Bannière liberation Rennes 2.jpg

A l'occasion des 80 ans de la libération de Rennes, (re)découvrez l'ensemble des
contributions autour de la Seconde Guerre mondiale et de la libération sur Wiki-Rennes.

Chronique vezinoise sous l'occupation n°05

De WikiRennes
Aller à la navigationAller à la recherche


Les jeux des enfants à Vezin-le-Coquet sous l’occupation.


Nos terrains de jeux et leurs limites

Les jeux que nous partageons, enfants à Vezin-le-Coquet sous l'Occupation, sont simples, inventifs et souvent copiés à partir d’événements de la vie de tous les jours. Tout est prétexte aux jeux. En dehors de l’école et des devoirs pour les grands, il reste pour le temps libre encore de nombreuses heures disponibles. Les habitations sont loin d’être suffisamment spacieuses, ainsi les enfants sont fort bien dehors pour jouer.

Libres les enfants, nous le sommes, dans ce village qui vit presque en autarcie compte tenu des possibilités réduites de déplacements et des interdictions de toutes sortes, énoncées par les lois de l’occupant.

D’instinct nous avons, avec mon frère, bien défini nos marques et établi des frontières du village à ne pas dépasser. Le Tertre par exemple où demeure Pierre Pécoil est pour moi une terre réservée aux enfants de ce fief. Nous ne le fréquentons jamais, nous le traversons parfois, accompagnés de notre mère. C’est un passage obligé pour se rendre à Rennes. La nouvelle route n’est pas encore percée. Pour ce faire, les travaux qui ont démarré avant guerre sont stoppés net avec la déclaration de celle-ci. Situé peu après la ferme Lefeuvre, l’endroit présente l’aspect d’un chantier abandonné. Des wagonnets encore posés sur quelques mètres de rails menant nulle part, attendent de meilleurs jours pour rependre du service. Ce lieu domine légèrement Rennes, suffisamment toutefois pour apercevoir, un soir avancé qui précédera le départ de l’occupant, différents points lumineux de la capitale bretonne provoqués par les flammes d’incendies de dépôts de ceux qui, nous ayant humiliés en 1940 s’en retournent enfin rejoindre leurs pénates.

Une fois traversé le Tertre, en direction de Rennes, la route présente quelques lacets à son point le plus bas. En trottinant avec ma mère je remarque une traction Citroën au fossé abandonnée, dans le sens Rennes-Vezin. Je lui demande « c’est à qui l’auto ? ». Elle me répond qu’elle appartient aux miliciens qui devaient être probablement en goguette. Je pense alors « c’est bienfait pour eux ». Les miliciens me faisaient tellement peur. En même temps, apercevant le volant, les manettes, les jantes jaunes, j’ai envie d’entrer dans le véhicule. Elle est belle la traction, dame, je ne rencontre presque jamais d’automobiles à part celles des soldats allemands. Même le docteur Léon, de Pacé, n’a pas d’auto, il se rend à motocyclette chez les patients qu’il visite.

Le cœur du village est à nous jusqu’à la Belle Épine, le chemin vert nous y mène. Le bois de la Glétière, le château et son grand parc, excellent pour l’exploration, me réserve à chaque visite de merveilleuses découvertes, des petites maisons de couleurs pour les oiseaux et différentes petites constructions de bois. L’ensemble du domaine parait m’appartenir tellement il est libre d’accès et désert.

La maison du passage à niveau, route du Rheu, est une limite que nous franchissons pour nous rendre à la Frelonnière avec son château qui a conservé en façade ses plans d’eau. La maison du PN est habitée par d’autres drôles de notre espèce, Gaston Pitois entre autres. Près de la barrière, avec Alphonse Gautier nous regardons parfois passer les trains. Le périmètre s’élargit au fur et à mesure que nous prenons de l’âge. Il n’existe aucun endroit du village inexploré, nous en connaissons tous les recoins. Nous occupons les lieux en toute tranquillité et sécurité avec la bénédiction de leurs habitants. Qui ne connaît pas qui !

Jeu de l'attelage

Un autre jeu consiste à imiter un attelage. On passe une corde d’abord sur le cou puis en dessous des bras de celui qui fera le cheval. La longue corde fait office de rênes que saisit derrière un cocher, une badine à la main et hue... cocotte... ! Un autre, le side-car. Un garçon mime la moto, les deux mains en avant saisissant un guidon imaginaire. L'autre s'accroche de la main droite à la manche gauche de la moto, c’est lui qui est le side-car. Notre moto a son side-car à gauche, c’est la règle. L'engin démarre avec des brrrreeeeem retentissants. Le bruit est une imitation du bruit que fait le moteur du side-car allemand. Nous n’en n’avions alors pas encore vus ou entendus d’autres.

Jeu de l'abattoir

Certains jeux ne sont pas exempts de danger, comme celui, par exemple, de simuler l’abattage d’un bestiau destiné à la boucherie. Encore un spectacle de la vie. Celui d’un authentique s’est offert à nous avec Albert Pinel qui s’y entend parfaitement. Armé d’un outil ressemblant à un piolet très pointu, il assène un grand coup sur la tête de l’animal qui s’affale, le sang gicle, c’est la vie !… enfin pour ceux qui profiteront de sa viande. Il faut dire qu’à cette époque elle se faisait plutôt rare dans l’assiette du particulier

Dans le pré de chez Lebastard, nous sommes plusieurs enfants, il doit bien y avoir Gaby, peut-être Alphonse et d’autres. Nous nous positionnons à quatre pattes, les uns derrière les autres, nous singeons des petites bêtes qui se dirigent vers le coup fatal. Le boucher du jour est Bernard, le plus grand. Il est armé d'une barre de fer faisant croix. Il feint d’asséner un violent coup sur la tête. La barre s'arrête un poil au-dessus de la cible et la petite bête s’affale en jetant un petit cri. À chacun son tour pour la tuerie, quand celui de mon frère arrive au moment important où le fer s'abat, il relève soudainement la tête en meuglant pour faire plus vrai. C’est alors la rencontre du fer contre crâne, le choc, des pleurs qui dépassent en intensité sonore les meuglements déjà entendus, il y a beaucoup de sang. Dans ce cas-là on appelle toujours sa maman. Bernard est bouleversé, il prend mon frère par le bras qu’il tient comme pour jouer au side-car. Nous nous précipitons tous en courant vers la maison. Ma mère affolée ne supporte pas la vue du sang. La voisine, madame Blanchard, de Rennes, heureusement présente ce jour là, soigne la plaie, finalement sans gravité. Heureusement Bernard a eu la main plus légère qu’Albert Pinel. On en parle encore. Soixante ans ont passé et Bernard se confond toujours en excuses.

La chasse aux corbeaux

Un jour, sans pluie, ma grande sœur participe, pour les petits, à la fabrication d’arcs. Une fine branche bien droite, une ficelle, des flèches. Nous voilà partis à la chasse, tous ensemble quatre ou cinq gamins, Alphonse était du nombre, je crois. Notre souci est de tuer des oiseaux nuisibles, pies ou corbeaux. Nous avions entendu dire qu'une prime est versée par la commune pour chaque bête tuée et bien sûr apportée en mairie. Ma sœur aînée entre dans notre jeu, elle nous encourage, « cela va toujours les occuper pour un moment ! ».


Elle n’imagine pas que nous irions jusqu’au bout de notre projet tant que faire se peut. Nous entrons à fond dans notre jeu avec l’esprit de rapporter de l’argent. Nous le croyons bien fermement. Au bout du compte, notre chasse n’est pas des plus heureuses, aucun gibier n’accepte de venir se suicider à nos pieds. Peu importe nous avons de la ressource. Je ne me souviens plus qui a eu cette idée, c’est tout à fait dans mes cordes de décrocher un volatile mort accroché à la branche d’un pommier. Un cultivateur l’avait attaché là pour écarter les autres nuisibles. Quelle belle idée, plein d'espoir, nous le décrochons et l’emportons. Nous le présentons au secrétaire de mairie qui n'est autre que notre directeur d’école, monsieur Guérin. « C’est pour la prime » avons-nous dit. À notre grand étonnement la réception n’est pas celle que nous imaginions. Monsieur Guérin lève les bras au ciel, des paroles fusent de sa bouche, je ne me souviens plus lesquelles, je crois tout de même me souvenir d’un mot : galopins. Je pense qu’il est préférable d’avoir oublié les autres. Piteusement nous rentrons rendre compte à ma sœur aînée de nos déboires.

À la recherche des éclats d'obus

Plus qu’un jeu, c’est une distraction que le ciel nous apporte offerte par le déroulement des événements habituels du moment. L’éclatement en l’air des obus lancés par les 8,8cm de la DCA de la Belle Épine lors de chaque passage d’avions alliés retombent un peu partout. Chaque détonation du canon claque sèchement, acide, brève sans écho bien différent des bruits que provoquent un bombardement. Ce bruit m’impressionne, me gêne sans toutefois m’effrayer. J’entends les éclats tomber sur la toiture d’ardoise de la maison, dégoulinant comme de la grêle, accompagnés de petits tintements clairs. Lorsque l’alerte est terminée nous nous élançons à la recherche de ces petits éclats métalliques. Nos recherches se portent sur les routes là où ils sont le plus visibles. Nous en récoltons de grosseurs plus ou moins importantes et de différentes formes. Nous les comparons entre nous, nous nous les échangeons. Lesquels sont les plus beaux?. Le bord des éclats est souvent acéré.

Ces jours là, nous n’allons pas aux abris, les bombes des vagues des bombardiers qui nous survolent très haut au-dessus de nos têtes, ne nous sont pas destinées. Ce n’est qu’un simple passage.


Il semblerait que l'un des tirs de la DCA allemande qui, en fin de compte, nous distrayaient en nous offrant de beaux éclats d'obus, se soit déroulé le 27 juin 1944. Il répondait ce jour là, à une rapide attaque en piqué de l'aviation américaine P51 et P38, sur le champ même de la DCA de la Belle Épine. Nous nommions les P38 «double queue» et les Allemands, qui les redoutaient particulièrement, les appelaient «Gabelschwanz Teufel», c’est-à-dire «Diable à queue fourchue». Je me souviens, en d'autres occasions, en avoir vus évoluer dans le ciel, ils nous faisaient grande impression tellement leur forme était atypique. Lors de l'attaque du 27 juin 44, des bombes ont endommagé des bâtiments de la ferme de la Touche Thébault, propriété appartenant à monsieur Yves de la Blanchardière, monsieur et madame Joseph Primault en étaient les fermiers. On distingue sur la photo aérienne deux impacts, confirmés par des experts sur un croquis qui accompagne un dossier d'indemnisation d'après guerre. Les Allemands avaient pris possession d'une partie de la propriété le 10 mars 1943 pour y installer leurs canons.


Ce complément d'information résulte d'une enquête récente (en avril 2021) effectuée par Monsieur Cédric Levin du cabinet d'Etude en sécurité Pyrotechnique. Le Masters. Qu'il en soit remercié.


Albert René Gilmet

Janvier 2013

Voir autres informations Blog Aldebert: https://www.39-45.org/blog.php?u=5328&b=565

Chronique vezinoise sous l'occupation n°04

Chronique vezinoise sous l'occupation n°06