817
modifications
Aucun résumé des modifications |
|||
Ligne 1 : | Ligne 1 : | ||
'''Époque 1946 - 1950''' | '''Époque 1946 - 1950''' | ||
'''''L'opérette " Monsieur beaucaire au théâtre de Rennes''''' | |||
J’ai appris que le professeur de musique qui enseigne dans notre école à Victor Rault est violoniste de son état, au théâtre de Rennes. J’ai pu l’apercevoir dans la fosse d’orchestre, quand nous sommes allés voir en famille, une opérette d’André Messager ''"Monsieur Beaucaire"''. | J’ai appris que le professeur de musique qui enseigne dans notre école à Victor Rault est violoniste de son état, au théâtre de Rennes. J’ai pu l’apercevoir dans la fosse d’orchestre, quand nous sommes allés voir en famille, une opérette d’André Messager ''"Monsieur Beaucaire"''. | ||
Ligne 13 : | Ligne 14 : | ||
[[Fichier:Poste radio a piles.JPG|right|250px|thumb|Le poste radio fonctionnant sur batterie (pile militaire)]] | [[Fichier:Poste radio a piles.JPG|right|250px|thumb|Le poste radio fonctionnant sur batterie (pile militaire)]] | ||
''''' Pique-nique près d'un Bunker à St Jacques de la Lande ''''' | |||
Pour nous évader le plus souvent possible de notre ghetto, le dimanche parfois, quand le soleil nous fait des promesses, nous allons pique-niquer en famille. Mon père a fabriqué un poste radio qui fonctionne avec une pile de récepteur militaire. Un poste radio ''qui fonctionne partout sans électricité du secteur'', c’est très pratique et ce n’est pas habituel. Bien sûr, nous nous faisons remarquer. Il est nécessaire pour moi de le faire entendre, de le montrer ostensiblement, pour être distingué des autres. J’aime bien, moi, quand on nous remarque, c’est un signe extérieur de richesse et c’est ce qui nous manque en particulier. | Pour nous évader le plus souvent possible de notre ghetto, le dimanche parfois, quand le soleil nous fait des promesses, nous allons pique-niquer en famille. Mon père a fabriqué un poste radio qui fonctionne avec une pile de récepteur militaire. Un poste radio ''qui fonctionne partout sans électricité du secteur'', c’est très pratique et ce n’est pas habituel. Bien sûr, nous nous faisons remarquer. Il est nécessaire pour moi de le faire entendre, de le montrer ostensiblement, pour être distingué des autres. J’aime bien, moi, quand on nous remarque, c’est un signe extérieur de richesse et c’est ce qui nous manque en particulier. | ||
Ligne 19 : | Ligne 21 : | ||
Aujourd’hui, un dimanche de 1947, le lieu choisi pour la sortie est [[Saint-Jacques-de-la-Lande]]. Arrivés sur place, nous nous installons près d’un Bunker bien propre et presque neuf, précaution prise en cas de survenance d’une pluie soudaine. Les maisons du village sont encore toutes marquées d’un numéro, inscrit en très gros caractères, héritage de la récente occupation allemande. Le poste radio diffuse de la musique qui attire l’attention du gardien des lieux. Celui-ci s’approche de nous et rappelle que l’endroit où nous nous trouvons est interdit au public par suite du danger que représentent des engins explosifs disséminés un peu partout. Il nous demande de déguerpir. Mon père parlemente en précisant que nous resterons là où nous sommes, sans aller courir ailleurs et sans chercher à manipuler quelqu’objet abandonné. L’affaire est conclue, le gardien fait confiance, il ne veut pas dramatiser la situation, il s’en retourne nous laissant profiter de ce bel après midi ensoleillé jusqu'à cet instant. La radio l’aurait-elle influencé. La possession d’un tel appareil ne peut appartenir qu’à des gens sérieux ! | Aujourd’hui, un dimanche de 1947, le lieu choisi pour la sortie est [[Saint-Jacques-de-la-Lande]]. Arrivés sur place, nous nous installons près d’un Bunker bien propre et presque neuf, précaution prise en cas de survenance d’une pluie soudaine. Les maisons du village sont encore toutes marquées d’un numéro, inscrit en très gros caractères, héritage de la récente occupation allemande. Le poste radio diffuse de la musique qui attire l’attention du gardien des lieux. Celui-ci s’approche de nous et rappelle que l’endroit où nous nous trouvons est interdit au public par suite du danger que représentent des engins explosifs disséminés un peu partout. Il nous demande de déguerpir. Mon père parlemente en précisant que nous resterons là où nous sommes, sans aller courir ailleurs et sans chercher à manipuler quelqu’objet abandonné. L’affaire est conclue, le gardien fait confiance, il ne veut pas dramatiser la situation, il s’en retourne nous laissant profiter de ce bel après midi ensoleillé jusqu'à cet instant. La radio l’aurait-elle influencé. La possession d’un tel appareil ne peut appartenir qu’à des gens sérieux ! | ||
'''''Promenade en camion à Saint Servan''''' | |||
Mon père a fait connaissance d’amis qui tiennent un café [[rue Lobineau]] à Rennes. Un dimanche, avec Adrien et Yvonne son épouse mais aussi avec toute une équipe d’adultes et d’enfants, il est décidé d’aller se promener au bord de la mer. Nous prenons place, dans la caisse d’un camion civil bâché et nous nous dirigeons en direction de Saint Malo. Les grandes personnes ont chacune pris place sur une chaise, les enfants sont bien assis sur le fond de la caisse les bras appuyés sur le rebord. Nous roulons jusqu’en bordure de mer et nous pique-niquons sur une plage. Nous ne sommes pas équipés pour le bain, tant pis, je vais tout de même me mettre à l’eau. Sans prendre la précaution d’enlever ma culotte courte, confectionnée avec le tissu trouvé à Croix derrière un portail de l’usine Holden, je me trempe pour mon tout premier bain de mer. C’est quand même très salé, l’eau de mer ! | Mon père a fait connaissance d’amis qui tiennent un café [[rue Lobineau]] à Rennes. Un dimanche, avec Adrien et Yvonne son épouse mais aussi avec toute une équipe d’adultes et d’enfants, il est décidé d’aller se promener au bord de la mer. Nous prenons place, dans la caisse d’un camion civil bâché et nous nous dirigeons en direction de Saint Malo. Les grandes personnes ont chacune pris place sur une chaise, les enfants sont bien assis sur le fond de la caisse les bras appuyés sur le rebord. Nous roulons jusqu’en bordure de mer et nous pique-niquons sur une plage. Nous ne sommes pas équipés pour le bain, tant pis, je vais tout de même me mettre à l’eau. Sans prendre la précaution d’enlever ma culotte courte, confectionnée avec le tissu trouvé à Croix derrière un portail de l’usine Holden, je me trempe pour mon tout premier bain de mer. C’est quand même très salé, l’eau de mer ! | ||
Ligne 24 : | Ligne 27 : | ||
Le retour en camion est joyeux et les chants nombreux, celui de ''« Jeanneton prend sa faucille, la riretteu la rirette éteu…. »'' est interprété jusqu’au dernier couplet qui évoque les hommes, les femmes et les cochons. Je ne comprends pas le sens de toutes les paroles. Je ne saisis pas le lien qui relie ces trois personnages. De toutes façons cela m’est égal car j’ai le derrière trempé, avec du sable qui colle et qui grattouille, j’ai froid, je ne suis pas'' ben aise.'' Malgré tout ce fut une belle journée ! | Le retour en camion est joyeux et les chants nombreux, celui de ''« Jeanneton prend sa faucille, la riretteu la rirette éteu…. »'' est interprété jusqu’au dernier couplet qui évoque les hommes, les femmes et les cochons. Je ne comprends pas le sens de toutes les paroles. Je ne saisis pas le lien qui relie ces trois personnages. De toutes façons cela m’est égal car j’ai le derrière trempé, avec du sable qui colle et qui grattouille, j’ai froid, je ne suis pas'' ben aise.'' Malgré tout ce fut une belle journée ! | ||
'''''Le décès de Guy Busnel''''' | |||
Devant notre baraque la n°5, il y a la n°3, où habite la famille Busnel avec trois garçons. L’aîné, un bel adolescent de 16 ans, à l’avenir prometteur, consacre une partie de ses loisirs au maquettisme. Il partage cette activité avec un camarade, étudiant comme lui. Ils s’appliquent à faire voler des avions miniatures fabriqués avec du balsa et propulsés à l’aide d’un élastique. Ils s’exercent entre les baraques du camp, mais l’espace de cet endroit est insuffisant. Il leur en faut beaucoup plus pour faire évoluer leurs engins dans les airs. Ils choisissent le terrain d’aviation de Saint-Jacques-de-la-Lande. Au cours d’un des vols d’essai, ils sont imprudents, ils manipulent un engin de guerre abandonné qui, en explosant, les blesse grièvement tous les deux. Guy décède à l’hôpital de l’hôtel Dieu de Rennes le 25 octobre 1947. Son cercueil demeure chez lui, quelques jours, dans une pièce de la baraque 3 dont un drap noir de deuil recouvre la façade. En haut, au centre du drap noir, un écusson porte les initiales GB. Je suis allé lui rendre une dernière visite. Une brave dame, dévouée, connue en bien dans le camp, le veille. Elle me dit très doucement de m’approcher. Elle m’invite à baiser le front du défunt. J’hésite, mais la brave dame insiste très gentiment ''« Tu dois le faire pour lui dire adieu ».'' La tête de Guy est toute entourée de bandelettes blanches, je me penche, il n’est pas aisé de trouver un endroit non recouvert pour y déposer mon baiser. | Devant notre baraque la n°5, il y a la n°3, où habite la famille Busnel avec trois garçons. L’aîné, un bel adolescent de 16 ans, à l’avenir prometteur, consacre une partie de ses loisirs au maquettisme. Il partage cette activité avec un camarade, étudiant comme lui. Ils s’appliquent à faire voler des avions miniatures fabriqués avec du balsa et propulsés à l’aide d’un élastique. Ils s’exercent entre les baraques du camp, mais l’espace de cet endroit est insuffisant. Il leur en faut beaucoup plus pour faire évoluer leurs engins dans les airs. Ils choisissent le terrain d’aviation de Saint-Jacques-de-la-Lande. Au cours d’un des vols d’essai, ils sont imprudents, ils manipulent un engin de guerre abandonné qui, en explosant, les blesse grièvement tous les deux. Guy décède à l’hôpital de l’hôtel Dieu de Rennes le 25 octobre 1947. Son cercueil demeure chez lui, quelques jours, dans une pièce de la baraque 3 dont un drap noir de deuil recouvre la façade. En haut, au centre du drap noir, un écusson porte les initiales GB. Je suis allé lui rendre une dernière visite. Une brave dame, dévouée, connue en bien dans le camp, le veille. Elle me dit très doucement de m’approcher. Elle m’invite à baiser le front du défunt. J’hésite, mais la brave dame insiste très gentiment ''« Tu dois le faire pour lui dire adieu ».'' La tête de Guy est toute entourée de bandelettes blanches, je me penche, il n’est pas aisé de trouver un endroit non recouvert pour y déposer mon baiser. | ||
'''''Une hiérarchie des trois camps autoproclamée par les enfants.''''' | |||
Pour ce qui est des camps, il existe, pour les enfants, une hiérarchie de fait. Les élèves de notre école peuvent demeurer dans un des trois camps,'' Margueritte, Victor Rault'' ou celui dit ''des Nomades.'' C’est le camp ''des Nomades'' qui se situe en bas de l’échelle de notre hiérarchie. Ceux du camp ''Victor Rault'', sans être fiers d’habiter leur camp, sont fiers de ne pas habiter le camp ''des Nomades''. Il y a des tentatives faites par ceux ''des Nomades'' auprès de l’instituteur pour rappeler qu’il ne faut pas nommer Camp'' des Nomades'', mais Camp ''Bd Albert premier''. Ce qualificatif, Camp des'' Nomades'' est gravé d’une manière indélébile dans la pierre de nos caboches et rien ne pourra l’effacer. | Pour ce qui est des camps, il existe, pour les enfants, une hiérarchie de fait. Les élèves de notre école peuvent demeurer dans un des trois camps,'' Margueritte, Victor Rault'' ou celui dit ''des Nomades.'' C’est le camp ''des Nomades'' qui se situe en bas de l’échelle de notre hiérarchie. Ceux du camp ''Victor Rault'', sans être fiers d’habiter leur camp, sont fiers de ne pas habiter le camp ''des Nomades''. Il y a des tentatives faites par ceux ''des Nomades'' auprès de l’instituteur pour rappeler qu’il ne faut pas nommer Camp'' des Nomades'', mais Camp ''Bd Albert premier''. Ce qualificatif, Camp des'' Nomades'' est gravé d’une manière indélébile dans la pierre de nos caboches et rien ne pourra l’effacer. | ||
Ligne 35 : | Ligne 41 : | ||
On peut ajouter une quatrième classe dans cette hiérarchie, celle de ceux qui ont l’avantage de demeurer, ''à Victor Rault ou à Margueritte,'' dans des pavillons en bois dit « Suédois ». Les pavillons suédois sont des maisons à part entière, tandis que nous, nous qui vivons dans des baraques, nous n’avons pas de maison, seulement un foyer ! Il m’arrive souvent de contempler les maisons de la rue Guynemer qui jouxtent le camp et d’envier leurs occupants. | On peut ajouter une quatrième classe dans cette hiérarchie, celle de ceux qui ont l’avantage de demeurer, ''à Victor Rault ou à Margueritte,'' dans des pavillons en bois dit « Suédois ». Les pavillons suédois sont des maisons à part entière, tandis que nous, nous qui vivons dans des baraques, nous n’avons pas de maison, seulement un foyer ! Il m’arrive souvent de contempler les maisons de la rue Guynemer qui jouxtent le camp et d’envier leurs occupants. | ||
'''''Cantines des élèves de l'école Victor Rault''''' | |||
Dans le courant de l’année 1946, nous déjeunons le midi à la cantine du centre d’apprentissage Victor Rault. Nous n’avons qu’un pré à traverser devant l’école, pré qui nous sert habituellement de cour de récréation, sauter ensuite un fossé pour nous y rendre. Je n’aime pas tant venir dans cet établissement, qui se trouve être une baraque comme la notre. Une table placée en retrait des autres, est réservée aux écoliers de l’école primaire. Quand je pénètre dans le réfectoire, une désagréable odeur d’eau de vaisselle me colle aux narines, les lieux sont sombres et les élèves du centre, vêtus de bleus de chauffe, nous observent avec curiosité. J’ai l’impression qu’ils nous considèrent comme des intrus. Simple impression ! | Dans le courant de l’année 1946, nous déjeunons le midi à la cantine du centre d’apprentissage Victor Rault. Nous n’avons qu’un pré à traverser devant l’école, pré qui nous sert habituellement de cour de récréation, sauter ensuite un fossé pour nous y rendre. Je n’aime pas tant venir dans cet établissement, qui se trouve être une baraque comme la notre. Une table placée en retrait des autres, est réservée aux écoliers de l’école primaire. Quand je pénètre dans le réfectoire, une désagréable odeur d’eau de vaisselle me colle aux narines, les lieux sont sombres et les élèves du centre, vêtus de bleus de chauffe, nous observent avec curiosité. J’ai l’impression qu’ils nous considèrent comme des intrus. Simple impression ! | ||
modifications