui doit être âgée de 16 ou 18 ans, raconte l'épopées républicaine de la guerre d’Espagne. Elle clame haut et fort « Donnez moi un char et je vais aller tuer Franco ». Pendant qu’elle cause son travail n’avance guère. On entend alors au loin, la voix forte de sa maman, amplifiée comme un porte-voix par le couloir de la baraque n°5 « Anna Maria Ven aqui » Combien de fois n’avons-nous pas entendu cet appel à toute heure du jour. Il est resté comme une musique et un symbole.
Type de baraque du camp Victor Rault
(1) Description à une date précise 1946. Au début des années 50 des améliorations ont été apportées qui supprimaient le couloir central et ouvraient une porte vers l’extérieur pour chacun des logements. Notre famille avait déjà quitté ces lieux.
Ce texte est la suite du n° 21 des chroniques venizoises
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Le 15 juin 2013
Albert Gilmet