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== Une gourmandise réputée dès le 17e siècle == | == Une gourmandise réputée dès le 17e siècle == | ||
[[Madame de Sévigné]] en raffolait et était une consommatrice assidue du beurre apprécié jusqu'à la cour royale, car pendant tout le 18e siècle, les intendants de Bretagne expédièrent des colis de beurre au roi et l'on dit même qu'une laitière du pays de Rennes fut installée avec ses vaches au hameau de Trianon<ref>''En Haute-Bretagne'', par Henri-François Buffet, Librairie celtique - 1954</ref> | [[Madame de Sévigné]] en raffolait et était une consommatrice assidue du beurre apprécié jusqu'à la cour royale, car pendant tout le 18e siècle, les intendants de Bretagne expédièrent des colis de beurre au roi et l'on dit même qu'une laitière du pays de Rennes fut installée avec ses vaches au hameau de Trianon<ref>''En Haute-Bretagne'', par Henri-François Buffet, Librairie celtique - 1954.</ref>. | ||
Madame de Sévigné et son fils Charles écrivent à Madame de Grignan, sa fille, le 19 février [[1690]] : | |||
:« […] ''J'aime le beurre charmant de la Prévalaie dont il nous vient toutes les semaines ; je l'aime et le mange comme si j'étais bretonne : nous faisons des beurrées infinies, quelquefois sur de la miche ; nous pensons toujours à vous en les mangeant; mon fils y marque toujours ses dents et ce qui me fait plaisir, c'est que j'y marque encore toutes les miennes : nous y mettrons bientôt de petites herbes fines et des violettes ; le soir, un potage avec un peu de beurre, à la mode du pays, de bons pruneaux, de bons épinards.'' » | |||
Elle a alors 64 ans. Et à son fils Charles qui lui demandait comment elle passait ses jours d'abstinence, elle répondit : | |||
:« ''Mon fils, je prends une beurrée et je chante'' ».<ref> ''Par voies et chemins avec Madame de Sévigné'', par Henri-François Buffet. Annales de Bretagne, vol. 79 -1972.</ref>. | |||
Le 14 février 1680, se référant au carême, à propos d'une réunion parisienne de nobles bretons, elle écrivit : « ''On eût mangé du beurre de Bretagne, s'il eût été jour maigre '' ». | |||
Le ''Guide du voyageur en France'', de Reichard, publié en allemand en 1784 et traduit en français en 1810, considéré comme le premier guide moderne, remarque | Le ''Guide du voyageur en France'', de Reichard, publié en allemand en 1784 et traduit en français en 1810, considéré comme le premier guide moderne, remarque « le beurre de la Prévalaye qui n'a de comparable que celui de la vallée de Campan, sur l'Adour. » | ||
La réputation du beurre de la Prévalaye semble en fait s'être étendue aux productions du bassin rennais, au point qu'en [[1814]], un arrêté de police expose que : | La réputation du beurre de la Prévalaye semble en fait s'être étendue aux productions du bassin rennais, au point qu'en [[1814]], un arrêté de police expose que : « le maire de Rennes a été prévenu que plusieurs habitants de la ville font des envois considérables de beurre dans toute la France. Pour s'en procurer plus facilement et de meilleur qualité, ils empêchent les habitants des campagnes d'apporter leur beurre au marché; ils vont au devant d'eux dans les faubourgs; ils achètent à un prix élevé et, par ces moyens, privent leurs concitoyens de l'avantage de se procurer du beurre à un prix raisonnable. »<ref>''L'industrie laitière en Bretagne et les révolutions techniques du XIXe siècle'', par J-B. Henry, Annales de Bretagne, vol 73 - 1966.</ref> | ||
En 1822, dans ''Région de l'ouest, route de Paris à Rennes'', Régis Jean Vaysse de Villiers, inspecteur des relais de poste et rédacteur du guide, ne manque pas, lors de sa description de Rennes, d'écrire : | En 1822, dans ''Région de l'ouest, route de Paris à Rennes'', Régis Jean Vaysse de Villiers, inspecteur des relais de poste et rédacteur du guide, ne manque pas, lors de sa description de Rennes, d'écrire : | ||
:« ''Son commerce consiste dans les fils et les toiles de toute espèce, surtout les toiles à voiles. Le beurre est aussi pour elle un grand objet d'exportation à l'intérieur, surtout à Paris. Le plus fameux est celui qui se fait à la Prévalais, ferme située à une lieue de Rennes. Il est fort recherché des Parisiens, auxquels on l'expédie dans des petits pots de grès'' ». | |||
À Rennes, « on appelle ''moche de beurre'' un petit pain de beurre ordinairement de la Prévalais, du poids d'un quart de livre »<ref> ''Liste alphabétique de quelques mots en usage à Rennes'', par M.F.A. Le Mière de Corvey, chef de bataillon. Mémoire de la Société royale des Antiquaires de France. t.6 - 1824.</ref>. | |||
===les secrets d'une fabrication très élaborée=== | ===les secrets d'une fabrication très élaborée=== | ||
On peut lire en [[1835]] : | On peut lire en [[1835]] : | ||
:« Le beurre de certains cantons des environs de Rennes, connu sous le nom de beurre de la Prévalaye, jouit, dans toute la France et à l'étranger même, d'une réputation méritée. Un grain très fin, un arôme et une saveur agréable qui lui sont particuliers, et que connaissent seulement ceux qui le mangent frais, le placent au premier rang parmi les produits de même espèce, et en font un aliment délicat. La fabrication de ce beurre est un produit fort avantageux. Une vache ordinaire donne par jour, terme moyen, 5 à 6 kilogrammes de lait qui produisent de 300 à 360 grammes de beurre. Il y a beaucoup de vaches qui en donnent une quantité bien plus considérable, (double même ) surtout lorsqu'elle commence à avancer un peu en âge. Le lait passé dans un petit tamis de crin, pour enlever les poils qu'il pourrait contenir, est versé dans de grands pots de grès à large ouverture. Ces pots sont mis dans un coffre en bois à parois très épaisses et à pieds, que l'on nomme ''met'' et qui est placé dans la maison d'habitation du cultivateur »<ref>''France Pittoresque - Ille-et-Vilaine'', par A. Hugo, t. 2 - 1835.</ref>. | |||
En 1841, un spécialiste précise : | En 1841, un spécialiste précise : « C'est avec le lait, que M. Villeneuve dit qu'est fait le beurre de la Prévalaye, à deux lieues de Rennes, qui passe pour le meilleur beurre de France. On met dans la baratte (à pompe) tout le lait du soir de la veille et le lait chaud du matin; on les laisse ensemble quelques heures avant de les battre; on ne sépare jamais la crème du lait; on prétend que, employé tout entier, il y a plus de beurre et il est plus fin; d'ailleurs, le lait du beurre, quoique acide, se vend bien à Rennes. | ||
On exige dans le beurre de la Prévalaye un goût exquis de noisette, une grande fermeté, une couleur dorée et beaucoup de propreté. Il tire son goût de la nourriture des vaches, sa fermeté du procédé de le battre, sa couleur de la circonstance du printemps et de la nature des herbes, sa propreté de la beurrière qui le fait et y met des soins louables. | On exige dans le beurre de la Prévalaye un goût exquis de noisette, une grande fermeté, une couleur dorée et beaucoup de propreté. Il tire son goût de la nourriture des vaches, sa fermeté du procédé de le battre, sa couleur de la circonstance du printemps et de la nature des herbes, sa propreté de la beurrière qui le fait et y met des soins louables. | ||
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===et d'un beurre travaillé=== | ===et d'un beurre travaillé=== | ||
Au sortir de la baratte, il est d'usage de laver le beurre pour le dépouiller de son petit lait; mais à la Prévalaye, on l'en débarrasse en le coupant en lames très-minces avec une espèce de cuiller plate qu'on trempe sans cesse dans l'eau, afin que le beurre ne s'y attache pas; on le manie et remanie sur des vaisseaux de bois mouillés qu'on peut comparer aux cônes écrasés de fer-blanc dont on couvre les casseroles qui sont sur le feu; les femmes les tiennent dans la main gauche et laminent, battent, tournent en tout sens le beurre de la droite, le durcissent, le salent faiblement, le pèsent, et lui donnent la forme d'une espèce de borne qu'elles appellent ''coin''. Il se vend peu de ce beurre à Rennes pour la consommation de la ville; la plus grande partie est transportée à Paris par les courriers, les diligence, les voyageurs et même par les roulliers; cette traite se prolonge quelquefois, mais en petite quantité, jusqu'à la fin de mai. La même finesse n'existe plus lorsque l'herbe a pris du corps et le beurre, quoique très-bon, est alors privé de cette fleur qui le rendait si attrayant à sa naissance. On l'achète des beurrières de Rennes en petits pots d'argile noire, couverts de sel blanc de Guerande. Le meilleur et le plus cher est emballé dans de petits paniers carrés, revêtus en dedans de toile fine ou de mousseline, également couverts de sel de Guerande. Lorsque ces petites mottes manquent de la couleur agréable qu'on demande au beurre de la Prévalaye, ces beurrières en second, comme celles qui le fabriquent, le dorent en passant et repassant sur sa surface la cuiller plate qu'à cet effet elles mettent tremper dans l'eau bouillante; le beurre y gagne un glacé tel qu'elles le désirent; mais cette opération nuit à sa solidité et à sa conservation; il devient gras sous peu de jours, par la fonte insensible qu'il a éprouvée, et se ternit au grand air. Les soins de ces femmes secondaires sont payés par un tiercement, et quand elles le peuvent, par un doublement du prix qu'elles l'ont acheté | Au sortir de la baratte, il est d'usage de laver le beurre pour le dépouiller de son petit lait; mais à la Prévalaye, on l'en débarrasse en le coupant en lames très-minces avec une espèce de cuiller plate qu'on trempe sans cesse dans l'eau, afin que le beurre ne s'y attache pas; on le manie et remanie sur des vaisseaux de bois mouillés qu'on peut comparer aux cônes écrasés de fer-blanc dont on couvre les casseroles qui sont sur le feu; les femmes les tiennent dans la main gauche et laminent, battent, tournent en tout sens le beurre de la droite, le durcissent, le salent faiblement, le pèsent, et lui donnent la forme d'une espèce de borne qu'elles appellent ''coin''. Il se vend peu de ce beurre à Rennes pour la consommation de la ville; la plus grande partie est transportée à Paris par les courriers, les diligence, les voyageurs et même par les roulliers; cette traite se prolonge quelquefois, mais en petite quantité, jusqu'à la fin de mai. La même finesse n'existe plus lorsque l'herbe a pris du corps et le beurre, quoique très-bon, est alors privé de cette fleur qui le rendait si attrayant à sa naissance. On l'achète des beurrières de Rennes en petits pots d'argile noire, couverts de sel blanc de Guerande. Le meilleur et le plus cher est emballé dans de petits paniers carrés, revêtus en dedans de toile fine ou de mousseline, également couverts de sel de Guerande. Lorsque ces petites mottes manquent de la couleur agréable qu'on demande au beurre de la Prévalaye, ces beurrières en second, comme celles qui le fabriquent, le dorent en passant et repassant sur sa surface la cuiller plate qu'à cet effet elles mettent tremper dans l'eau bouillante; le beurre y gagne un glacé tel qu'elles le désirent; mais cette opération nuit à sa solidité et à sa conservation; il devient gras sous peu de jours, par la fonte insensible qu'il a éprouvée, et se ternit au grand air. Les soins de ces femmes secondaires sont payés par un tiercement, et quand elles le peuvent, par un doublement du prix qu'elles l'ont acheté »<ref> ''Mémoires sur l'agriculture, les instruments aratoires et d'économie rurale'', par L. P. de Valcourt, chez L. Bouchard-Hasard - 1841</ref>. | ||
== Toujours apprécié au 19e siècle == | == Toujours apprécié au 19e siècle == |