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Au début des années quarante et même un peu avant remontent mes souvenirs du Thabor. Ce parc, pour une famille habitant dans le centre, était le lieu de promenade et de jeux le plus apprécié : le jardin Saint-Georges était trop près et sans mystère, presque entièrement offert aux yeux et sans recoins, quant au parc de Maurepas, aux lisières de la ville, ses balançoires, ses tourniquets et son anneau de patinage à roulettes ne pouvaient compenser son éloignement. Pour les Rennais voisins, toute excursion hors la ville étant impossible, le jeudi après-midi ou le dimanche, le Thabor était un lieu de convergence pour la promenade et la détente et pour que les enfants prennent l'air et le bon. | Au début des années quarante et même un peu avant remontent mes souvenirs du Thabor. Ce parc, pour une famille habitant dans le centre, était le lieu de promenade et de jeux le plus apprécié : le jardin Saint-Georges était trop près et sans mystère, presque entièrement offert aux yeux et sans recoins, quant au parc de Maurepas, aux lisières de la ville, ses balançoires, ses tourniquets et son anneau de patinage à roulettes ne pouvaient compenser son éloignement. Pour les Rennais voisins, toute excursion hors la ville étant impossible, le jeudi après-midi ou le dimanche, le Thabor était un lieu de convergence pour la promenade et la détente et pour que les enfants prennent l'air et le bon. | ||
[[Fichier:Thabor_cedre_du_liban.jpeg|300px|left|thumb|Le grand cèdre du Liban vers 1905]] | |||
La maman, avec landau ou poussette, montait donc la [[rue Gambetta]] et le [[contour de la Motte]], au square dédaigné, un enfant tenant d'une main la poignée chargée du sac du "quatre-heure" et, éventuellement d'un sac de tricot, les autres trottant à ses côtés, souvent devant, pressés d'arriver. À la grille de la [[place Saint-Melaine]], se tenait un étrange personnage derrière son chariot de friandises : vêtu d'une ample robe, portant des lunettes noires et une toque circulaire à pans de couleurs variées, il proposait bonbons, sucettes et sucres d'orge. Par la suite on trouva là un chariot des glaces Lopez. | La maman, avec landau ou poussette, montait donc la [[rue Gambetta]] et le [[contour de la Motte]], au square dédaigné, un enfant tenant d'une main la poignée chargée du sac du "quatre-heure" et, éventuellement d'un sac de tricot, les autres trottant à ses côtés, souvent devant, pressés d'arriver. À la grille de la [[place Saint-Melaine]], se tenait un étrange personnage derrière son chariot de friandises : vêtu d'une ample robe, portant des lunettes noires et une toque circulaire à pans de couleurs variées, il proposait bonbons, sucettes et sucres d'orge. Par la suite on trouva là un chariot des glaces Lopez. | ||
Une fois passée la grande grille, les souliers crissaient sur les graviers de l'allée : nous n'étions plus en ville : à droite le grand carré Duguesclin avec sa statue et la colonne Vanneau, un peu plus haut l'Enfer, dont le fond plat permettait de jouer au ballon, puis près du manège des chevaux de bois, le '''petit bassin''' sur lequel des garçonnets faisaient naviguer leur petit voilier, voire un bateau à moteur, et le kiosque. Parmi les nombreuses mères de famille et les personnes âgées il s'agissait alors de trouver au moins un siège : place libre d'un banc ou une de ces chaises en fer, dont il fallait acquitter le droit d'usage à la chaisière qui parcourait les allées inlassablement. On retrouvait fréquemment des "petits amis", occasion pour jouer à cache-cache ou aux gendarmes et aux voleurs, hors de vue des mamans, dans le secteur chahuté et propice aux cachettes de la grotte, de la cascade, avec les escaliers, de l'île avec son ponceau. Mais pas question de couper par les pelouses : des gardes à képi, l'un manchot, tel autre unijambiste, étaient prompts à user du sifflet ou à brandir leur canne pour rappeler à l'ordre les contrevenants. Pour les petits le manège et les biches dans leur enclos, la volière ! Entre les grands dômes miroitants des serres, et le grand cèdre du Liban ('''*''' ''voir note'' ), les bustes ou statues, près des bassins, nous retrouvions la maman pour le goûter : tartine de confiture et grenadine, boisson rose et un peu sirupeuse, extraite d'une bouteille thermos dont le bouchon faisait tasse. Ici et là des paons développaient soudain leur roue aux yeux autrement plus magiques que leur "Léon !" perçant. | Une fois passée la grande grille, les souliers crissaient sur les graviers de l'allée : nous n'étions plus en ville : à droite le grand carré Duguesclin avec sa statue et la colonne Vanneau, un peu plus haut l'Enfer, dont le fond plat permettait de jouer au ballon, puis près du manège des chevaux de bois, le '''petit bassin''' sur lequel des garçonnets faisaient naviguer leur petit voilier, voire un bateau à moteur, et le kiosque. Parmi les nombreuses mères de famille et les personnes âgées il s'agissait alors de trouver au moins un siège : place libre d'un banc ou une de ces chaises en fer, dont il fallait acquitter le droit d'usage à la chaisière qui parcourait les allées inlassablement. On retrouvait fréquemment des "petits amis", occasion pour jouer à cache-cache ou aux gendarmes et aux voleurs, hors de vue des mamans, dans le secteur chahuté et propice aux cachettes de la grotte, de la cascade, avec les escaliers, de l'île avec son ponceau. Mais pas question de couper par les pelouses : des gardes à képi, l'un manchot, tel autre unijambiste, étaient prompts à user du sifflet ou à brandir leur canne pour rappeler à l'ordre les contrevenants. Pour les petits le manège et les biches dans leur enclos, la volière ! Entre les grands dômes miroitants des serres, et le grand cèdre du Liban ('''*''' ''voir note'' ), les bustes ou statues, près des bassins, nous retrouvions la maman pour le goûter : tartine de confiture et grenadine, boisson rose et un peu sirupeuse, extraite d'une bouteille thermos dont le bouchon faisait tasse. Ici et là des paons développaient soudain leur roue aux yeux autrement plus magiques que leur "Léon !" perçant. | ||
L'heure venait de redescendre vers la maison. Un peu las, nous laissions derrière nous les paons à l'allure si compassée quand ils daignaient faire leur roue multicolore pleine de yeux, les jets d'eau et les poissons rouges,les chaudes plate-bandes de millepertuis. On retrouvait le carré Duguesclin en ignorant les jeunes soldats boches convalescents qui, torses nus sur un toit terrasse du lycée de filles, hélaient parfois une jeune Rennaise. | L'heure venait de redescendre vers la maison. Un peu las, nous laissions derrière nous les paons à l'allure si compassée quand ils daignaient faire leur roue multicolore pleine de yeux, les jets d'eau et les poissons rouges,les chaudes plate-bandes de millepertuis. On retrouvait le carré Duguesclin en ignorant les jeunes soldats boches convalescents qui, torses nus sur un toit terrasse du lycée de filles, hélaient parfois une jeune Rennaise. | ||
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Georges Dorer, 82 ans en 2012 | Georges Dorer, 82 ans en 2012 | ||
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"Le petit garçon du Thabor" * | |||
"Le Thabor était mon jardin. Nous habitions au 21, [[rue Martenot]] dans l'ancienne propriété de l'architecte Martenot. On m'appelait "le petit garçon du Thabor". J'y ai fait mon service dans la Marine, en faisant naviguer un voilier sur le bassin, jusqu'au jour où je suis tombé dans l'eau ! À la période des cerises, avec les copains, nous faisions un crochet par le parc pour cueillir quelques fruits, parfois en grimpant dans l'arbre au grand dam du gardien qui nous menaçait de sa canne. Mutilé de guerre, il boitait et nous l'avions surnommé Patte de pie. Il neigeait quelquefois, et c'est sur la pelouse en descente, devant la grotte, que j'ai vu des skieurs. !" | |||
Jean Le Chanu, 87 ans en 2018 | |||
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Les Allemands sur les pelouses * | |||
"Durant la guerre, nous habitions la conciergerie du lycée Anne-de-Bretagne jouxtant le Thabor. je me souviens que les Allemands se prélassaient sur les pelouses, alors qu'elles étaient interdites. Pour nous venger, notre jeu à mes frères et à moi, était d'arracher toutes les pancartes d'interdiction sans se faire prendre par le gardien des lieux que nous surnommions Patte de pie. Lorsque nous étions attrapés, nous avions droit au sermon paternel et nous recommencions de plus belle." | |||
Monique Ripaud,87 ans en 2018 | |||
Un abri pendant la guerre * | |||
"Pendant la dernière guerre, un abri avait été creusé dans une tranchée en zig-zag, sur la grande pelouse, face à la rue de Paris. Je m'y abritais lors des alertes. je me rapelle aussi des concerts donnés par la musique allemande sous le fameux kiosque." | |||
Jean-Yves, 86 ans en 2018 | |||
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La chaisière et ses centimes * | |||
" Je me souviens de mon obstination à vouloir pêcher les poissons rouges du bassin de la roseraie avec une ficelle attachée à un bâton. Ma jeune tante et son fiancé souriaient. Je n'avais pas d'hameçon. Je me souviens que la chaisière passait collecter 20 ou 40 centimes pour payer les chaises sur lesquelles nous étions assis. Les pièces d'aluminium étaient frappées de la francisque. Ma mère disait :" N'allez pas devant les serres, c'est le coin des poitrinaires." Je me souviens du garde à la jambe de bois. Nous le faisions enrager en traversant les pelouses interdites. Il s'époumonnait avec son sifflet. Jeune adulte, je photographiais les toits de tuiles rouges du collège Saint-Vincent avec en premier plan la roseraie, un air de Provence à Rennes" | |||
Norbert Maudet, 80 ans en 2018 | |||
Mon beau cèdre * | |||
"Parmi les nombreux souvenirs, le magnifique cèdre du Liban. Malheureusement, la tempête en mars 1967 l'a abattu. Avec ma mère, nous sommes allés nous recueillir devant l'arbre à terre." | |||
Agnès Morin, 71 ans en 2018 | |||
'''*''' : ''Les souvenirs de ces Rennais, enfants du Thabor'', recueillis par Yann-Armel Huet. ''Ouest-France'', édition rennes, 23-24 juin 2018 | |||
==Références== | ==Références== |
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