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« Chronique vezinoise sous l'occupation n°02 » : différence entre les versions

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Version du 23 avril 2013 à 11:07


Souvenirs d’un enfant.

LA MARÉCHALERIE ET LE CAFÉ LETORT


Comme beaucoup de maisons du village, l'école est située en bordure de la rue principale, comme aussi celle où nous habitons. Immédiatement faisant face à l’école, de l’autre côté, se tient la maréchalerie. Il suffit de traverser la rue à la fin de l’école et hop voilà !… Je me retrouve dans ce qui était devenu un de mes territoires préférés, là où j’ai particulièrement mes marques. Le risque de me faire renverser par une automobile à cette époque est très limité, peut-être même quasiment nul. Nous sommes en guerre donc pas de carburant, pas de voitures automobiles civiles. Il faut noter néanmoins que j’ai réussi l’exploit de me faire renverser par une bicyclette à deux pas de chez moi. Un peu affolée madame Trincart la voisine, qui est sur le pas de sa porte et qui a tout vu, me relève, me prend dans ses bras, elle me ramène à ma mère en houspillant très fortement le cycliste. Madame Trincart a de la voix et se fait entendre. Le transfert se fait par la fenêtre qui donne sur la rue. Je suis immédiatement mis au lit et par voie de conséquence privé de la promenade de l’école du samedi après midi. Je me considère ainsi puni pour une faute que je n’ai pas commise. Je donne aussi de la voix jusqu’à m’endormir.

Cafe de la Marechalerie Vezin 1943.jpg

Sur la photo au premier plan : l'enfant aux souvenirs heureux. Taïaut est à l'arrière plan ( le téléphone est au repos, lui aussi) à droite, la rampe de fer pour attacher les chevaux.


Les chevaux sont essentiels pour les cultivateurs mais aussi pour les particuliers et tout ce qui concerne les transports. Nous nous en rendons probablement moins compte aujourd’hui.

Certaines personnes du village, gens aisés, disposent d’un petit attelage pour assurer leurs déplacements, comme par exemple chez Touffet. C’est un cabriolet, attelé à un cheval superbe. Jean Pinel, le petit fils, m’emmène quelque fois avec lui à l’occasion de courses qu’il doit effectuer. Jean Pinel, à l’époque était «  le bon ami platonique de ma grande sœur, mais chut !… », ce qui me valait probablement quelques privilèges.

Il faut veiller aux soins des chevaux, les entretenir soigneusement, les chausser, d’où l’activité importante qui se déroule dans ma maréchalerie. Il faut aussi réparer les machines agricoles, fabriquer, forger certaines pièces indispensables, inexistantes sur le marché. Les pièces détachées sont difficiles à trouver sinon impossibles. J’adore me rendre dans la forge. Les Letort en sont les propriétaires. Le père Pierre, le fils Pierrot et plusieurs employés s’y activent. Le père Letort est manchot, il est appareillé comme le Capitaine Crochet. Cela ne l’empêche pas de battre le fer comme les autres. Le fils, Pierrot, c’est un peu mon idole, c’est lui qui porte la Bannière les jours de procession. A cette époque, il a entre dix sept et vingt ans.

J’aime sentir toutes les odeurs produites par la forge : la corne du sabot d’un cheval qui grille au moment de l’ajustement du fer, l'odeur que dégage le fer brûlé que le bras martèle sur l’enclume, celle de la graisse des machines agricoles en attente de réparation. L'entrée de la forge est libre pour moi, je ne me prive pas de regarder, d’observer, je regarde attentivement les opérations successives de fabrication d'un superbe fer à cheval à partir d'une simple barre de fer. La réalisation d’une pièce de charrue. Combien de coups de marteau faut-il donner pour effectuer cette transformation ? Le fer retourne souvent au feu dans le charbon incandescent qu'il est constamment nécessaire d'activer. Quand on me le permet, je ne laisse à personne ma place pour tirer la chaîne du grand soufflet dont l'activation de l'air redonne une belle couleur rouge orange au charbon. Le forgeron n'ignore pas le plaisir et la fierté que j’ai en l’actionnant. Je pense qu'il prend plaisir à me faire plaisir. A proximité de chaque enclume, se trouve un fût rempli d'eau dans lequel le forgeron trempe le fer qu'il travaille pour le refroidir, un bouillonnement se fait entendre, la vapeur jaillit, elle ajoute à l'odeur particulière de la forge, cette odeur que j'aime tant. Contre les murs sont disposés quantité d'outils, souvent fabriqués pour des opérations particulières, spécifiques. Je remarque surtout les pinces, peut-être parce qu’elles sont les plus nombreuses. C'est une grande maréchalerie, constamment en activité, les chocs des marteaux sur les enclumes sont comme une musique et donnent un air de fête, de gaîté au village. Les dimanches sont tristes, la forge est muette, ses portes sont pourtant grandes ouvertes, il ne m’est pas interdit d'y entrer. La maréchalerie fait aussi débit de boissons, c’est madame Letort et la bonne qui font fonctionner le commerce.

L'ensemble des bâtiments se compose d'une grande maison de construction moderne pour l’époque, avec étage, bâtie en schiste rouge. Aujourd’hui c’est une pharmacie. Les impostes des fenêtres du rez-de-chaussée sont ornées de briques rouges ainsi que les fenêtres simples de l’étage. L'étage est réservé aux appartements privés. La salle du café, la cuisine, occupent entièrement le rez-de-chaussée. On y sert du cidre à la bolée et au litre. Les fûts sont à la cave, on tire le cidre à partir du comptoir. Pour les boissons des enfants ou des dames, on propose des sodas. Je les appelle les sodas verts, jaunes et rouges, je ne connais pas ou ne retiens pas les dénominations exactes, Menthe, Citron ou Grenadine. Les bouteilles sont en verre blanc épais, on distingue bien la couleur du produit contenu. Elles sont toutes jolies. Le choix est souvent difficile et les occasions rares, surtout entre la rouge et la verte, la jaune est trop fade à mon goût. Pour pouvoir verser le liquide dans le verre, il faut appuyer sur une bille bloquée par la pression dans le goulot. Je laisse cette opération à un plus costaud que moi ou à un adulte, la chose est trop difficile, je n’en ai pas la force. A l’ouverture, quand la bille est enfin dégagée, j’adore entendre le bruit du gaz qui s'échappe brusquement, pschitt !!… et les bulles qui se forment. C'était un luxe pour un enfant appartenant à une infortunée famille.


Le café Letort est le plus important et le plus fréquenté de tous les cafés du village qui en compte, environ six ou sept, c’est aussi celui que je préfère, bien entendu !

Le village n’est pas grand, par contre les stations pour se désaltérer sont nombreuses, comme je l'ai déjà souligné. Elles sont aussi des lieux conviviaux de rencontre où les discussions tournent souvent sur « comment peut-on se procurer ceci où cela, » car tout manque.

Chez Letort, il y a une cabine téléphonique. La cabine téléphonique du village. Le numéro UN. On téléphone, en même temps, on boit un coup d'cid. Le téléphone est là, surtout pour les urgences, très peu de particuliers en disposent. Quand sa sonnerie se fait entendre suite à un appel, nul dans les parages ne peut l'ignorer, car Taïaut mon vieux copain, le bon chien du patron, se met à hurler tout durant que tinte la sonnerie. On se le raconte encore actuellement chez les anciens. Le patron, Monsieur Letort, le père Letort, comme on a l’habitude de l’appeler chez nous, a le verbe haut mais combien il est brave, les services qu'il rend ne se comptent plus. Il a perdu une main et travaille avec un crochet. Son épouse le dépasse encore en gentillesse et en amabilité. Le fils, Pierrot, travaille aussi à la forge. Pierrot, mon idole, ma référence me surnomme « le p’tit Russe » à cause de mes cheveux très blonds et mes chaussures blanches des dimanches…blanches! en début de journée... parce que le soir... c’est une autre affaire.

La maréchalerie est pour moi un lieu de spectacles et d’attractions mon deuxième chez moi. Il s’y passe toujours un évènement intéressant. Le ferrage des roues des charrettes par exemple. Cette opération mobilise plus d’une demi douzaine de bonshommes. Elle s’effectue en compagnie du menuisier-charron monsieur Galet. Il y a aussi la castration des chevaux de trait. Des spectacles gratuits, vivants, intéressants que les enfants ne manquent pas de regarder quand ils ne sont pas à l’école. Tiens ! Comment se fait-il que je me sois trouvé si souvent spectateur ? peut-être y avait-il plus d’un jeudi par semaine. Il est vrai qu'en ce temps là, nous revendiquions, en vain, la semaine des quatre jeudis !

Les roues des chartes, charrettes ou tombereaux sont fabriquées sur place à Vezin-le-Coquet. Le charron-menuisier intervient sur tout ce qui est bois : moyeux, rayons et jantes. Le forgeron fabrique les cerclages et les fixations. L'opération d'assemblage se passe en haut du bourg, sur une aire aménagée à cet effet devant l’atelier de la menuiserie Galet. Chez monsieur Galet il y a deux fils Pierre et Georges. La roue entièrement de bois est prête quand les forgerons se présentent. Elle est placée bien à plat. L'opération de cerclage est une affaire délicate. Le cercle en fer est chauffé sur un aménagement spécial, circulaire. Il faut bien sûr que le fer se dilate pour permettre l'ajustement autour de la roue. Quand il est jugé suffisamment à point quatre intervenants munis chacun d'une pince adaptée saisissent le cerclage et l'emboîte autour de la roue. Il faut faire très vite, car si cette opération traîne, le bois risque de brûler. Des flammes apparaissent d’ailleurs par instant. Des hommes, avec des arrosoirs surveillent et attendent le signal pour verser de l'eau sur le ferrage, pas trop tôt, pas trop tard ! Celui-ci se rétracte en refroidissant, compresse ensemble des assemblages. Encore quelques coups de marteau pour fignoler le travail, ne pas oublier de bien visser les fixations sur la jante. Voilà ! une belle roue est née. C’est un beau spectacle, nous sommes une flopée d'enfants à nous en réjouir, y compris Alphonse. Après cette rude journée, plus d'une bolée d'cid est bue au café de la maréchalerie.

En Ille-et-Vilaine, à cette époque, c’est le cheval qui est utilisé pour le labour ou le charroi, à l'inverse d'autres régions ou les bœufs et même les vaches le remplacent. Périodiquement des chevaux de trait encore entiers, sont amenés par leur propriétaire à la maréchalerie où ils seront castrés. Le spectacle est public. Les chevaux sont alignés devant le café Letort, attachés à une barre métallique, ils attendent d’être opérés. Les uns après les autres, ils sont immobilisés sur un travail ou trémail et le vétérinaire opère. Le vétérinaire est le seul à être revêtu d’une blouse, c’est l’homme de l’art. Les parties de chair qui sont détachées du cheval sont laissées sur place. Ainsi en sortant de l'école j’aperçois ces choses presque rondes, il est tentant de shooter dedans. C’est mou, c’est flasque, ça ne vaut pas un ballon et ça salit les chaussures !. Au fait ! comment c’est fait un ballon? Je ne me souviens pas en avoir vu un, sauf celui de la première équipe de foot de Vezin en 1943. J’abandonne le shoot, les chaussures sont tachées, gare à la réprimande une fois de retour à la maison. Les restes filandreux disparaîtront les jours suivants, peut-être ramassés et enterrés ? Peut-être mangés par les chiens, rien ne se perd en temps de guerre. Une fois le travail accompli et les chevaux allégés, les bonshommes ont soif, il faut se rafraîchir le gosier, mais où donc aller, eh bien ! au café Letort, il n’y a qu’un seul pas à faire et deux marches à monter, pour boire un coup d'cid ou p’tet ben deux et aussi, un coup d'calva, ben dame oui !.

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Eh bien oui! Pour moi LA MARECHALERIE ET LE CAFE LETORT à Vezin le Coquet étaient le centre du monde....il n'y avait pas de gare à Vezin, c'est pourquoi!!!

Albert Gilmet

Janvier 2013