Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°18

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Souvenirs d’un enfant


Ils nous quittent pour Brest

Le départ de nos amis

Vers la fin du mois d’août 1944, les environs de Vezin-le-Coquet se vident de leurs derniers invités américains. Mon frère et moi allons en reconnaissance du côté de la Glestière.


La Glestière

J’aime aller à la Glestière. L’autre fois, en m’y rendant, j’ai trouvé une balle de base-ball égarée dans le fossé, côté gauche de la route (actuelle rue de la Glestière). J’espère toujours que le miracle se reproduise. Je marche alors le regard dirigé vers le fond du fossé, le cœur rempli d’espoir, peut-être en verrai-je une seconde apparaître. Espoir vain, puisque maintenant ils sont partis.

Nous ne pénétrons pas dans le petit bois, nous dépassons la ferme au lait baratté et nous coupons à gauche dans un pré. Quelques soldats sont encore là, probablement l'arrière-garde chargée de contrôler les lieux précédemment occupés par leurs camarades. Ils brûlent des cartons, des boîtes de conserves vides et enterrent le tout. Les troupes américaines, celles que nous avons connues, ont partout laissé bien propres après leur départ, les lieux dans lesquels elles étaient cantonnées.

Des cartons mêlés aux conserves encore enduites de gras, de fromage ou autres nourritures, en brûlant produisent une odeur très particulière, pour moi jusqu’alors inconnue. Avec celles de l’apprêt qui revêt les toiles de tentes, les gaz des pots d’échappement des véhicules, elle est à ajouter à ma liste des odeurs nouvelles. Elle restera, elle aussi, toujours marquée en moi comme toutes celles que j’ai senties pour la première fois et dont je suis en mesure de rappeler, pour toutes, leur date de naissance. Elles restent associées à la présence des premiers soldats américains à Vezin-le-Coquet.

Nous marchons vers deux soldats. Pour notre plus grand plaisir, l’un d’eux nous demande dans un bon français, de nous approcher de lui. À côté d'un feu de bivouac, il nous invite à nous asseoir sur des pierres déjà disposées là. Il nous interroge, l'un après l'autre. Comment t'appelles-tu? Quel âge as-tu? Où habites-tu?. Sa voix était très douce, il parle lentement et très distinctement comme un instituteur. Il nous demande si nous avons faim. Nous avons répondu d’une seule voix, oui ! Bien sûr que nous avons faim. Bon ! Pas forcément faim mais nous sommes toujours prêts à manger même sans appétit, car l’appétit vient en mangeant ! Le soldat nous parle de lui, je ne retiens pas ce qu'il dit. Il ouvre une boîte métallique qui contient du fromage, genre Vache qui rit. Il nous présente du pain et nous mangeons ensemble. Nous buvons de la citronnade en poudre, contenue dans des petits sachets plats waterproof, mélangée à de l’eau. Encore un bon moment passé en compagnie d’un ami américain, sans doute le dernier !

Château de la Drouétière tel qu'il était sous l'occupation
Château de la Drouétière tel qu'il se présente aujourd'hui. La toiture a subi quelques modifications suite à la tempête 1999/2000‎

Le château de la Drouétière

Aujourd’hui, je me rends seul au château de la Drouétière. Là aussi c’est le grand déménagement. Au rez-de-chaussée sur toute la surface de la grande salle, sont entreposés des paquets. C’est un va-et-vient continu de soldats affairés, entre le château et des véhicules stationnés dans la cour. Un GI me saisit tout à coup la main et gentiment m'emmène au dernier étage du château. Nous gravissons d’abord les marches du bel escalier en croisant sans cesse de nombreux soldats les bras encombrés. Nous accédons ensuite à un très petit escalier en colimaçon qui conduit sur le toit du château et plus exactement sur un petit belvédère, très haut perché. C’est une très belle vue qui s’offre à mes yeux. Un grand mât est planté là, en haut duquel flotte le drapeau des USA. Le soldat me hisse alors à bout de bras, me tenant solidement et m'approche au plus près de la bannière étoilée qu'un autre soldat est en train de décrocher. Il rit. Je ris aussi. Je suis heureux : on s’occupe de moi ! Loin d’avoir peur, je me sens en totale confiance. Pourquoi ce soldat a-t-il pris le temps de m'amener ici ? Certainement pour me faire plaisir! Ils sont comme ça les soldats américains, pour la plupart. Dès qu’ils aperçoivent un enfant, ils l’adoptent le temps d’une cigarette. C’est sans doute pour se rappeler ceux laissés dans leur pays et qui les attendent là-bas, très loin.

Escalier menant aux étages
Escalier menant à la tour. Avec l’aimable autorisation de madame Claire Caro-Brégère

Nous redescendons au second niveau donnant sur un palier qui distribue plusieurs chambres. Mon guide entre dans l’une d’elles, il me fait patienter sur le palier, la porte de la chambre est grande ouverte (je n'entends toujours pas sa voix). Il cherche et collecte des choses dans une pièce en grand désordre. Il en ressort et me tend plein de cadeaux. Je me souviens seulement des savonnettes, parce qu’elles sentaient bon et de divers petits emballages. Je suis heureux. Il me dit au revoir et me laisse descendre seul l’escalier qui conduit au rez-de-chaussée. Alors que j'arrive au premier niveau, un soldat qui monte et que j’allais croiser, s’arrête, il m’observe sévèrement, me confisque tous mes cadeaux, que je serre dans mes bras pour éviter qu'ils ne tombent et assez sèchement, sans un mot, me montre la porte de sortie. Il pense sans doute que j’ai volé tout ce butin. Je suis très malheureux. J'étais fier pourtant d’apporter ces trésors à ma mère! Et pourquoi donc ? L’un si gentil, l’autre si méchant ! Il est fort possible que le soldat qui me confisque mes cadeaux imagine que je les ai dérobés.


Il est aussi vrai que certains d’entre eux sont excédés par la présence d'enfants continuellement dans leurs jambes, surtout au moment où ils sont en pleine activité de départ. Je ne me souviens pourtant pas, ce jour-là, avoir remarqué la présence d’autres enfants dans le château. J’étais, ce jour-là au château, il me semble, le seul aventurier de mon espèce. Je suis fâché mais très heureux d’être monté tout là-haut.

Quelque temps après le départ du gros de la troupe, sur la route de Rennes, après Le Tertre, deux soldats sont dans un pré en bordure de la route. Ils attendent, assis à côté d'une remorque de Jeep, sans véhicule. Mon frère et moi, nous nous en approchons, certains de nous faire des copains. Surprise ! Ils nous chassent avec force bruits et gestes. Nous n’avons pas été habitués à un tel accueil.

Au cours de conversations d’enfants, nous avons analysé la situation et avons conclu et déclaré doctement, « que les premiers Américains, ceux qui avaient fait la guerre, étaient gentils mais les autres qui ont suivi après ne l’étaient pas autant ». Cette belle période de la Libération était pour moi terminée.

Des conversations, ou plus exactement, des échanges de paroles que j’ai pu avoir avec les Américains qui ne pratiquaient pas notre langue mais avec qui j'ai pourtant beaucoup échangé, je n'ai retenu aucun son de leur voix. C'est comme s’il s'agissait dans ma mémoire, d'une séquence de cinéma muet. Seuls les sons de voix de ceux qui parlaient en français demeurent assez clairs dans mes souvenirs. Ainsi les sentinelles du pré Lebastard qui nous accueillent en clamant « cigarettes pour papa », ainsi le soldat qui frappait à nos volets en appelant madmoisel ! , ainsi le son de la voix des Canadiennes francophones et du soldat que je viens d’évoquer mais aucunement le son de la voix de l’Américain qui m'a rassuré lors d’un passage d’avion. Par contre, j’entends encore les exclamations des deux Allemands qui se poursuivaient devant le maréchalerie en gueul… et en tirant des coups de pistolet. C’est ainsi !


mars 2013

Albert René Gilmet

Autre information Blog Aldebert:[1]


Voir aussi

Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°17

Chronique vezinoise sous l'occupation/Libération n°19