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La question de la fermeture des magasins le dimanche en 1901
Le Grand Bazar Parisien ne voulait pas fermer le dimanche après-midi !
L'Ouest-Éclair du lundi 4 février 1901 relate en détail un fait de société qui n’est pas sans rappeler une question encore d’actualité plus de 115 ans plus tard : l’ouverture ou la fermeture des magasins le dimanche.
Encore la question ne se posait-elle à l’époque que pour le dimanche après-midi, car le dimanche matin les magasins étaient évidemment ouverts. À Rennes, elle se cristallise au Grand Bazar Parisien de la place Rallier du Baty. La démarche du Syndicat des Employés visant à une fermeture à midi avait, semble-t-il, reçu partout un accueil favorable, sauf de la direction du Grand Bazar Parisien, dont le directeur, M. Guillemot, avait opposé un refus formel.
La manifestation des employés du commerce
L’Ouest-Éclair, jeune journal qui n'en est qu'à sa troisième année, ne cachait pas sa faveur pour une fermeture des magasins tout le dimanche : « Le meilleur moyen d’y arriver, c’est de faire déserter les magasins le dimanche. Le jour où il n’y aura plus d’acheteurs, les vendeurs du dimanche se dispenseront de frais généraux devenus inutiles ». Il relate donc avec quelque complaisance, la journée du dimanche 3 février, place Saint-Michel.
Ce dimanche, vers midi, des citoyens vont et viennent devant le Bazar puis un groupe venant de la Bourse du Travail se forme, avec pancartes en tête, affichant « N’achetez pas le dimanche après-midi » ou portant une circulaire déjà affichée sur les murs invitant la population à s’abstenir. Les manifestants crient « Conspuez le Bazar ! Fermeture ! » et « N’achetez pas ! » à des « groupes de campagnards ahuris de trouver une pareille foule ». Sont présents trois commissaires de police, - l’un portant capuche, ressemble à un capucin par son accoutrement, les deux autres portant le chapeau haute-forme - des agents en tenue et des agents « en bourgeois ». Quelques acheteurs reçoivent à la sortie une "conduite de Grenoble": ils sont hués. Le délégué du syndicat, M. Rémiot, et quelques camarades veulent entrer pour demander des renseignements au directeur, arguant de l’indication « Entrée libre », mais ils sont arrêtés par des agents et le commissaire central les conduit au poste. On prend le nom du secrétaire – bien connu – et ils sont relâchés. Un employé de commerce, par ailleurs conseiller municipal est « digne d’éloges » car il porte une pancarte.
Le journal rapporte que quelques orateurs improvisés donnaient raison au Bazar au nom de la liberté du commerce mais étaient fort peu écoutés et l’un d’eux dût battre en retraite pour éviter « quelques horions ». Un autre orateur observe que si le Bazar reste ouvert le dimanche après-midi, il obligerait les autres commerçants à faire de même. Aux fenêtres des étages supérieurs, l’apparition de quelques têtes est saluée par des « Hou ! Hou ! » Les promeneurs affluent et les agents les invitent à circuler alors qu’à la nuit tombante, des garçons allument les lanternes de l’intérieur et l’on crie « À la lanterne ! » sous les rires. À six heures moins deux un coup de cloche retentit et les lourdes devantures de fer s’abattent. Le journal conclue à l’évidence de la poursuite des manifestations et que le bazar n’a pas grand-chose à gagner en se mettant en révolte ouverte contre le sentiment de la population. Il remarque enfin que certains magasins qui ne fermaient pas le dimanche s’étaient empressés de de mettre leurs volets. « C’était au moins quelque chose de gagné », conclut-il.
Un journal engagé
Mais le journal du 6 février fait état d’une protestation signée de 55 employés du grand Bazar Parisien contre « les menées tumultueuses d’un syndicat de soi-disant employés du commerce qui veut malgré nous améliorer notre situation », estimant que le dimanche est un de leur meilleurs jours de gain en raison de l’afflux d’habitants des campagnes. Et le journal d’observer le manque de courtoisie des employés du Bazar, citoyens libres certes, mais qui traitent de "soi-disant employés" leurs collègues, et leur manque de solidarité envers leurs camarades, et il observe que la solution sera dans le comportement du public : s'il s'abstient le dimanche après-midi, l'affaire sera réglée. En outre, le journal rapporte qu’à propos de la manifestation des employés du commerce, le directeur avait invité les parents et proches de ses employés à venir le dimanche au Bazar d’où ils sortiraient avec un certain nombre de paquets factices, stratagème qui ne devrait plus tromper le dimanche suivant.
Des démarches qui aboutissent
Le journal du 7 rapporte qu’une réunion publique contradictoire est organisée par le syndicat à 9 heures aux Lices le samedi suivant et qu’une démarche auprès de M. Guillemot sera tentée à laquelle il souhaite associer le maire. De plus il prévoit une nouvelle manifestation le dimanche suivant à l’extérieur du magasin. Une lettre du directeur du Grand Bazar est publiée par le journal dans laquelle celui-ci tire argument du fait que, favorable au repos dominical, notamment par conviction religieuse, il se trouve lié par les exigences de ses employés et de sa clientèle et il pense qu’une loi imposant le repos dominical serait la bienvenue. Charles Bodin, un des fondateurs du journal, lui suggère alors de faire appliquer la fermeture aux autres maisons de commerce de l’extérieur qui, semble-t-il, lui font spécialement concurrence. Le journal du 10 informe qu’à la suite des observations amicales du maire Eugène Pinault et du député Le Hérissé, M. Guillemot accepte de fermer le dimanche à partir du 17 février. Le journal publie la déclaration de satisfaction du syndicat qui a donc jugé inutile la réunion aux Lices.
Il y aura bien quelques résurgences ainsi, le 24 avril le journal informe que des magasins de moindre importance se mettraient à ouvrir quelques heures le dimanche après-midi et que ... des membres de la Ligue pour le repos du dimanche iraient même y faire des emplettes ! Mais la question semble réglée.