Notes d'un vieux Rennais pendant les jours précédant la libération de Rennes

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Monsieur et Madame Maignen ont quitté leur appartement du boulevard de la Liberté pour la rue de Corbin où ils gardent l’appartement et l’étude d’avoué à la Cour de leur fils qui se trouve près de sa femme et de ses enfants réfugiés à Soudan (Loire Inférieure).[1]

Le style et la rédaction des feuillets écrits au crayon ont été respectés.


« Dimanche 30 juillet 1944

Dimanche –

Ce matin : 9h alerte au moment où les bombes tombaient – Impossible sortir – Nous sommes abrités contre les 2 gros murs du rez-de-chaussée. Les murs remuaient au passage des torpilles qui se dirigeaient sur Baud. Un train de munitions frappé en plein fait explosion et les munitions sautent constamment. J’ai pris le pot à lait pour aller chez Marie Ange, nouvelle alerte, nous descendons dans les caves Jaigu pendant que maman allait à St Georges [2]. En revenant je tournai de la rue de Bourbon [3] sur la place du Palais avec mon lait quand une bombe parvenue derrière moi a éclaté probablement devant chez Fauvel. Le réservoir derrière Desmarais (à Baud)[4] en sautant a encore enlevé un carreau au bureau. Cette nuit alerte à 1h. Sommes allés dans l’abri. Louise Lejeune, sœur de Chevallier avocat, préposée à la garde de la grande maison de famille à Fougères et de tous leurs souvenirs a été ensevelie sous les décombres avec le domestique et le père de celle-ci. On ne les a pas encore retrouvés. Un cousin germain de Lucas a été écrasé à Nantes par un camion allemand.

En raison des bombardements de Baud, ta mère ne veut pas que j’aille à l’impasse de Renée [5]. C’est pourtant indispensable si nous voulons avoir chance de retrouver quelque chose. J’espère donc y aller faire un tour sous peu pour prendre ensuite des dispositions.

Impossible actuellement de trouver ni verre ni vitrex pour remplacer les carreaux brisés. Si je puis retrouver les cartonnages de Renée je mettrai du carton aux fenêtres [6] mais tout cela est un gros et long travail qui demandera du temps et de la peine.

Toujours ici sans eau, sans gaz, sans électricité [7]. L’électricité est revenue au boulevard mais ça ne fait pas notre affaire ici. La Ville ne donne de l’eau dans les quartiers non coupés que de 7H à 9 h le matin. Comme il y a un robinet libre dans le n° 28 de la rue Saint-Georges, nous pouvons avoir un broc le matin, à la condition d’y aller avant 9 heures.

Un courrier de Paris est arrivé hier par camion. Peut-être vais-je recevoir quelques lettres. Plusieurs courriers ont été détruits en route par les Anglais qui bombardent tout indistinctement, même les civils. Condoléances écrites pour nous et pour vous de [...][8]

Encore pas reçu la lettre de mercredi. 15h. Nouvelle alerte. Nous courons aux caves St Georges – Simple passage d’avions. 16h. Maman venue mettre un brassard [9] à mon melon. Elle m’apporte le tien et veut me convaincre que c’est le mien ! Quand enfin elle le constate, nous pensons que le mien est resté au boulevard. J’y cours, je cherche, je pense le trouver dans le salon, pas de melon. En désespoir de cause j’allais voir à la chambre de Renée quand je le trouve au portemanteau de ce couloir. Au diable si je serais jamais allé le chercher là ! En descendant je trouve dans la boîte la lettre de Jean (du 9) distribuée ce matin, que je t’envoie. Elle me fait espérer qu’ils auront depuis lors quelqu’unes au moins des lettres que je leur ai envoyées le 9, le 10 et le 11. De 17 à 20 heures 5 alertes successives avec bombardement sur Pontchaillou St Laurent Saint-Grégoire Baud, etc. - 2h1/4 pour dîner avec nos 2 œufs !!

Lundi matin – Nuit tranquille - 7h30 alerte avec mitrailles et bombes pendant une petite heure – 9h30 Alerte jusqu’à 11h30 –


Mercredi 2 août 1944

Mercredi matin 7h.

Journée de crainte hier. A partir de 15h bombardements [10] sans alertes, incendies, canon, explosions de munitions par les Allemands. Pilonnage au mortier – ville et croisements de routes par les Américains sans arrêt jusqu’à 10h1/2 du soir – Puis nuit tranquille.

D’après Rad. Ils seraient vers Pontaubault. Nous ne les verrons donc pas arriver de suite. Quant aux occupants, hier soir ils filaient encore. Il semble que ce matin il n’en reste guère. Ta mère partie hier pour le boulevard est restée 3 heures durant dans les caves de la Poste (500 personnes). Nous n’avons pas pu voir hier soir la famille Perrier à la Motte. Je t’enverrai suivant les événements une nouvelle lettre ce soir ou demain jeudi. Bons baisers à tous et amitiés aux cohabitants. E.Maignen

Rennes – 2 août 20 heures

Mon cher Etienne, C’est installé sous le porche de l’ami Fauvel [11] que je viens causer avec toi, pendant que la table des piplets, 8 convives, se régalent certainement mieux que nous. La musique a commencé de bonne heure et n’a guère cessé. Les Amérs nous canonnent avec une véritable amabilité de libérateurs. Cet après-midi obus sur la Motte, au Thabor, au coin de la rue St Georges et de la rue Gambetta. Nous avons toujours de bons voisinages. Nous sommes déjà venus ici cet après-midi au moment où ça tombait un peu plus fort et sommes ensuite rentrés au cours d’une accalmie. Je voulais partir pour le Palais quand des rafales m’ont fait renoncer. Pas visages d’Améro. Si l’on en croit les bobards, ils seraient venus hier jusqu’à Betton, St Laurent, St Sulpice mais on ne les a pas vus aujourd’hui. La radio de 19h30 annoncent qu’ils se dirigent maintenant d’Avranches sur St Malo et sur Rennes. Ce qui est certain c’est que d’abord le départ des Allemands s’accentue et s’accélère. On en a ici bien peu dans les rues et tous en leur campagne et barda complets. Et puis ils amènent ici des quantités de blessés allemands, par milliers et ils les changent d’hôpitaux à chaque instant. Ce qui fait qu’on croit voir davantage, c’est la file des ambulances garnies, 40, 50 à la file. Par ailleurs avons vu personne, il semble que l’on se calfeutre dans les caves. A l’instant un obus vient de tomber à moins de 20 mètres, il ne faudrait évidemment pas se trouver sur le parcours, un 2è un 3è tombent sûrement les uns sur les autres, nous nous reculons sous le porche et l’on pousse les 2 grosses portes. Un 4è Boum ! Décidément si ça continue cette nuit, on ne pourra guère fermer l’œil et encore faudra t-il vraisemblablement descendre pour une partie de la nuit dans les étages souterrains. Ces sacrés obus d’outre Atlantique font un chahut peu ordinaire. On prétend que les Allem. ont demandé aux Amérs de ne pas tirer sur Rennes moyennant quoi pour sauver leurs blessés ils n’organiseraient aucune résistance à Rennes. Malheureusement il semble que les Amérs répondent à leurs avances en canardant, et naturellement ce sont encore les libérés qui vont trinquer ! Je tâcherai de t’ajouter un mot demain matin sur la nuit que nous aurons eue, sinon je te mettrai quelques mots demain soir.

Mille bons baisers E.Maignen 20h45


Jeudi 3 août 1944

3 août 7h30

Je rentre de Corbin. ça tapait tellement dur et dru avec obus partout qu’à 3h1/2 du matin nous sommes descendus au 1er étage[12] garni de dormeurs, de lits, de matelas des apemts. Nous avons pu loger nos 2 pliants. Maintenant le calme mais pas pour longtemps.

EM »

— Monsieur Maignen • Recueilli par Stephanuslicence

Les troupes américaines entrent à Rennes le 4 août au matin.

Notes

  1. Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945, par Etienne Maignen, éd. Ouest-France - 2013
  2. abri du Palais Saint-Georges, près de la rue de Corbin
  3. ancienne dénomination de la rue Edith Cavell, encore employée par ce monsieur de 77 ans
  4. dépôt de carburants
  5. petite impasse donnant rue Saint-Hélier où habitait leur fille Renée dans une maisonnette, tuée dans l’abri situé à cet endroit le 9 juin 1944 lors d’un bombardement américain
  6. les fenêtres de l’appartement rue de Corbin
  7. une bombe avait crevée la conduite d’eau souterraine en forêt, près de Fouillard.
  8. ici une douzaine de noms du Palais ou de relations. Une fille de M. et Mme Maignen avait été tuée lors du bombardement du 9 juin.
  9. un feutre noir au chapeau, un brassard noir au bras en signe de deuil
  10. Il s'agit en fait d'obus tirés de Maison-Blanche par les Américains
  11. immeuble au n°1 du Contour de la Motte
  12. premier sous-sol sous l’immeuble du contour de la Motte

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