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Le 17 décembre 1904, à la suite d'un différend entre l'abbé Hyacinthe Chiloup, 50 ans, desservant de la commune de Thorigné, et son ancienne domestique, Jeanne-Marie Françoise Erhel, celle-ci pénètre dans l'église où officiait l'abbé, attend la fin de l'office puis pénètre dans la sacristie et réclame de l'argent au recteur qui l'éconduit et retourne dans l'église pour échapper à sa poursuite. Quatre | [[Catégorie:Jugés, condamnés]] | ||
[[Fichier:Abb%C3%A9_Chiloup.png|300px|right|thumb|Ouest-Eclair du 16 mai 1905. La relation de l'affaire couvre plus d'une | === Un abbé poursuivi d'assiduités et... de coups de revolver === | ||
Le 17 décembre 1904, à la suite d'un différend entre l'abbé Hyacinthe Chiloup, 50 ans, desservant de la commune de Thorigné, et son ancienne domestique, Jeanne-Marie Françoise Erhel, celle-ci pénètre dans l'église où officiait l'abbé, attend la fin de l'office puis pénètre dans la sacristie et réclame de l'argent au recteur qui l'éconduit et qui retourne dans l'église pour échapper à sa poursuite. Quatre coups de feu éclatèrent alors qu'il retournait se réfugier dans la sacristie : une balle atteignit la porte alors qu'il la refermait et une autre son camail et se logea dans le dossier d'une chaise. Désarmée par le vicaire et l'instituteur, elle leur remit son revolver et une boîte de cartouches avant de se rendre à Rennes où elle se constitua prisonnière. | |||
[[Fichier:Abb%C3%A9_Chiloup.png|300px|right|thumb|Ouest-Eclair du 16 mai 1905. La relation de l'affaire couvre plus d'une des six pages du journal.]] | |||
===Aux Assises=== | ===Aux Assises=== | ||
Voici Jeanne Erhel aux Assises le 15 mai 1905, accusée de "tentative d'homicide volontaire avec préméditation | Voici Jeanne Erhel aux Assises le 15 mai 1905, accusée de "tentative d'homicide volontaire avec préméditation et guet-apens" (Elle avait montré son revolver à des témoins et leur avait fait part de ses intentions.). De taille moyenne, brune, avec un profil anguleux aux traits accusés, les pommettes saillantes et assez colorées, une physionomie intelligente, telle est décrite Jeanne, 41 ans. Elle n'exprimera aucun regret. Interrogée sur le tir de la balle ayant touché le camail, Jeanne répond : "Dame, fallait bien qu'elle aille se loger quelque part ! Elle n'allait tout de même pas rester en l'air !", une de ses réparties qui réjouissent l'assistance. | ||
En octobre 1898, l'abbé Chiloup l'avait engagée à 15 F. par mois et avait même inscrit une somme assez considérable sur son livret de Caisse d'épargne mais, s'étant aperçu qu'elle buvait, il avait tout mis sous clé, sauf le cidre. L'abbé constata la disparition de petites sommes qu'elle aurait employées à l'achat d'eau de vie. Lors de crises, elle menace de tuer une femme de chambre et le vieux jardinier de 62 ans. Congédiée par l'abbé qui lui a déposé 800 F. à la caisse d'épargne, elle veut rester car elle dit qu'elle l'aime. Interrogé, l'abbé Chiloup dit l'avoir trouvée un peu fantasque et, en 1902, se rend compte qu'elle boit. Rationnée à une bouteille de cidre quotidienne, elle prit une hache pour fracturer la porte du cellier et le curé eut du mal à la maîtriser et à l'enfermer dans sa chambre. Il l'a mis à la porte mais la reprit. À l'époque de la Fête-Dieu, il la renvoie définitivement avec un certificat indiquant qu'elle a passé cinq ans et demi à son service et qu'il n'a rien à lui reprocher au point de vue travail et moralité. | |||
===Une condamnation incomprise=== | ===Une condamnation incomprise=== | ||
Jeanne le poursuivra à maintes reprises pour qu'il la reprenne à son service. Elle accusera le recteur de relations coupables qu'ils auraient eues en 1900 à la Peinière, en un lieu que l'abbé affirme très public. L'abbé déchirera | Jeanne le poursuivra à maintes reprises pour qu'il la reprenne à son service. Elle accusera le recteur de relations coupables qu'ils auraient eues en 1900 à la Peinière, en un lieu que l'abbé, outré, affirme très public. L'abbé déchirera devant elle une clause testamentaire de 100 F. rédigée à son profit par année de service qu'elle aurait passée. L'abbé, questionné par le président, déclare qu'il ne savait pas que Jeanne n'avait que 37 ans quand il l'engagea, âge inférieur à l'âge canonique de 40 ans. Divers témoins attestent du comportement plus ou moins bizarre de l'accusée qui aurait fait part de ses intentions à l'encontre de l'abbé. Le docteur Sizaret, directeur de l'[[asile de Saint-Méen]], déclare que Jeanne, affectée de crises d'eczéma, peut souffrir d'une irritabilité du système nerveux et est une dégénérée intelligente, mais manquant de jugement. | ||
L'avocat général demande au jury de condamner sévèrement Jeanne, mais Me Dominguez plaide l'irresponsabilité de sa cliente et le fait qu'il n'y a pas eu mort d'homme. Au bout de vingt minutes, le jury rend son verdict : deux ans de prison, peine maximale et dix ans d'interdiction de séjour ! Verdict imprimé en caractères gras dans le journal qui annonce : "La Cour applique le maximum ! Une manifestation". Le public est scandalisé, l'énoncé se termine dans le désordre ; on siffle dans la salle, on crie "Justice !" et même quelques "À bas la Cour" et,faute de pouvoir conspuer les magistrats et le jury, une manifestation de rue de quelque 200 personnes se retournera contre l'abbé Chiloup, innocent bouc émissaire. | |||
La sévérité du verdict, observe-t-on dans le journal, était peut-être relative à la clémence de celui rendu le 12 mai, trois jours avant, acquittant l'étudiant Célestin Chéhenne qui, ivre d'absinthe, avait tué de deux coups de revolver Pierre Grenouilleau, avenue de la gare. |
Version actuelle datée du 31 juillet 2020 à 14:52
Un abbé poursuivi d'assiduités et... de coups de revolver
Le 17 décembre 1904, à la suite d'un différend entre l'abbé Hyacinthe Chiloup, 50 ans, desservant de la commune de Thorigné, et son ancienne domestique, Jeanne-Marie Françoise Erhel, celle-ci pénètre dans l'église où officiait l'abbé, attend la fin de l'office puis pénètre dans la sacristie et réclame de l'argent au recteur qui l'éconduit et qui retourne dans l'église pour échapper à sa poursuite. Quatre coups de feu éclatèrent alors qu'il retournait se réfugier dans la sacristie : une balle atteignit la porte alors qu'il la refermait et une autre son camail et se logea dans le dossier d'une chaise. Désarmée par le vicaire et l'instituteur, elle leur remit son revolver et une boîte de cartouches avant de se rendre à Rennes où elle se constitua prisonnière.
Aux Assises
Voici Jeanne Erhel aux Assises le 15 mai 1905, accusée de "tentative d'homicide volontaire avec préméditation et guet-apens" (Elle avait montré son revolver à des témoins et leur avait fait part de ses intentions.). De taille moyenne, brune, avec un profil anguleux aux traits accusés, les pommettes saillantes et assez colorées, une physionomie intelligente, telle est décrite Jeanne, 41 ans. Elle n'exprimera aucun regret. Interrogée sur le tir de la balle ayant touché le camail, Jeanne répond : "Dame, fallait bien qu'elle aille se loger quelque part ! Elle n'allait tout de même pas rester en l'air !", une de ses réparties qui réjouissent l'assistance.
En octobre 1898, l'abbé Chiloup l'avait engagée à 15 F. par mois et avait même inscrit une somme assez considérable sur son livret de Caisse d'épargne mais, s'étant aperçu qu'elle buvait, il avait tout mis sous clé, sauf le cidre. L'abbé constata la disparition de petites sommes qu'elle aurait employées à l'achat d'eau de vie. Lors de crises, elle menace de tuer une femme de chambre et le vieux jardinier de 62 ans. Congédiée par l'abbé qui lui a déposé 800 F. à la caisse d'épargne, elle veut rester car elle dit qu'elle l'aime. Interrogé, l'abbé Chiloup dit l'avoir trouvée un peu fantasque et, en 1902, se rend compte qu'elle boit. Rationnée à une bouteille de cidre quotidienne, elle prit une hache pour fracturer la porte du cellier et le curé eut du mal à la maîtriser et à l'enfermer dans sa chambre. Il l'a mis à la porte mais la reprit. À l'époque de la Fête-Dieu, il la renvoie définitivement avec un certificat indiquant qu'elle a passé cinq ans et demi à son service et qu'il n'a rien à lui reprocher au point de vue travail et moralité.
Une condamnation incomprise
Jeanne le poursuivra à maintes reprises pour qu'il la reprenne à son service. Elle accusera le recteur de relations coupables qu'ils auraient eues en 1900 à la Peinière, en un lieu que l'abbé, outré, affirme très public. L'abbé déchirera devant elle une clause testamentaire de 100 F. rédigée à son profit par année de service qu'elle aurait passée. L'abbé, questionné par le président, déclare qu'il ne savait pas que Jeanne n'avait que 37 ans quand il l'engagea, âge inférieur à l'âge canonique de 40 ans. Divers témoins attestent du comportement plus ou moins bizarre de l'accusée qui aurait fait part de ses intentions à l'encontre de l'abbé. Le docteur Sizaret, directeur de l'asile de Saint-Méen, déclare que Jeanne, affectée de crises d'eczéma, peut souffrir d'une irritabilité du système nerveux et est une dégénérée intelligente, mais manquant de jugement.
L'avocat général demande au jury de condamner sévèrement Jeanne, mais Me Dominguez plaide l'irresponsabilité de sa cliente et le fait qu'il n'y a pas eu mort d'homme. Au bout de vingt minutes, le jury rend son verdict : deux ans de prison, peine maximale et dix ans d'interdiction de séjour ! Verdict imprimé en caractères gras dans le journal qui annonce : "La Cour applique le maximum ! Une manifestation". Le public est scandalisé, l'énoncé se termine dans le désordre ; on siffle dans la salle, on crie "Justice !" et même quelques "À bas la Cour" et,faute de pouvoir conspuer les magistrats et le jury, une manifestation de rue de quelque 200 personnes se retournera contre l'abbé Chiloup, innocent bouc émissaire.
La sévérité du verdict, observe-t-on dans le journal, était peut-être relative à la clémence de celui rendu le 12 mai, trois jours avant, acquittant l'étudiant Célestin Chéhenne qui, ivre d'absinthe, avait tué de deux coups de revolver Pierre Grenouilleau, avenue de la gare.