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« Chronique vezinoise sous l'occupation n°13 » : différence entre les versions

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Version du 24 avril 2013 à 15:48


Souvenirs d’un enfant



Derniers potins avant le départ de l’occupant

Un avion, un bombardier anglais, est touché par la DCA. Il tourne au-dessus du village. L’équipage a sauté en parachute. Certains aviateurs ont été récupérés et faits prisonniers par les Allemands. Un side-car passe dans le bourg, il transporte à son bord un des aviateurs. Lorsque celui-ci croise des villageois curieux qui le regardent passer, l’Anglais leur adresse un petit signe d'amitié. Il semble blessé.

A une autre date guère plus datée que la précédente… les Allemands recherchent des parachutistes anglais (dans l'esprit des gens, les parachutistes ne peuvent être qu’Anglais.). Des Allemands procèdent à des inspections dans le bourg, ils questionnent les habitants. Ils entrent dans le café Touffet pour interroger les consommateurs présents ainsi que la propriétaire. Madame Touffet est une personne âgée qui ignore la signification du mot parachutiste. Croyant avoir à subir un contrôle pour combattre le marché noir, elle ouvre les deux battants de son armoire à étagères, pleine de linge bien rangé et déclare de bonne foi «  regardez sur ces étagères vous ne trouverez pas de parachutistes. » L'histoire ne précise pas la réaction des Allemands. Ont-ils songé un instant que cette brave dame se payait leur tête ? Non, personne ne le pense, ils auront bien observé madame Touffet, il y a des attitudes qui ne mentent pas.

Ma fenêtre qui donne sur la rue principale, laquelle est presque un passage obligé, offre souvent du spectacle. Chaque jeudi, s’il fait beau temps, jour de promenade, je vois passer, deux par deux, les petits devant, les grands derrière, tout un groupe de séminaristes. Ils sont vêtus d’une soutane noire, la tête couverte d'un chapeau à large bord idèmement noir, le missel à la main. Comme il s'agit pour la plus part de jeunes et très jeunes, il y a du chahut en tête des rangs, des rires et parfois des éclats de voix. Cet évènement est pour moi une énigme. Comment se fait-il qu'il y ait des curés si petits qui jouent comme des enfants. Je n'ai pas pensé questionner ma mère à ce sujet. Ma mère a pourtant réponse à tout. Par exemple quand je lui dis, entre les repas, « maman j’ai faim ! », elle me répond du tac au tac « Mange ta main et garde l'autre pour demain. »

Un autre spectacle vu de ma fenêtre, cette vieille femme, habillée de hardes, elle paraît malpropre. Elle se déplace avec une chaise sur laquelle elle pose un genou recouvert d’un chiffon. Elle avance en se servant de la chaise comme d’une béquille. Elle arrive du bas du bourg et remonte bien lentement toute la rue qui est bien longue. Le déplacement est laborieux. Où va-t-elle, d’où vient-elle. Encore un évènement inexpliqué.


Le passage, dans notre rue, de convois de véhicules allemands de toutes sortes est assez fréquent. Certains s'arrêtent pour la nuit dans le village et des officiers exigent parfois d’être logés chez l'habitant. Un blindé est stationné contre le mur de l’école. Je suis dans la cour, perché sur la dalle où trônait avant-guerre une statue. La statue a disparu. (Elle est à inscrire sur l’infiniment longue liste des vols perpétrés par l’occupant qui, pendant presque cinq ans, s’est exercé à un pillage systématique de notre pays.) J’aperçois la tête et le tronc d’un soldat qui émerge du blindé. Il est vêtu d’un uniforme noir, il me regarde et détourne la tête. Les soldats habillés de noir ou de bleu foncé me font vraiment peur. Ils ressemblent à des miliciens.


Sur le coin tronqué du mur, on aperçoit une margelle, support de la statue volée


Un soir et comme d’ailleurs tous les soirs, ma mère réinstalle les lits pour la nuit à venir. C’est un convoi de panzer, qui stationne dans le village, les soldats qui l’accompagnent étant de noir vêtus. Ce soir là, et comme d’ailleurs beaucoup de soirs, je ne suis pas très obéissant. Ma mère me rappelle à l’ordre et menace alors d’héberger un Allemand pour la nuit. Je deviens tout à coup très rapidement sage.

Devant le portail de l’école, c’est la fin de la journée, tout est calme, il me faut rentrer à la maison. Une voiture légère allemande est stationnée devant chez Letort. Ses propriétaires consomment au café de la maréchalerie. La porte du café s’ouvre brusquement, deux soldats en sortent. Ils sont coiffés de casquette et leur uniforme est de couleur vert de gris. Ils ont dégainé leur pistolet et se poursuivent à tour de rôle en criant comme des gamins. Ils se dirigent vers l’atelier des machines agricoles et commencent à tirer vers l’intérieur. Après chaque coup de pistolet tiré, ils s’exclament. Peut-être s’amusent-ils, me dis-je pour me rassurer, c’est encore une affaire à éclaircir ! Je rentre à la maison.


Les Allemands sont-ils partis ?… Pas sûr !… Les Américains ne sont pas encore arrivés, c’est certain!… Mais que font-ils ?

Le lendemain, dans l’après midi, après une bonne nuit passée dans un fossé du Chemin vert, les choses se précipitent . Une partie de la population du bourg est assemblée devant la mairie-école et de fait devant la maréchalerie. Dans la cour de l'école et dans la rue, les gens conversent.

Les Allemands sont-ils partis? « Croyez-vous qu'ils sont encore à Rennes ? » Un grand espoir mêlé d’un peu d’anxiété se lit sur tous les visages . Le boche est-il enfin parti ? L’impatience de savoir est à son comble. Monsieur Guérin, le directeur de l'école, dit alors « il faut téléphoner à la Croix Rouge » (lieu-dit à l'entrée de Rennes sur la route de Vezin à environ quatre kms).

Le père Letort prend le combiné du téléphone....Je suis à côté du téléphone, bien entendu ! Il tourne la manivelle. Allô, dit-il. Alors ! Ah oui… sont-ils partis?… Comment? ….Oui, ils sont partis ! crie t-il à tous. Joie soudaine, allégresse.

Sans perdre de temps, monsieur Guérin réunit les enfants présents, pourtant sensés être en grandes vacances, pour chanter haut et clair, une libre Marseillaise. J’étais resté près du téléphone, la bonne, Angèle, alors m’expédie vivement vers le groupe de l’autre côté de la rue.« Va chanter avec eux » me dit-elle. Adultes et enfants, tous ensemble, entonnent une vibrante Marseillaise, parait-il émouvante.

Persuadé que l’occupant a fui, c’est maintenant une course presque effrénée pour tous, mais surtout pour les jeunes, vers un lieu de stockage allemand resté paraît-il intact dans le bois de la Glestière. Quels trésors va t’on y découvrir ? Les petits courent parfois loin derrière les grands, les filles ne suivent pas...prudentes....affaire d'hommes!. Après reconnaissance des lieux, force est de constater qu'il n'y a rien d'important qui mérite d'être détruit par l’Allemand ou récupéré par le civil français. Jean Pinel repart avec un fût de 200 litres plein de quelque chose, il le roule à toute allure sur la route en le poussant vers le bourg. Soudain, moment de panique, il paraît que les Allemands reviennent ! Affolement général chez les grands. Personnellement je ne perçois pas le danger. Je continue tranquillement de contempler mon butin. Bien heureusement les Allemands ne sont pas revenus jusqu’à nous.

Dans le grand hangar du bois de la Glestière, sont entreposés, par piles, des sacs à dos militaires. La partie supérieure de chaque sac est recouverte d’une peau de vache. La poche principale centrale est vide, les petites disposées de part et d’autre du sac contiennent quelques trésors. De toutes façons, à mon âge, je ne suis pas en mesure d’estimer la valeur de quoi que ce soit. Ce sont des petits drapeaux triangulaires de couleur jaune sur lesquels est imprimée une tête de mort de couleur noire. On y trouve aussi des rouleaux de ruban d’un beau jaune orange reluisant. J’extrais aussi des tubes en bakélite de couleur marron, contenant des pastilles d’eau de javel. (chlore) Beurk!...ça sent mauvais. Pi-park n'est pas un camp du génie militaire pour rien.

Les rubans servent à localiser, sur le front, un chemin ouvert à travers un champ de mines et les fanions à indiquer les mines découvertes encore en place. Je suis vraiment déçu de mes trouvailles. J’imaginais découvrir un plus beau et grand trésor. J'emporte des rouleaux de ruban qui ne profiteront qu'aux filles. Le lendemain elles ont toutes des rubans jaunes dans les cheveux. Jeanine et Gaby Trincar ne sont pas en reste. Ah! les filles, elles en ont été si longtemps privées de jolis rubans.

Sur la route au moment de notre retour de la Gléstière après avoir récupéré ce qui pouvait être pris dans ce qui restait des stocks abandonnés par les Allemands, il y eut tout à coup un vent de panique, quelqu'un a crié « Les Allemands reviennent ! ». En effet deux, trois ou quatre Allemands sont revenus, ils arrivaient de Montigné (ça ! c'était des mauvais m’a dit Madeleine). Ils ont pris un otage, un jeune homme et décident de le fusiller devant le monument aux morts du cimetière en guise de « cadeau d’adieu ». Des témoins de l'événement, voisins ou passants, ont alors crié bien fort « les Américains !. ...les Américains arrivent !… ». Les Allemands ont alors rapidement pris la fuite en abandonnant leur otage vivant.

Par opposition aux Allemands mauvais, Madeleine me dit qu'il y en avait de gentils. Ceux du champ de DCA, de très jeunes soldats dont j’ai déjà évoqué la présence. Lorsque je me rends dans leur cantonnement, je mange sans crainte et sans hésitation les bonbons qu'ils me donnent. Oui ! Parce qu'il faut préciser, entre nous les enfants, nous nous passons la recommandation suivante « il ne faut surtout pas manger des bonbons que les Allemands donnent car ils sont empoisonnés et en plus, dedans il y a de la crotte de cheval ». J’avoue avoir assumé tous ces risques en ne respectant pas cette consigne.

Albert Pinel qui vient de nous quitter en cette année 2010, est le fils du boucher et frère de Jean, le bon ami de ma sœur aînée. C’est lui qui est chargé d’affûter les couteaux de la boucherie et ceux utilisés après abattage. Il habite au bas du bourg avant la grange à Fourché et le café Pécoil/Saunier. Il a l’habitude d’aiguiser ses couteaux sur une meule qui n’est pas motorisée, celle qui se trouve dans une grange de la ferme chez Anger, au Bas Vezin route de Montigné. Alors forcément quand il se rend à l’affûtage, il passe forcément devant notre fenêtre, et forcément je suis là quand je ne suis pas chez Letort ou à l'école. Peut-être n’affûte t-il que le jeudi ?! Il m’aperçoit et me dit alors « Bébert viens tourner la meule ». Ce n’est pas une demande, pas même une invitation, c’est un ordre. Je me crois donc obligé d’obéir. Il faut dire que je le crains un peu. Il est de l’équipe des grands qui commandent. Je l’accompagne donc jusqu’à la ferme Anger au Bas Vezin . Je connais parfaitement le détail de ce qui va se dérouler. Albert ne parle pas beaucoup. Sous un aspect très réservé, peut-être un peu froid, il a très bon cœur. Je tourne la meule, je tourne, je sais quand il faut cesser de tourner ou recommencer. Le travail terminé, Albert met la main dans sa poche, il sort une pièce trouée et me la tend. Je l’savais ! C’est toujours ainsi que ça se passe.! Je cours vite porter ma pièce à maman. Je suis sans doute un expert en tournage de meule pour affûtage de couteaux, enfin, c’est comme cela que je le ressens.

Parmi les personnes du bourg de notre connaissance, nombreux se nomment Albert. Il y a Albert Pinel, fils d'Albert Pinel qui m’a élevé au grade de filleul parce que je m'appelle Albert, mon père que madame Letort appelle toujours monsieur Albert. Parmi tous ces Albert et afin d’éviter toute confusion, surtout à la maison, on m’appelle partout Bébert.

C'est curieux, encore bien longtemps après la guerre, chez le populaire et à la campagne on s’exprime souvent en sou pour désigner la menue monnaie alors que le sou a disparu de la circulation depuis belle lurette. On dit "dix sous" pour une pièce de cinquante centimes, "vingt sous" pour une pièce d'un franc, "quarante sous" pour deux francs et "cent sous" pour une pièce de cinq francs. Le sou a la vie dure !

Février 2013

Albert Gilmet