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A l'occasion des 80 ans de la libération de Rennes, (re)découvrez l'ensemble des
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« Chronique vezinoise sous l'occupation/libération/Paix n°21 » : différence entre les versions

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== Les Britanniques dans le Nord ==
'''''Arrivée à Croix-Wasquehal'''''
 


Nous arrivons au terme de notre voyage, Croix-Wasquehal, au 47 rue Holden, chez mon oncle Henri, le frère de ma mère qui, avec ma tante Pauline son épouse, ont la grande gentillesse d'accepter de nous accueillir chez eux. Ma sœur aînée se souvient de son cousin Claude. Elle le reconnaît de loin. Prévenu de notre arrivée, il nous attend, assis sur la marche de l'entrée de la maison. Il mange une tartine de beurre ou de margarine ou de saindoux qu’il saupoudre toujours, généreusement de sel. Nelly lui fait de grands signes ''« c’est le cousin Claude ! »'' s’exclame t’elle. Jusqu’à présent, j’ai vécu sans connaître d’autre famille que mon père, ma mère, mon frère et mes sœurs. Se découvrir tout à coup un oncle, une tante, cousin et cousine m’oblige à faire un gros effort pour intégrer dans ma vie ces nouveaux venus. Comment cela se fait-il que ma maman ait un frère, même une sœur alors qu’elle est ma maman ? Elle est ma maman, un point c’est tout et je ne la partage pas.  
Nous arrivons au terme de notre voyage, Croix-Wasquehal, au 47 rue Holden, chez mon oncle Henri, le frère de ma mère qui, avec ma tante Pauline son épouse, ont la grande gentillesse d'accepter de nous accueillir chez eux. Ma sœur aînée se souvient de son cousin Claude. Elle le reconnaît de loin. Prévenu de notre arrivée, il nous attend, assis sur la marche de l'entrée de la maison. Il mange une tartine de beurre ou de margarine ou de saindoux qu’il saupoudre toujours, généreusement de sel. Nelly lui fait de grands signes ''« c’est le cousin Claude ! »'' s’exclame t’elle. Jusqu’à présent, j’ai vécu sans connaître d’autre famille que mon père, ma mère, mon frère et mes sœurs. Se découvrir tout à coup un oncle, une tante, cousin et cousine m’oblige à faire un gros effort pour intégrer dans ma vie ces nouveaux venus. Comment cela se fait-il que ma maman ait un frère, même une sœur alors qu’elle est ma maman ? Elle est ma maman, un point c’est tout et je ne la partage pas.  
De la gare nous sommes arrivés jusqu’ici par le Mongy (tramway). Instants de retrouvailles pour certains, moi je ne connais personne, instants de joie pour tous. Mon oncle et ma tante nous ont réservé un deux-pièces palier mansardé non isolé dans le grenier de leur maison en attendant de trouver mieux. Il leur faudra une très grande patience pour supporter cette tribu d’enfants habitués aux grands espaces, qui animera en permanence et parfois bruyamment, cette maison d’habitude si tranquille.
De la gare nous sommes arrivés jusqu’ici par le Mongy (tramway). Instants de retrouvailles pour certains, moi je ne connais personne, instants de joie pour tous. Mon oncle et ma tante nous ont réservé un deux-pièces palier mansardé non isolé dans le grenier de leur maison en attendant de trouver mieux. Il leur faudra une très grande patience pour supporter cette tribu d’enfants habitués aux grands espaces, qui animera en permanence et parfois bruyamment, cette maison d’habitude si tranquille.


Il me faudra peu de temps pour m’intégrer dans une équipe du quartier. Je deviens le énième galopin, qui, placé  parfois en fin de file, devra sonner, après tous les autres à la porte d’une maison du grand boulevard. Il y a des portes où je n’ai pas même le temps et le plaisir de presser le bouton car nous sommes attendus avec un balai. C’est alors une dispersion, une envolée d’oiseaux piailleurs.  Ma sœur Jeanine me rappelle avoir participé à ces exercices.
'''''Intégration dans l'équipe d'enfants du quartier'''''
 
Peu de temps me sera nécessaire intégrer une équipe d'enfants du quartier. Je deviens le énième galopin, qui, placé  parfois en fin de file, devra sonner, après tous les autres à la porte d’une maison du grand boulevard. Il y a des portes où je n’ai pas même le temps et le plaisir de presser le bouton car nous sommes attendus avec un balai. C’est alors une dispersion, une envolée d’oiseaux piailleurs.  Ma sœur Jeanine me rappelle avoir participé à ces exercices.


Gilbert Laméron, le neveu de ma tante Pauline, le plus âgé, est un des chefs de notre bande. Nous, ses subordonnés, sommes impitoyables envers le chef car profitant de son absence nous déclamons en choeur ''« Laméron, cul tout rond qu’a du poil à son menton »''. Il est l’organisateur de la plupart  de nos jeux et bien sûr nous dirige. Les colonnes infernales des sonnettes, c’est lui mais aussi la Marotte (maraude). En cette fin d’automne, des fruits demeurent encore suspendus, arrogants ne demandant qu’à être cueillis par leur propriétaire. Le fruit ne prête pas attention à qui le cueille ou qui le mange, tandis que le propriétaire a un avis différent. Prévoyant notre venue celui-ci nous  attendait avec une bonne trique et administre une rossée mémorable au plus grand, Gilbert, pris en flagrant délit de cueillette interdite. A ce moment, les cris du coupable s’entendent de très loin.
Gilbert Laméron, le neveu de ma tante Pauline, le plus âgé, est un des chefs de notre bande. Nous, ses subordonnés, sommes impitoyables envers le chef car profitant de son absence nous déclamons en choeur ''« Laméron, cul tout rond qu’a du poil à son menton »''. Il est l’organisateur de la plupart  de nos jeux et bien sûr nous dirige. Les colonnes infernales des sonnettes, c’est lui mais aussi la Marotte (maraude). En cette fin d’automne, des fruits demeurent encore suspendus, arrogants ne demandant qu’à être cueillis par leur propriétaire. Le fruit ne prête pas attention à qui le cueille ou qui le mange, tandis que le propriétaire a un avis différent. Prévoyant notre venue celui-ci nous  attendait avec une bonne trique et administre une rossée mémorable au plus grand, Gilbert, pris en flagrant délit de cueillette interdite. A ce moment, les cris du coupable s’entendent de très loin.
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[[Fichier:Parc Barbieux - Croix Roubaix.jpg|200px|thumb|Le parc Barbieux actuel]]
[[Fichier:Parc Barbieux - Croix Roubaix.jpg|200px|thumb|Le parc Barbieux actuel]]
'''''Le Parc Barbieux'''''


Le parc Barbieux, de l'autre côté du grand boulevard, au bout de la rue Holden, est un immense parc, joliment arboré. Il s’étend entre Croix et Roubaix.  
Le parc Barbieux, de l'autre côté du grand boulevard, au bout de la rue Holden, est un immense parc, joliment arboré. Il s’étend entre Croix et Roubaix.  
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[[Fichier:Croix Ecole Victor Hugo classe 7e - 1945.jpg|200px|thumb|Ecole Victor Hugo classe 7e - CROIX - 1945  (Le galopin loquace est marqué de rouge)]]
[[Fichier:Croix Ecole Victor Hugo classe 7e - 1945.jpg|200px|thumb|Ecole Victor Hugo classe 7e - CROIX - 1945  (Le galopin loquace est marqué de rouge)]]


'''''L'école à Croix'''''


A la rentrée scolaire de 1945, je suis inscrit à l’école communale de Croix. Je connais assez bien mes tables de multiplication avec une manière très personnelle de les réciter. Je ne les récite pas, je les chante sans m’en rendre compte. Ainsi quand la maîtresse m’interroge, je me demande pourquoi elle me regarde pendant toute ma récitation avec un grand sourire et beaucoup de bienveillance. L’image du sourire de cette institutrice est demeurée fraîche dans mes souvenirs.  
A la rentrée scolaire de 1945, je suis inscrit à l’école communale de Croix. Je connais assez bien mes tables de multiplication avec une manière très personnelle de les réciter. Je ne les récite pas, je les chante sans m’en rendre compte. Ainsi quand la maîtresse m’interroge, je me demande pourquoi elle me regarde pendant toute ma récitation avec un grand sourire et beaucoup de bienveillance. L’image du sourire de cette institutrice est demeurée fraîche dans mes souvenirs.  
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[[Fichier:Usine Holden - Croix R.jpg|200px|thumb|Usine Holden - Partie droite, sens centre ville]]
[[Fichier:Usine Holden - Croix R.jpg|200px|thumb|Usine Holden - Partie droite, sens centre ville]]
'''''L'usine Holden'''''


J’ai le souvenir de la Rue Holden qui commence depuis le grand boulevard et qui se termine près de la Grand’place au centre ville. Avant d'accéder à cette place on passe devant l'Usine Holden, usine de textile qui avait eu le privilège de posséder la plus haute cheminée de France, disait fièrement ma tante Pauline. C'est maintenant, je crois, la Firme  "Les Trois Suisses" qui est installée à cet endroit.  
J’ai le souvenir de la Rue Holden qui commence depuis le grand boulevard et qui se termine près de la Grand’place au centre ville. Avant d'accéder à cette place on passe devant l'Usine Holden, usine de textile qui avait eu le privilège de posséder la plus haute cheminée de France, disait fièrement ma tante Pauline. C'est maintenant, je crois, la Firme  "Les Trois Suisses" qui est installée à cet endroit.  
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'''''Les Britanniques sont dans le Nord'''''


Il me faut maintenant aller au devant de l’évènement. Dans la rue Holden je croise des soldats et m’approche d’eux ''histoire de fraterniser.'' ''J’ai de l’expérience pour ce genre de contact, je ne suis pas un novice.'' Les militaires que je découvre  semblent très affairés et sont occupés à différentes taches. Ils traversent la rue pour se rendre d'un côté ou de l'autre de l'usine. Nous sommes en octobre/novembre 1945. L'époque des rations militaires avec des friandises à distribuer aux enfants par les soldats est révolue. Les Britanniques ne sont pas aussi riches que les Américains, ils n’ont pas grand-chose à offrir. Ils ont chez eux comme chez nous des tickets de rationnement. Nous qui avions été tant dorlotés par les GIs à Vezin-le-Coquet ici, ''nous étions de la revue.''
Il me faut maintenant aller au devant de l’évènement. Dans la rue Holden je croise des soldats et m’approche d’eux ''histoire de fraterniser.'' ''J’ai de l’expérience pour ce genre de contact, je ne suis pas un novice.'' Les militaires que je découvre  semblent très affairés et sont occupés à différentes taches. Ils traversent la rue pour se rendre d'un côté ou de l'autre de l'usine. Nous sommes en octobre/novembre 1945. L'époque des rations militaires avec des friandises à distribuer aux enfants par les soldats est révolue. Les Britanniques ne sont pas aussi riches que les Américains, ils n’ont pas grand-chose à offrir. Ils ont chez eux comme chez nous des tickets de rationnement. Nous qui avions été tant dorlotés par les GIs à Vezin-le-Coquet ici, ''nous étions de la revue.''
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Mon frère Guy, mon aîné de quinze mois, porte beaucoup d’attention quand il se déplace afin de ne pas laisser passer une occasion de récupérer quelque chose. Il découvre, un jour, derrière le portail toujours fermé, une pièce de tissu bien pliée, accrochée de manière à être invisible de l’extérieur. C'est probablement un ouvrier de l’usine qui a détourné et caché ce butin prévoyant de le récupérer à la fin de sa journée de travail. Mon frère heureux et fier de sa trouvaille l’apporte immédiatement à ma mère  qui nous a fait confectionner plus tard à chacun une paire de culottes courtes. Nous pouvons imaginer à quel point la personne qui avait épargné discrètement ce tissu, constatant sa disparition, avait pu nous maudire sans nous connaître. Il faut savoir qu’à cette époque, en 1945/46, tout manquait et le  tissu valait son pesant d’or.
Mon frère Guy, mon aîné de quinze mois, porte beaucoup d’attention quand il se déplace afin de ne pas laisser passer une occasion de récupérer quelque chose. Il découvre, un jour, derrière le portail toujours fermé, une pièce de tissu bien pliée, accrochée de manière à être invisible de l’extérieur. C'est probablement un ouvrier de l’usine qui a détourné et caché ce butin prévoyant de le récupérer à la fin de sa journée de travail. Mon frère heureux et fier de sa trouvaille l’apporte immédiatement à ma mère  qui nous a fait confectionner plus tard à chacun une paire de culottes courtes. Nous pouvons imaginer à quel point la personne qui avait épargné discrètement ce tissu, constatant sa disparition, avait pu nous maudire sans nous connaître. Il faut savoir qu’à cette époque, en 1945/46, tout manquait et le  tissu valait son pesant d’or.
'''''L'hiver dans le Nord'''''


Nous avions quitté la Bretagne, son beurre, son bon lait et tout et tout pour trouver ici pas grand chose en matière de nourriture. En guise de beurre, ma mère enduit la tartine de mon quatre heures pour l’école, d’une couche de sirop de betterave sucrière, genre mélasse. Je n’aime pas tant que çà cette mélasse sur le pain. Les tartines étant préparées quelques heures avant d’être mangées, deviennent, au moment du goûter, molles comme une serpillière. Comme je regrette le bon beurre salé de mon village. Parfois, il y a distribution de lard salé américain. Je ne suis pas difficile mais ce lard provoque chez moi une envie de vomir quand il est servi à table. Il est tout à fait rance et mal odorant.  
Nous avions quitté la Bretagne, son beurre, son bon lait et tout et tout pour trouver ici pas grand chose en matière de nourriture. En guise de beurre, ma mère enduit la tartine de mon quatre heures pour l’école, d’une couche de sirop de betterave sucrière, genre mélasse. Je n’aime pas tant que çà cette mélasse sur le pain. Les tartines étant préparées quelques heures avant d’être mangées, deviennent, au moment du goûter, molles comme une serpillière. Comme je regrette le bon beurre salé de mon village. Parfois, il y a distribution de lard salé américain. Je ne suis pas difficile mais ce lard provoque chez moi une envie de vomir quand il est servi à table. Il est tout à fait rance et mal odorant.  
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Une décision ferme est ensuite  prise par mon père, nous retournerons, dès le printemps, en Bretagne à Rennes.
Une décision ferme est ensuite  prise par mon père, nous retournerons, dès le printemps, en Bretagne à Rennes.
'''''Epilogue'''''


Au début des années 2000, J'ai retrouvé le hangar au bas Vezin, où j'allais tourner la meule pour aider Albert Pinel à aiguiser les couteaux, le pressoir aussi dans ce même hangar où j’ai vu couler tant de jus de pommes.  L'endroit du pylône en haut du chemin vert et le chemin vert lui-même. L'école a disparu elle a été remplacée par une autre, beaucoup plus grande et très moderne, à la mesure de cette nouvelle ville dortoir qu’est devenu mon petit village. Le café de la maréchalerie est devenu pharmacie. La forge et les ateliers de réparations ont été transformés en café et autres commerces. Les dépendances de chez Touffet  sont aussi démolies. Le cimetière transféré hors le bourg. Le château de la Drouétière a réduit ses étages et supprimé son belvédère, après la grande tempête de décembre 1999. Les bassins situés devant la façade du château de la Frelonnière ont été comblés. Le château de la Glestière s’est embelli avec de magnifiques dépendances et un magnifique parc. Le bois de la Glestière où nous avons tant joué s’est couvert de résidences. Le château de Montigné est maintenant une maison de repos pour les ecclésiastiques. Beaucoup de maisons situées de part et d'autre de la route principale du bourg, construites en partie en pisé ont disparu. Il en reste très peu, comme par exemple le pâté de maisons, Blanchard, Trincart, Bigot.  La salle du café où nous avons vécu cinq années à six personnes, me semble à présent ridiculement petite.
Au début des années 2000, J'ai retrouvé le hangar au bas Vezin, où j'allais tourner la meule pour aider Albert Pinel à aiguiser les couteaux, le pressoir aussi dans ce même hangar où j’ai vu couler tant de jus de pommes.  L'endroit du pylône en haut du chemin vert et le chemin vert lui-même. L'école a disparu elle a été remplacée par une autre, beaucoup plus grande et très moderne, à la mesure de cette nouvelle ville dortoir qu’est devenu mon petit village. Le café de la maréchalerie est devenu pharmacie. La forge et les ateliers de réparations ont été transformés en café et autres commerces. Les dépendances de chez Touffet  sont aussi démolies. Le cimetière transféré hors le bourg. Le château de la Drouétière a réduit ses étages et supprimé son belvédère, après la grande tempête de décembre 1999. Les bassins situés devant la façade du château de la Frelonnière ont été comblés. Le château de la Glestière s’est embelli avec de magnifiques dépendances et un magnifique parc. Le bois de la Glestière où nous avons tant joué s’est couvert de résidences. Le château de Montigné est maintenant une maison de repos pour les ecclésiastiques. Beaucoup de maisons situées de part et d'autre de la route principale du bourg, construites en partie en pisé ont disparu. Il en reste très peu, comme par exemple le pâté de maisons, Blanchard, Trincart, Bigot.  La salle du café où nous avons vécu cinq années à six personnes, me semble à présent ridiculement petite.
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