17 juin 1941 : manifestation rennaise

De WikiRennes
Aller à la navigationAller à la recherche
Le maire autorise et balise la cérémonie

Déjà le 11 mai...

Le préfet incite la population au calme

Si le drapeau français n'a cessé de flotter sur un mât au centre du secteur militaire du cimetière de l'Est à Rennes, la magnanimité allemande n'allait pas au-delà. Les occupants n'avaient pas apprécié une première manifestation, sur mot d'ordre de de Gaulle, le dimanche 11 mai 1941.[1] Le mardi 17 juin 1941 est la date anniversaire du bombardement allemand des trains dans la plaine de Baud, l'année précédente,[2] qui occasionna près d'un millier de morts militaires français et britanniques et civils. Des Rennais entendent bien commémorer ce triste anniversaire en fleurissant leurs tombes et, pour certains, manifester ainsi leur hostilité aux occupants.

La cérémonie officielle du 17 juin 1941 au cimetière de l'Est (Ouest-Eclair du 18/06/1941)

Un appel du préfet à la population

Tract en faveur de la manifestation

Le 14 juin avait paru un appel du préfet Ripert mettant en garde la population contre les agitateurs étrangers qui "cherchent à troubler l'ordre public en suscitant des rassemblements et des actes de rébellion contre l'occupation. Suivre les exhortations de ces provocateurs c'est diviser et affaiblir notre Pays; c'est aussi exposer à des mesures de représailles la population tout entière" et en particulier la jeunesse universitaire. En ce jour anniversaire la population doit se recueillir et honorer ses morts dans le silence et la dignité : elle doit aussi se souvenir des engagements qu'a souscrits en son nom le Maréchal Pétain vis-à-vis de l'armée d'occupation..."

Il interdit donc tout rassemblement ou défilé qui seront dispersés. "Le cimetière de l'est où une manifestation collective de protestation a été organisée, à la suite d'un mot d'ordre venu de l'étranger" sera fermé et ses abords interdits le dimanche 15 juin et le mardi 17 et tout contrevenant "s'exposera aux peines les plus graves".

Le RNP dénonce le projet de manifestation du 17 juin, anniversaire du bombardement du 17 juin 1940 [3]

En fin il annonce qu'un hommage officiel sera rendu aux victimes du bombardement du 17 juin par les notabilités civiles et religieuses au nom de toute la population[4]. De son côté, la division d'Ille-et-Vilaine du Rassemblement national populaire indique que des tracts anonymes ont été déposés nuitamment dans les boîtes aux lettres des Rennais, les invitant à manifester en faveur de l'Angleterre.


L'occupant n'est pas content (Ouest-Eclair du 17 juin 1941)
Placard affiché (musée de Bretagne)

Des manifestations populaires des 15 et 16 évoquées, celle du 17 passée sous silence

Le 17 juin, le journal publie les recommandations du maire concernant la cérémonie commémorative dans le cimetière de l'Est, à l'exclusion de tout autre manifestation. Le 17 paraît un arrêté de la Feldkommandantu, diffusé par voie de presse et affichage, instituant, à partir de ce jour, la fermeture des restaurants à 20 h 00 et un couvre-feu à 20h30 pendant 10 jours, à la suite de cortèges de manifestants qui ont eu lieu, malgré l'avertissement du préfet, en soirée du dimanche 15 à Rennes et le lundi 16, en faveur de de Gaulle et avec un caractère anti-allemand.[5] Des Rennais se sont donc manifestés non seulement le dimanche, jour férié, mais aussi le lundi, jour travaillé que le préfet n'avait donc pas visé. C'est le 15 ou le 16 qu'il faut situer la montée de nombreux Rennais vers la préfecture aux cris de "Pétain au poteau ! Vive de Gaulle !" en face de gendarmes qui n'interviennent pas. Une source cite 3000 à 4000 Rennais[6] mais selon les Allemands, les manifestants n'étaient que 400.[7]

Le mardi matin 17, un cordon de police renforcé par la gendarmerie est en place. Les Rennais auraient été trois mille[8], ces Rennais qui auraient voulu manifester et entrer sont, en fait, quelques centaines. Celle-ci rassembla finalement entre 300 et 400 personnes. Désireux de bien maîtriser cette journée jugée à haut risque, le recteur rédigea, dès le 8 juin 1941, une circulaire dans laquelle « chacun fut invité à contribuer au maintien du calme le plus absolu.»

Le préfet décide de fermer le cimetière pendant trois jours. Il prend un arrêté dans ce sens. Des gendarmes, au nombre d’une centaine, sont requis pour renforcer la police de Rennes. La manifestation se déroule sans incident jusqu’au moment où le représentant du préfet, en l’occurrence son secrétaire général, donne l’ordre aux policiers et aux gendarmes de disperser la foule dans laquelle il y avait des étudiants, des collégiens et des élèves de l'école d'industrie, qui déposa les gerbes aux pieds des hommes du cordon et entonna la Marseillaise. Elle se dispersa après avoir crié "Vive la France ! Vive de Gaulle !"[9] Le chef d’escadron Guillaudot refuse d’obtempérer à la réquisition, imité en cela par M. Dives, commissaire de police.

Que s’est-il passé ce 17 juin ? Ce jour-là, la population de Rennes se rend en masse sur les tombes des victimes du bombardement de l’année précédente afin d’en commémorer le souvenir. Pour complaire aux Allemands, le préfet décide de fermer le cimetière pendant trois jours. Il prend un arrêté dans ce sens. Des gendarmes, au nombre d’une centaine, sont requis pour renforcer la police de Rennes. La manifestation se déroule sans incident jusqu’au moment où le représentant du préfet, en l’occurrence son secrétaire général, donne l’ordre aux policiers et aux gendarmes de disperser la foule et de procéder à des arrestations. Le chef d’escadron Guillaudot refuse d’obtempérer à la réquisition, imité en cela par M. Dives, commissaire de police. Le préfet, dans les heures qui suivent, demande sa révocation. Quarante-huit heures après, il obtient sa mutation de Rennes à Vannes. Le commissaire de police Dives est rétrogradé et muté[10]. Le commandant entrera dans la Résistance [11] .

Le recteur félicita :« On pouvait craindre que les 15 et 17 juin, dates d’anniversaires du bombardement de Rennes et de l’entrée des troupes allemandes, des manifestations aient lieu et que, par contrecoup, si les écoles s’y trouvaient mêlées, des mesures de rigueur soient prises contre elles. L’effort accompli par vous et en accord avec vous pour tenir l’université en dehors de cette agitation a porté ses fruits. Ni l’université, ni les établissements du second degré n’ont été fermés, comme on l’avait craint. » Le 18, le quotidien rend largement compte, avec deux photos, de la cérémonie officielle qui a rassemblé la veille, dans le cimetière de l'est, les nombreuses personnalités civiles et religieuses devant les 740 tombes des victimes de "l'explosion" de la plaine de Baud. Il ne comporte pas un mot sur la manifestation populaire tenue dans le même temps devant le cimetière.

Mais sur la même feuille la préfecture communique, pour participation aux manifestations des 15 et 16 juin, des mesures d'internement administratif au camp de Châteaubriant infligées pour 3 semaines à Michel Ricaud et Louis Piron, étudiants et à Gaston Picard, agent d'administration, pour 15 jours à Pierre Le Damany, étudiant et pour une semaine à Théophile Le Jan, serrurier à la S.N.C.F.[12] Le préfet se targua d'avoir obtenu des autorités allemandes que les manifestants arrêtés soient punis par l'autorité française d'une à trois semaines d'internement administratif alors que les Allemands envisageaient une année de détention. Curieusement, on ne trouve pas trace par la suite de mesures d'internement concernant des manifestants du mardi 17 juin prises par le préfet ou par la Feldkommandantur qui s'est contentée des mesures prises le 17 pour les dix jours suivants. Le préfet écrit :" J'ai pu faire admettre à la Feldkommandantur que la population française n'était pas habituée aux mesures d'internement administratif pour des motifs d'ordre politique et qu'il y avait lieu de retenir la valeur d'exemple des premières sanctions prises dans le département."[13] et ces mesures n'ont été publiées que le 18, après la manifestation de la veille et le préfet fait donc valoir leur valeur dissuasive ultérieure.

On peut penser que l'absence d'évocation de la manifestation populaire du 17 résultait d'une volonté d'en minimiser l'écho, voire d'en nier la réalité et telle est peut-être aussi la raison de l'absence de mesures officielles de rétorsion.

Les préfets reconnaîtront dans leurs rapports du 20 juin, que la propagande gaulliste continue à "faire sentir très sérieusement son influence et se trouve même en recrudescence dans certaines régions, en particulier dans le Nord, la Bretagne et certains départements ruraux de l'Ouest..."[14]

Références

  1. Fête de Jeanne d'Arc du 11 mai 1941 : des Rennais manifestent
  2. bombardement du 17 juin 1940
  3. Ouest-Eclair13 juin 1941
  4. L'Ouest-Eclair du 14 juin 1941
  5. L'Ouest-Eclair du 17 juin 1941
  6. Le poids de la ville en Bretagne et dans la France de l'Ouest, colloque sur "La Résistance et les Français", Cachan - nov. 1995
  7. Rapport d'activité du XXVe corps d'armée allemand - juin 1941 Vincennes, service historique
  8. La Bretagne d'une guerre à l'autre 1914-1945, par Christian Bougeard- Skol Vreiz -1994
  9. rapports de l'armée d'occupation évoqués par Jacqueline Sainclivier. Ouest-France, édition Rennes- 3 juin 2010
  10. rue Général Maurice Guillaudot
  11. Rennes pendant la guerre, chroniques de 1939 à 1945, par Étienne Maignen, Éditions Ouest-France - 2013
  12. L'Ouest-Eclair du 18 juin 1941
  13. Les Manifestations de rues en France 1918-1968, par Danielle Tartakowsky. Publications de la Sorbonne-1997
  14. analyse des rapports des préfets parvenus à la délégation générale au 20 juin 1941 au sujet de la situation en zone occupée.

Témoignages

"Le 17 juin 1941, le bruit a couru qu'il fallait aller au cimetière de l'est pour fleurir les tombes des victimes du bombardement du 17 juin 1940. Ma sœur avait acheté une raquette de fleurs pour nous. Mais on n'a pas pu approcher, la gendarmerie mobile avait bloqué le cimetière, et les gendarmes nous ont refoulés, sans violence toutefois. On a déposé les fleurs à leurs pieds. Puis la manif s'est disloquée, et je suis parti, mais il paraît qu'elle a continué ensuite."

Guy Faisant, 16 ans en 1941